Lorsqu’on entend ou lit le nom du bourg de Vyritsa, on pense évidemment à Saint Seraphim, qui y vécut et mena son podvig de nombreuses années. Ce qu’on sait moins, c’est que Saint Seraphim avait annoncé qu’il y aurait toujours des “startsy”, hommes et femmes, à Vyritsa. L’une d’entre elles y vit encore actuellement; le Seigneur nous a accordé la grâce de la rencontrer un soir d’octobre 2018. Mais celle dont il va être question ci-dessous naquit en 1890 et décéda le 16 janvier 1976. Il s’agit de la Bienheureuse Natalia de Vyritsa. L’invention officielle de ses reliques incorrompues eut lieu le 4 octobre 2012. Elles reposent, en compagnie de celles d’autres saints hommes et femmes, tout à côté de la chapelle où sont vénérées les reliques de Saint Seraphim et de celle qui fut son épouse dans le monde, Matouchka Seraphima. Le texte ci-dessous n’a pas pour objet de proposer une biographie de la Bienheureuse Natalia. Cela fera l’objet d’une traduction et d’une publication ultérieure. Il s’agit plutôt de présenter cette sainte folle-en-Christ à travers une série de courts récits. En voici la première partie.
Alors qu’il vivait encore, Batiouchka Seraphim de Vyritsa bénit ma demande de pouvoir construire une maison à Vyritsa. Et tout se passa à merveille. La maison construite, je me rendis sur la tombe du Starets. A partir de 1949, j’ai commencé à aller à la Laure des Grottes, auprès du Starets Siméon, qui devint mon père spirituel. Avec la bénédiction du Starets, je fis la connaissance, à la Laure, de Matouchka Natalia. Cela se produisit juste après mon exclusion du parti. Un jour, le Père Siméon me demanda :
– Tu connais Mère Natalia ?
– Non.
– Hâte-toi d’aller à sa rencontre. Elle va bientôt arriver.
– A quoi la reconnaîtrai-je ?
– Mais il te suffit de prier : «Seigneur, aide-moi à voir Mère Natalia», et vous vous rencontrerez, elle entend tout.
Pendant une semaine, je pensai aux paroles du Starets et je répétai intérieurement «Seigneur, aide-moi à voir Mère Natalia». C’est ainsi qu’en sortant un jour du monastère, j’aperçus, assise par terre, une dame âgée vêtue bizarrement. Elle se balançait d’avant en arrière, les mains enlacées autour de ses genoux et répétant avec douceur: Katia, Katia, je t’ai attendue une semaine entière. Une corbeille était posée à côté de Matouchka; à l’intérieur se trouvaient un chat et une poule. Il n’y avait rien d’autre auprès d’elle; je me rappelle que ce voisinage m’étonna. Je dis alors: «J’ai été chassée du parti, et de mon travail». Et elle répondit: «Quelle tableau élégant!» Et Matouchka décrivit l’emplacement de ma chambre à Leningrad. Elle énuméra nombre d’objets qui s’y trouvaient et continua en répondant à la partie de ma question que je n’avais pas encore exprimée. De quoi allai-je vivre? Cette question me tourmentait, car suite à mon exclusion du parti, on ne me prendrait nulle part pour travailler. Et Matouchka poursuivit: «Vends ton tableau, tu vivras un an de ce revenu. Vends ton tapis, nous en vivrons encore». Je fus surprise. Pourquoi avait-elle dit «nous en vivrons»? Cela signifiait-il que nous allions vivre ensemble? Je compris pourquoi Matouchka avait énuméré les objets de ma chambre. Je possédais des tableaux de valeur, de belles antiquités, et il se fit effectivement que par la suite, je vécus du produit de leur vente.
Après cette rencontre et cette conversation, je me rendis chez Batiouchka. Et il me dit : «Prends Mère Natalia avec toi. Elle doit vivre à Vyritsa. C’est une grande élue de Dieu». Et ainsi, Mère Natalia se retrouva à Vyritsa. Après que j’eusse installé Mère Natalia à Vyritsa, j’allai chez le Père Siméon, qui me demanda :
– Comment vas-tu, avec Mère Natalia chez toi?
– Bien, nous nous sommes installées.
– Prends soin d’elle.
Je me souviens d’une autre histoire. Le Père Siméon (Jelnine, décédé en 1960) était père spirituel de la communauté, et le Père Savva (Ostapienko, le futur higoumène du grand schème, décédé en 1980), souhaitant recevoir le grand schème, demanda la bénédiction du Starets. Celui-ci lui répondit :
Tu sais, je pourrais bénir ta demande de recevoir le grand schème, mais aujourd’hui, il y a Mère Natalia. Elle est supérieure à moi de deux niveaux. Si elle bénit, alors, je bénis. Vas à Vyritsa, tu l’y trouveras.
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J’avais une chambre, à Leningrad, mais je vivais une grande partie de l’année à Vyritsa. Matouchka Natalia ne connaissait pas mon adresse, car pour ma part, je ne faisais que de rares apparitions en ville. La veille de la Nativité du Seigneur, j’arrivai à l’appartement, et la voisine me dit : «Une malade vous a demandée, visiblement elle n’est pas normale, elle est coiffée d’un bonnet, et de vêtements complètement incroyables». Mère Natalia surgit alors. Je confirmais à la voisine que cette visite m’était bien destinée et demandai à Matouchka comment elle m’avait trouvée. «Je marche dans la ville et je demande : ‘Où vit Katia, avec son grand chapeau?’ Et tout le monde me l’explique».
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Matouchka pouvait passer à travers des portes fermées. Je finis par m’habituer à cela, mais la première fois, je fus effrayée. Voici ce qui se passa. Une nuit, je fus éveillée par un bruissement. Je bondis hors du lit, saisie d’effroi, et j’aperçus que Mère Natalia était allongée sur le sol de ma chambre.
-Matouchka, comment es-tu entrée?
-Un ange m’a ouvert.
Je demandai aux voisins si personne n’était arrivé cette nuit. Ils me répondirent qu’ils n’avaient vu personne.
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Une habitante de Vyritsa, proche de Matouchka, raconta qu’une nuit, elle entendit une sorte de chuintement dans sa chambre. Elle était seule à la maison, et avait fermé sa porte à clef. Elle se dit qu’elle avait eu une hallucination. Mais, lorsqu’elle alluma la lumière, elle aperçut Mère Natalia, à genoux devant les icônes.
– Matouchka, comment es-tu arrivée ici?
– Je me suis glissée sous les portes.
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Au cours de ma vie, tout ce que Mère Natalia prédit se produisit. Après que je fus exclue du travail et du parti à cause de ma foi, je ne pus m’installer nulle part pendant une longue période. Je vécus cinq années du seul produit de la vente de mes biens. Finalement, je trouvai une place de cantinière dans un institut de recherches scientifiques. Voilà qu’un jour le préposé de garde (nous avions un régime de travail à pauses) entra dans la cantine et me dit : «Une babouchka vient d’arriver pour vous, très bizarre». Immédiatement, je compris qu’il s’agissait de Mère Natalia. Je demandai s’il était possible de lui permettre d’entrer, affirmant qu’il s’agissait d’une parente. C’était justement la pause du déjeuner et la cantine était remplie ; je ne pouvais m’éclipser. J’attendis avec émoi l’apparition de Matouchka. Quand elle fit son entrée dans la cantine, il s’avéra que tous ceux qui étaient présents interrompirent leur repas et rivèrent leur regard empreint de stupéfaction sur ce prodige. Portant un énorme panier, Matouchka était vêtue d’un manteau de drap complètement élimé, et sous lequel on apercevait ses jambes nues. Je fis asseoir Matouchka à une table et lui proposai de manger. Elle s’assit sur sa chaise et dit d’une voix forte : «Ekaterina Vladimirovna, allons voir Maria Ivanovna à l’hôpital, nous lui apporterons le psaume 90 et mes victuailles».
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Une connaissance entendit parler de Matouchka par le Starets Siméon de la Laure des Grottes, et elle me demanda : «Batiouchka Siméon l’aime tellement, elle est tellement remplie par la grâce, demande-lui de venir bénir notre maison par sa présence». Mère Natalia acquiesça et, entrant dans la maison de cette connaissance, elle commença immédiatement à jouer la maîtresse de maison. Elle sortit une casserole de bortsch et se mit à en retirer les morceaux de viande en disant : «Ceci, c’est pour le chat, cela, c’est pour les chiens…» L’activité de Matouchka déplut à la maîtresse de maison :
– Matouchka, tu viens chez nous, mais pas pour régenter.
– Vous gèlerez bien vite, répondit Mère Natalia.
La maîtresse de maison ne comprit pas le sens de ces paroles, mais quelques jours plus tard, une puissante tempête emporta le toit de la maison et arracha les impostes. Le toit fut rapiécé tant bien que mal et les fenêtres furent obturées, mais la maison se refroidit fortement et le beau-fils de la maîtresse de maison fut pris d’un refroidissement. Longtemps il fut malade. Les médecins ne comprenaient pas de quoi il pouvait s’agir et l’envoyèrent à l’hôpital. Alors, ils se souvinrent des paroles de Matouchka, demandèrent qu’on lui fit part du malheur qui s’était abattu et implorèrent ses prières. Matouchka répondit. «Rien du tout. Rien du tout. Qu’il soit malade». Et le beau-fils gisait sur son lit d’hôpital sans la moindre amélioration de sa santé. Une nouvelle demande d’aide au beau-fils souffrant fut transmise à Matouchka. Alors, Mère Natalia vint chez eux à la maison et demanda:
– Apportez le fer à repasser et ses sous-vêtements.
– Elle repassa les sous-vêtements avec le fer brûlant et dit:
– Voilà, c’est chaud. Portez-lui ses sous-vêtements à l’hôpital et qu’il les enfile.
De façon quasiment immédiate, le beau-fils reçut son autorisation de quitter de l’hôpital.
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Maria, une autre de mes connaissances, entendit beaucoup parler de Matouchka Natalia et demanda qu’on l’amenât dans sa maison afin de faire sa connaissance. Matouchka refusa d’abord tout net, mais ensuite, elle changea d’avis et accepta. Nous allâmes chez Maria, elle avait préparé une table avenante et nous nous régalâmes. Soudain, Mère Natalia sauta sur la table, pris une icône qui pendait au mur et s’écria :
– C’est mon icône!
– Non, elle m’appartient! Répondit avec colère la maîtresse de maison.
– Elle est à moi, c’est mon icône. Au secours, on m’assassine!
Le scandale enfla, on appela la police. Ils ôtèrent l’icône des mains de Matouchka et la remirent à la maîtresse de maison qui s’émut:
– Mais qui donc m’as-tu amené? C’est une folle!
Il fallut peu de temps pour que tout s’éclaircît. Maria était séparée de son mari et celui-ci, visiblement en état d’ébriété, fit irruption dans la maison et réclama:
– Amène les icônes, on va partager les biens ou tu paies une compensation.
Maria ne fut pas d’accord. Alors, son ex-mari grimpa sur la table et commença à décrocher les icônes du mur (exactement comme Mère Natalia avant lui), en criant:
– C’est mon icône!
– Non, elle m’appartient! répliqua la maîtresse de maison.
Et quand il se mit à la battre, Maria cria: «Au secours, on m’assassine!». La police fut appelée et tout ce que Mère Natalia avait prédit s’était réalisé.
Traduit du russe.