Le Saint Tsar Nicolas II a tenu un journal depuis sa jeunesse jusqu'à la veille de son assassinat. Il s'agit d'un rapport très factuel et toujours bref des événements du jour, sans commentaire ni digression, sans considérations spirituelles, philosophiques ou politique, mais émaillé tout de même d'une série «d'états d'âmes». Ceux-ci sont particulièrement présents dans les extraits ci-dessous car ils couvrent la veille, le lendemain et le jour-même du mariage du Saint Tsar avec la Sainte Tsarine Alexandra. Une semaine auparavant, le 7 novembre, avait eu lieu l'inhumation d'Alexandre III, père de Nicolas II, décédé le 20 octobre à la résidence impériale de Livadia en Crimée, à l'âge de 49 ans. Les dates sont celles du calendrier julien. A la traduction du 'journal' est ajoutée, à titre de contrepoint, la traduction de l'extrait d'une lettre du Saint Tsar Nicolas II à son frère le Grand Duc Georges1 .
13 Novembre. Dimanche.
Pour moi, jour de repos – ni rapport à étudier, ni personne à recevoir. A 11 heures, je suis allé à la Liturgie, pour la première fois, dans notre douce petite église. Quelle tristesse, quelle peine de me tenir en cet ancien lieu, sachant qu’une place y demeurera vide à jamais. Les mots ne sont pas à même d’exprimer comme cela est dur et pénible pour ma chère Maman! Nous avons déjeuné comme toujours; moi, seul dans le cabinet de travail de Papa, les autres, à la salle à manger. Nous nous sommes baladés dans le parc et avons fait une promenade avec les vélos; le soleil s’est montré et le temps a refroidi. J’ai vu ma douce Alix lors du thé; je l’ai raccompagnée et nous nous sommes séparés vers 8 heures. Nous ne pouvons plus nous voir! Jusqu’au mariage. Il me semble que ce mariage est celui de quelqu’un d’autre. Il est étrange de penser à mes noces en pareilles circonstances! J’ai dîné et passé la soirée calmement, auprès de Maman.
14 novembre. Lundi.
Jour de mon mariage! Après avoir pris le café avec les autres, je suis allé me changer; j’ai revêtu l’uniforme des Hussards. A 11.30 h, je suis allé avec Micha2 au Palais d’Hiver. Tout le long de la perspective Nevski, les soldats montaient la garde pour le passage de Maman en compagnie d’Alix. Pendant qu’elle terminait sa toilette dans la Salle Malachite, nous attendîmes tous dans la Chambre Arabe. Dix minutes plus tard, les premiers entraient dans la grande église, dont je sortis en tant qu’homme marié! Mes témoins étaient Micha, Georgie, Cyrille et Serge. Dans la Salle Malachite, on nous amena un énorme cygne d’argent, cadeau de la famille. Lorsqu’elle fût prête, Alix prit place à mes côtés sur le char harnaché à la russe et mené par un postillon et nous avançâmes en direction de la Cathédrale de Kazan. Il fallut fendre la foule dans les rues; c’était à peine si on pouvait avancer! Quand nous somme arrivés au Palais Anitchkov, nous reçûmes les honneurs du Régiment des Uhlans de la Garde Impériale de l’Impératrice. Maman nous attendait dans nos chambres avec l’offrande de pain et de sel. Nous avons passé la soirée assis à répondre aux télégrammes et nous avons dîné vers 8h. On est allé se bâcher tôt, elle souffrait d’une très forte migraine.
15 novembre. Mardi.
Ainsi donc, je suis un homme marié! Personne, heureusement, ne nous a dérangés pendant la journée, passée à répondre tranquillement aux télégrammes! Après le café, Maman nous a rendu visite. L’aménagement des nouvelles chambres lui plaît. Ce que nous préférons, c’est de nous installer dans le coin. Nous avons déjeuné à une heure. Youri également (Il est officier de garde). Nous sommes allés à la forteresse3 , prier sur la tombe de mon cher et inoubliable Papa; le peuple y était présent en masse! J’ai fait du vélo dans les jardins. A 5h, la famille est arrivée chez nous, chargée de cadeaux pour mon Alix et ils sont restés pour le thé. Avec Ernie4 , nous avons dîné à trois. Ensuite je l’ai raccompagné, ainsi qu’Irène et Henri, à la gare. Ils partirent à 8h45. Le soir, nous nous assîmes à l’étage pour lire, jusqu’à 11 h, le courrier arrivé de l’étranger.
Lettre de l’Empereur Nicolas II à son frère puiné, le Grand Duc Georges Alexandrovitch :
«Le jour de la noce fut un martyr affreux tant pour elle que pour moi. La pensée que notre cher, inoubliable et bien-aimé Papa n’était pas parmi nous, et que toi, tu étais seul et loin de la famille, ne m’a pas quitté de toute la cérémonie. J’ai dû faire appel à toutes mes forces pour ne pas éclater en sanglots devant tout le monde dans l’église. Maintenant, j’ai retrouvé un peu de calme. Une vie complètement nouvelle a commencé pour moi… Je ne puis suffisamment rendre grâce à Dieu pour le trésor qu’il m’a envoyé en la personne de mon épouse. Je connais un bonheur sans mesure avec Alix et je sens que nous vivrons dans ce bonheur partagé jusqu’à la fin de notre vie.»
Traduit du russe.