C’est le 4 juin 1995 que décéda l’Higoumène Makrina (Vassopoulou) de bienheureuse mémoire, supérieure du Saint Monastère de l’icône de la Panagia Odigitria à Portaria (Volos). Le prêche ci-dessous, prononcé à l’occasion du début d’une année nouvelle, est l’un des plus marquants de cette Sainte Mère. Il a été publié en 2005 dans les pages russes du site Pemptousia, lié au Saint et Grand Monastère de Vatopedi

Jadis vivait un Abba avec ses disciples dans une ascèse sévère. A courte distance du lieu de leurs exploits ascétiques se trouvait une kelia en ruines. Et voilà qu’un jour se présenta un autre abba, qui demanda à pouvoir vivre dans la kelia délabrée. Il dit: «Abba, pourrais-tu me donner cette kaliva, afin que je vive à proximité de vous?» Le geronda lui répondit: «Pourquoi ne te la donnerais-je pas? Que Dieu bénisse, prends-la!». Et l’autre abba s’installa à cet endroit. L’abba nouvellement arrivé était un grand connaisseur de l’âme humaine, et les gens venaient le voir sans cesse. Le premier abba, voyant que les gens défilaient auprès de l’autre geronda et personne ne venait auprès de lui, ne put s’accommoder de la situation. Au bout d’un certain temps, il dit à l’un de ses disciples: «Va dire à cet abba qu’il doit quitter la kaliva et s’en trouver une autre pour y demeurer, car j’ai besoin de celle-ci». Il répondit:
-Bénissez, Père!
Il se mit en route et arriva:
– Comment allez-vous, Père? Lui demanda le jeune novice.
– Mon enfant, comment puis-je aller? Je travaille et mène mon labeur ascétique.
– Mon père spirituel te fait une grande métanie et t’envoie ses respects.
– Eh bien, transmets-lui ma bénédiction et dis-lui que je demande ses prières, car je souffre des entrailles.
Au bout d’un certain temps, l’abba constata que le moine continuait à demeurer dans la kelia, et les gens continuaient à arriver. L’abba demanda au jeune novice d’aller de nouveau demander au moine de quitter sans tarder la kelia où ils étaient installés. Le novice s’exécuta.
– Que veux-tu mon enfant? Pourquoi viens-tu vers moi? Demanda le moine.
– Père, je suis venu t’informer. Mon geronda a appris que tu étais malade et m’a envoyé te transmettre son salut et sa bénédiction. Il t’apprécie énormément et t’aime beaucoup.
– Je lui en suis fort reconnaissant, et je ne trouve pas les mots pour exprimer ma reconnaissance pour son grand amour pour moi. Dis-lui que je me sens déjà mieux grâce à ses prières.
Le jeune novice revint dans sa kelia et dit à son geronda: «Pour dimanche il sera parti, si telle est la volonté de Dieu». Entendant cela, l’inquiétude de l’abba se mit à croître. Quoi qu’il en fût, les gens continuaient à affluer vers le moine. Le dimanche arriva, et le moine ne partait toujours pas. A bout de patience, l’abba dit: «Maintenant, j’y vais et c’est avec mon bâton que je vais le chasser de cette kelia». Il se leva et sortit.
– Attends, j’y vais d’abord, se hâta de dire le jeune novice. Je lui dirai que tu viens à sa rencontre, afin que tu ne doives ni courir, ni t’épuiser. En même temps, je veillerai à ce qu’il n’y ait personne qui puisse entendre et qu’il n’y ait aucun scandale partout là où tu es.
Et le voilà parti à la hâte. Il dit au moine: «Père, maintenant, mon geronda arrive. Il vient rempli d’amour pour te voir et t’inviter dans notre kelia». Quand le moine entendit que l’abba, le maître de la kaliva, venait vers lui, il pensa que la marche devait l’épuiser et se mit en route à sa rencontre. Quand il eût marché et l’aperçut, il lui fit une grande métanie: «Mon frère, mon père, mon bienfaiteur!», et il commença par lui exprimer de nombreuses paroles de gratitude. Et dès que le geronda vit l’amour de ce moine, il s’attendrit et l’étreignit. Sans un mot, il l’emmena dans sa kelia. Ensuite, il demanda à son disciple:
– Lui as-tu répété ce que je t’avais dit?
– Non. Répondit le novice.
– Il enleva alors son skoufa et dit à son disciple:
– Je ne suis pas digne d’être ton père spirituel. C’est toi qui doit porter ce skoufa.
Voilà l’histoire que je voulais vous raconter. Voyez-vous tout l’amour qui remplissait les moines et les novices? Si le moine avait répété tout ce que lui avait dit son geronda, l’autre se serait fâché et hors de lui, aurait dit: «Pourquoi me dit-il cela? Il n’avait aucun besoin de cette kaliva, il me l’a donnée lui-même pour que j’y vive. Ou peut-être est-ce à cause de tous ces gens que j’attire ici? Mais c’est le Seigneur qui les amène!».
Quelle piété, quel amour, caractérisaient alors la vie des moines, quelle compassion et quelle vénération! Grande, en vérité, fut la démarche du jeune novice. Tellement il en était affecté, il prit tout le soin nécessaire à maintenir en paix le cœur des deux gerondas. Il fit preuve dans son obédience du plus grand discernement. Son geronda lui disait «Fais ceci, ou fais cela», mais il agit de façon à ce que cela convienne aux deux gerondas. Il obéissait en toutes choses et allait là où l’envoyait son geronda. Il était convaincu de ce qu’ «il faut accomplir ce que veut le Seigneur». Il était habité par la grâce de Dieu, qui l’éclairait dans les actes qu’il devait accomplir, afin d’aider son geronda. Quelles relations unissaient ces gens, quelle beauté! C’est pourquoi nous devons avoir une forte sensation de discernement et de crainte de Dieu dans notre âme.
La calomnie est chose très affreuse! Aujourd’hui, dès que nous entendons une quelconque conversation, nous nous empressons d’aller la répéter, telle que nous l’avons comprise. Mais ce faisant, nous ignorons si c’est juste et si c’est bon, mais quoi qu’il en soit nous allons la répéter. Mais réfléchissez à la belle démarche de ce jeune novice au profit des deux gerondas! Quel grand amour, quelle grande compassion! De quelle manière il unit les deux gerondas, comment il aida le sien afin que la colère le quitte et que les deux anciens vivent dans l’amour et la paix!
Écoutons avec attention les récits de la vie des saints moines et des martyrs, pendant les repas. Aujourd’hui, nous avons entendu ensemble la vie de Sainte Mélanie. Quelle belle vie mena Sainte Mélanie! Quelle beauté spirituelle elle possédait! A cette époque on mariait les jeunes filles à quatorze ans. Quand elle partit au monastère, elle avait quinze ans. Elle s’y rendit avec le consentement de son mari. Tous deux devinrent des ascètes. Malgré son jeune âge, elle portait la ceinture de crin et travaillait autant que les moniales adultes. Si nous cherchons à imiter la vie des saints, chacune de leurs bonnes actions est un enseignement pour nous. Souvenez-vous que nous avons entendu un jour la vie d’un saint qui disait: «Celui qui me vénérera, qui se tournera vers moi en cas de nécessité, qu’il lise ma vie et il se débarrassera sans tarder des tentations et des faiblesses». Pourquoi ne nous placerions-nous pas sous la protection des saints qui nous disent que nous serons débarrassés de tout souci, de nos passions qui nous torturent, des faiblesses qui provoquent nos souffrances? Les saints nous aident quand nous lisons leur vie avec attention, et immédiatement, ils nous bénissent. Nos devons être attentif à ce que nous entendons pendant les repas. A la fin de l’heure de table, nous retournons dans nos cellules, nous nous reposons un peu, nous lisons, prions, égrenons le komboschini, adressons quelques mots au Christ, quelques mots à la Panagia, sans verbiage ni jugement, sans rien de superflu. Ne passons pas nos heures, nos mois, nos années sans que cela ne soit utile. Dans nos vies, tout doit être spirituel: écrivons, lisons, et nous verrons la lumière de Dieu. Quelle grâce vous ressentez quand on lit tout cela à l’heure du repas. Vous ne pouvez résister à un tel changement, une grande grâce vous emplit!
Et lorsque nous menons notre combat ascétique, le Seigneur donne, obligatoirement. Si quelqu’un décide de faire un effort, et pendant seulement une semaine reste silencieux, en se disant: «Pour l’amour du Christ, je ne bavarderai pas, et personne n’entendra le son de ma voix, je prierai avec le komboschini, je consacrerai quelques forces à l’abstinence et aux veilles et je ferai ce que veut le Seigneur», vous verrez l’action de l’amour de Dieu. Elle surgira dans votre cœur et vous comprendrez que la grâce de Dieu est pareille au miel. Souvent, je me rappelle que jadis nous avions l’habitude de manger des salaisons, du poisson salé, par exemple, et nous étions accablées par la soif. Je disais: «Je ne boira pas d’eau, quoi qu’il arrive, je ne boirai pas». Le Seigneur nous envoyait la grâce, mais nous n’y attachions pas d’importance. Si nous faisons ce que nous dicte la raison et donnons au corps ce qu’il souhaite, où reste l’abstinence dont nous parlons?
Autrefois vivait un geronda dont la kelia fut visitée par un bandit qui lui dit: «Geronda, j’ai déjà tué 99 hommes, tu vas être le centième». Entendant cela, le geronda répondit: «Qu’il en soit donc comme tu le dis, mon enfant, au nom du Seigneur, que cela soit béni car alors c’est que l’heure de quitter ce monde est arrivée pour moi. Mais tout d’abord, va me chercher un peu d’eau et ensuite, tu pourras me décapiter». Il se leva, empoigna la cruche du geronda et partit lui chercher un peu d’eau. Il accomplit cela comme une obédience. Mais dans la mesure où il avait d’abord confessé ses péchés, avouant avoir assassiné 99 hommes et que le geronda serait le centième car il allait le tuer, et qu’ensuite, il était allé chercher de l’eau par mesure d’obédience, la miséricorde de Dieu ne l’abandonna pas. Quand revint le bandit, apportant l’eau, le geronda tomba à genoux et commença à prier ardemment: «Aide-le, ne fais pas ce dont Tu avais l’intention! Mon Christ, aide-le, il est écrasé par le repentir!» A ce moment, alors qu’il remplissait la cruche, une transformation s’opéra dans le cœur du bandit, et il se mit à pleurer. Là, dans la solitude, il fut écrasé par l’humilité, il pleurait à un point tel que son châle en fut trempé. Pendant que le geronda priait, il vit l’homme entièrement revêtu de blanc, une couronne dorée sur la tête. Il demanda: «Qui est-ce?». En réponse, il entendit une voix: «C’est le bandit qui voulait te tuer, mais comme il a commencé à se confesser à toi, et ensuite a accompli son obédience, maintenant, il entrera dans le Royaume céleste». L’abba se releva et partit à la rencontre du bandit, qu’il trouva mort. Quelle divine miséricorde! «J’en ai tué 99 et tu seras le centième!». Voyez comment est l’amour de Dieu, Sa longanimité, Sa miséricorde, voyez, réfléchissez…
Et aujourd’hui, nous ne faisons rien, nous ne sommes pas longanimes, nous ne nous armons pas de patience, nous n’avons pas l’humilité pour oser dire: «Qu’il en soit comme Dieu l’a voulu, Lui qui a permis mes péchés. Il a vu comme j’ai chagriné le Seigneur et le Seigneur a fait en sorte qu’on m’adresse les paroles que l’on m’a dites». Quand l’homme est humble et obéissant, on voit la grandeur de son âme: «Bénis, qu’il en soit comme le Seigneur le veut, je Te rends grâce, Mon Dieu». Lorsque nous nous sentons humilié par l’un ou l’autre, partons et rentrons dans notre cellule, nourrissant d’humbles pensées, la grâce de Dieu ne nous visitera-t-elle pas? L’âme dure comme le marbre ne changera-t-elle pas si nous renonçons à notre volonté et à nos plans? Le Seigneur ne nous parlera-t-Il pas? Et quand nous verrons ce changement en nous, prions et disons: «Je m’efforcerai de ne plus blâmer personne dans mon âme, personne». Rassemblons nos forces pour être capables de dire: «Pour moi, cet homme ou cette femme est un saint, pour moi c’est un saint, pour moi, c’est un saint». De cette façon, notre âme se débarrasse de toute offense envers autrui. Et si nous ne comprenons pas cela, n’est-il pas possible pour le Seigneur d’attendrir ce cœur de pierre, ou de le faire éclater en petits cailloux et d’enlever tous ces cailloux jusqu’à ce qu’il n’en reste plus un seul en mon cœur? Voilà! C’est cela la miséricorde de Dieu, c’est cela l’amour de Dieu, c’est cela la miséricorde infinie de Dieu; les saints disent: «Seigneur! Calme les vagues de Ta grâce sur moi»1 , car ils ne peuvent se tenir devant la miséricorde de Dieu, devant cette grâce qu’Il envoie. Pourquoi sommes-nous incapables de vivre dans une telle spiritualité, pourquoi sommes-nous dépourvus d’une telle grandeur dans notre âme? Notre âme est emplie de pensées qui disent: «Celle-là m’a fait ceci et cela. Cher ami, où que tu ailles, comment te cacher et échapper à la miséricorde de Dieu? Dieu te supporte sur cette terre, Il te nourrit, Il t’abreuve, Il te donne la santé, Il te donne tous Ses dons de bonté. Pourquoi Le chagrines-tu? Pourquoi ne parles-tu pas à ton prochain? Pourquoi agis-tu avec impatience avec ton prochain? Si tu changes cela, alors seulement, la grâce de Dieu visitera l’âme humaine, et ensuite, l’homme sentira qu’en lui demeure un ange aux ailes d’or, qui le transporte dans le jardin céleste de Dieu, afin qu’il soit à côté de la Toute Sainte Mère de Dieu, qui le transporte de la terre vers le ciel où vivent les anges.
Imaginons profondément que nous vivons une vie angélique. Je ne parviens pas à me représenter comment nous serions et ce que le Seigneur donnerait à nos cœurs! Ce que nous sentons en nos cœur est impossible à conceptualiser avec la raison! Vous savez ce que dit un ange? Il ne se moque pas, il ne se fâche pas, il ne trompe pas, il ne blâme pas, il ne juge ni ne condamne, il ne dénigre pas ni ne s’enorgueillit.
Une question fort importante est celle du jugement et de la médisance. Nous devons y être particulièrement attentifs, car l’un des plus grands péages que nous devrons traverser est celui des jugements et des calomnies. Dès lors, tant que notre âme contiendra des offenses envers le prochain, pareille tentation empêchera la grâce de Dieu de nous visiter. La Grâce du Très Saint Esprit ne pourra entrer dans notre âme et y séjourner afin d’allumer et de renforcer cette lumière incréée dans notre cœur. Et le plus grand mal que nous bannissons, c’est «Pourquoi en va-t-il ainsi?», «Pourquoi cela s’est-il passé ainsi ;cela devait se passer autrement et non pas comme cela s’est passé». Ainsi, quand survient un événement, l’higoumène demande à Dieu de tout son cœur: «Mon Dieu aide-moi, donne-moi Ta patience, donne-moi Ton amour, donne-moi l’amour dont j’ai besoin pour pouvoir aimer comme Tu aimas Ton Fils». Car Dieu est tout amour, l’amour « excuse tout, …croit tout, …espère tout, ….supporte tout»(1Cor1,7). L’amour fait tout. S’il n’en va pas ainsi, les pensées tournent sans cesse, elle ne partent jamais. Nous oublions le Christ. Mais le Christ garde ses bras grands ouverts et dit: «Viens, Mon enfant, viens Mon petit, viens Mon cher, Mon joyau, viens vers Moi, viens que Je t’étreigne, viens et Je te consolerai, viens vers Moi et fais ce que tu demandes, ce que tu souhaites». Voilà ce que veut le Seigneur. Il veut beaucoup d’amour, Il veut beaucoup de bien, Il veut que nous devenions de petits Christs, et vous verrez ce qui se produira en nous, ce que nous ressentirons! Comme le disait quelqu’un: «Les saints anges sont plus que notre respiration». Imaginez ce qui se produit!
Et maintenant, pour cette nouvelle année, bien que la nouvelle année soit un événement laïc et non pas religieux, je souhaite et je prie la Panagia et notre Christ, et notre Geronda prie aussi, pour que nous vivions comme il convient, spirituellement, dans la sainteté ; et tout ce passé est le résultat de nos faiblesses, de nos passions, de nos défauts. Que le Christ nous pardonne et nous donne le repentir, qu’Il nous éclaire et sanctifie nos âmes, car Il est miséricordieux et Son amour est grand, surtout envers moi, qui n’accomplis pas la volonté de Dieu car nous ne pouvons changer d’endroit, et nous n’obtenons pas les succès que nous devrions atteindre. C’est pourquoi nous implorons notre Christ, de nous pardonner si nous péchons devant Lui, sciemment ou par ignorance, en actes, en désobéissant. Tous les péchés que nous avons commis devant Lui, qu’Il nous les pardonne et nous fasse don de Sa miséricorde pendant l’année qui commence et nous aide à vivre dans le bien. Nous essaierons de tout faire selon la volonté du Seigneur Qui nous appelle pour que nous goûtions Son bien éternel.
Je vous souhaite de nombreuses années de vie. A tous ceux qui ne sont pas moines ou moniales, je souhaite de devenir de bons moines, de prendre l’habit angélique, afin de vivre dans ce grand amour et dans la foi en Dieu, et de mener leur lutte ascétique dans l’activité spirituelle. A toutes celles et ceux qui sont moniales et moines, puissent-ils apprécier à sa plus grande valeur leur appel monastique et respecter la promesse faite à Dieu, car Il nous demande beaucoup, notre Christ. Que la grâce de Dieu nous aide tous, et que les prières de notre Geronda nous ouvrent le chemin vers notre salut, et nous vivrons, grâce à Dieu.
Je vous souhaite de nombreuses années bénies!
Traduit du russe
Source.

 

  1.  Saint Ephrem le Syrien