Le texte ci-dessous est traduit des pages 371 et 372 du livre «Le Père Jean de Kronstadt» de I.K. Sourskii (pseudonyme composé à partir du nom du village natal de Saint Jean: Soura), au chapitre 18 du tome II, intitulé «la clairvoyance du Père Jean». La version du livre utilisée est celle qui fut publiée en 2008 à Moscou par les Éditions «Otchii Dom», et qui regroupe en un seul volume les deux tomes du livre écrits l’un à Paris, l’autre à Belgrade, par l’auteur. Il s’agit vraisemblablement de la plus ancienne biographie de Saint Jean de Kronstadt, que l’auteur, un haut fonctionnaire de l’Empire de Russie, a connu personnellement, et qui a largement servit de base à la première (courte) biographie de Saint Jean de Kronstadt publiée en langue française (épuisée à ce jour) et traduite d’un original allemand écrit par Alla Selawry. D’autre extraits de cette excellente biographie, exceptionnelle source d’informations, seront traduits au cours de l’année 2019 sur le présent blog.
Ceci se passa en l’an 1902. Dans l’Oblast du Don, au village de Cheptoukhovo vivait le propriétaire terrien Nikolaï Alexandrovitch Poliakov. Son domaine était immense. On ne sait s’il lui était échu en récompense pour ses services dans l’armée , ou par héritage, de son père. C’était un homme dur et sévère, et que Dieu ne le permette, si du bétail appartenant à autrui venait à paître sur ses terres, il entrait en grande colère et punissait le propriétaire des bêtes. Ils étaient nombreux à ne plus oser le regarder en face après avoir subi pareil coup de semonce. Il ne croyait pas en Dieu, ni en ce qu’on écrivait à l’époque au sujet du Père Jean. Il ne croyait en rien dont il n’ait fait lui-même l’expérience.
Un jour, il arriva à Kronstadt et se rendit sans détour chez le Père Jean, et malgré qu’un foule de gens attendait patiemment que chacun suive son tour pour rencontrer Batiouchka, lui, Poliakov, espérait qu’en sa qualité de grand barine,on lui permettrait de passer avant tous. Mais rien à faire! Poliakov n’était pas suffisamment patient pour attendre et jouait des coudes pour avancer. Le Père Jean remarqua ce qui se passait et il l’appela en citant son prénom, son nom et son patronyme, ajoutant:«Ne te presse pas tant pour venir ici. Tu ferais mieux de te hâter de rentrer chez toi et de te repentir de tes actes».
Les paroles du Père Jean effrayèrent très fort le hobereau. Il cessa de se pousser en avant et s’en retourna chez lui, prenant conscience de ce que le Père Jean était en vérité un homme clairvoyant.
Rentré en sa demeure, il commença une vie nouvelle. Il n’offensait plus autrui, ou lorsqu’il le faisait, il demandait ensuite pardon. Il distribua une grande part de ses propriétés, ne conservant qu’une centaine de déciatines pour ses enfants (il avait une grande famille). Il commença à aider les pauvres et les indigents. Sa nouvelle réputation se répandit loin. Les nécessiteux se mirent à affluer auprès de lui, et personne ne s’en allait froissé, ou sans avoir reçu de l’aide.
Son épouse n’était pas satisfaite de son nouveau comportement, mais il n’y accorda aucune attention et continua à bien agir. Chaque dimanche, il se rendait à l’église en compagnie de sa famille, allumait des cierges devant les saintes icônes. Il faisait des grandes métanies pendant toute la liturgie, et à la fin de celle-ci il faisait l’aumône aux pauvres.
A Cheptoukhovo, l’église était construite en bois. On décida d’en ériger une en briques. Une grande foule assista à la cérémonie de la pose de la première pierre; clergé, haute société, simple laïcs. Autour du futur édifice, on avait installé des tentes, pour le clergé et la haute société d’un côté, pour les laïcs de l’autre. A la fin de la cérémonie, le Barine Poliakov rassembla tous les pauvres et les boiteux et les installa autour des tables préparées pour le clergé et la haute société, et il assura le service lui-même. De nombreux murmures s’élevèrent contre lui, mais ils n’eurent aucun effet. Il dit «Ce sont mes meilleurs invités. C’est peut-être bien le dernier repas que je partage avec eux».
Peu de temps plus tard, il envoya un télégramme au Père Jean, expliquant qu’il souhait aller le voir. Mais le Père Jean répondit en envoyant lui aussi un télégramme qui disait : «Pour toi, l’heure n’est plus à venir ici, il vaut mieux que tu te prépares au long voyage!…» Et effectivement le Barine Poliakov tomba malade, s’alita une semaine et communia aux Saints Dons. Alors que sa famille était réunie avec des connaissances et des voisins dans une grande pièce voisine de sa chambre, tous virent entrer un moine portant sur la poitrine une croix faite d’arêtes de poisson. Il passa devant eux sans leur adresser un mot et entra dans la chambre du malade. Tous attendirent, longtemps, que le moine sorte de la chambre. S’étonnant de ce qu’il pouvait faire aussi longtemps auprès du malade, ils furent gagnés par l’inquiétude et entrèrent dans la chambre.
Ils constatèrent que le malade était déjà mort, et que sur sa poitrine se trouvait la croix que portait le moine. Mais de celui-ci, il ne restait aucune trace. Ils furent stupéfaits car il n’existait pas d’autre issue que la porte de la chambre.On veilla le corps du Barine Poliakov durant une semaine, le temps que tous ses enfants puissent venir rendre un dernier hommage à leur père. Et on inhuma ensuite le corps du défunt à côté de l’église.
Traduit du russe.