L’article ci-dessous, publié le 13 octobre 2018 sur le site Ruskline.ru est dû au Père Guennadi (Belovolov), le prêtre de la paroisse rurale de Somino, un petit village éloigné de 350 km de Saint-Pétersbourg. Il est également Directeur de l’Appartement-Mémorial de Saint Jean de Kronstadt, et fut l’acteur central de la restauration du Podvorié du Monastère de Leouchino à Saint-Pétersbourg. Homme de Dieu d’une activité débordante, il prend soin de la restauration d’anciennes église, de la construction de chapelles et d’oratoires dans les campagnes et forêts de sa paroisse. Docteur en littérature russe et spécialiste de Dostoïevski, il a rédigé de nombreux livres et brochures et participé à la réalisation d’une trilogie cinématographique sur Saint Seraphim de Vyritsa. Cette trilogie a remporté un prix dans un festival organisé à Kiev la semaine dernière et Batiouchka Guennadi en profite pour nous livrer son ressenti de la tension qui règne sur place.
C’est de façon tout à fait inattendue que je me suis retrouvé en l’antique cité de Kiev, en ces jours décisifs pour notre histoire. Il est évident que cette période prendra un sens particulier dans nos mémoires ; elle n’est pas à son terme, on pourrait dire qu’elle commence et pourrait adopter un développement encore insoupçonné par tout un chacun. Suite à l’invitation du Comité organisateur, et avec la bénédiction de l’Evêque Mstislav, j’ai pris part, du 8 au 12 octobre, au Festival International du Film «Pokrov» à Kiev, qui se déroule sous le patronage de l’Église Orthodoxe d’Ukraine du Patriarcat de Moscou. Il fut initié par le célèbre et vénéré archiprêtre Alexandre Akoulov, et c’est l’Archevêque d’Oboukhov Jonas (Tcherepanov) qui dispense l’inspiration spirituelle de ce festival du film. Le Festival en est à sa seizième édition, et je me réjouis de ce qu’elle ait eu lieu. Son niveau et son ampleur ont dépassé toutes les attentes. Plus de 70 films et documentaires y furent présentés. Il rassemblait surtout des représentants du cinéma russe, ukrainien et biélorusse. Mais on y présenta également des films venus du lointain étranger, de Serbie et même d’Amérique. De plus, fut présenté le film, clair et talentueux, «Paul, Apôtre du Christ», célèbre en Amérique, du réalisateur Andrew Hyatt, qui participa aux travaux du festival.
J’ai participé à ce festival en qualité de membre du groupe qui a créé un documentaire-trilogie cinématographique au sujet de Saint Seraphim de Vyritsa, avec le réalisateur Nicolas Yakimtchouk et l’opérateur Serge Levachov. Un des trois films de la trilogie, «Le Sauveur sur Oukra. Au village natal de Seraphim de Vyritsa». Ce film pétersbourgeois fut accueilli chaleureusement et récompensé par un diplôme.
Mais pour moi, l’évènement principal n’était pas vraiment le festival cinématographique, mais, avant tout, les événements historiques constituant le fond sur lequel se déroula ce festival.
Dans l’air de Kiev, on respirait littéralement la tension des événements en cours. L’accueil matinal des participants au Festival était remplacé par un échange des dernières nouvelles, des réflexions et des supputations. On sentait que la situation se trouvait sur un volcan. On avait l’impression d’une promenade dans un champ de mines.
J’ai beaucoup discuté de la vision de la situation : avec des hiérarques, des clercs, des laïcs, invités au Festival. Les propos du Métropolite Jonathan de Toultchine et Bratslav, ancien supérieur de la Laure des Grottes de Kiev à la fin des années ‘80, me parurent particulièrement significatifs. Le Festival était consacré à la commémoration de la réouverture de la Laure des Grottes de Kiev. Voici trente ans, en 1988, la Laure fut rendue à l’Église Orthodoxe de Russie, et le futur Métropolite Jonathan fut désigné comme supérieur. En réponse à la question de la situation en Ukraine, il répondit soudainement par les paroles de l’Apôtre Paul : «Étant regardés … comme mourants… voici, nous vivons» (2Cor.6,9). Ces paroles que l’Apôtre Paul adressa aux Corinthiens concernaient les premiers Chrétiens, dans la période de leur persécution, mais elles s’appliquent mieux que jamais à la situation actuelle en Ukraine. Les schismatiques fêtent leur victoire et semblent la célébrer extérieurement dans les rues, mais c’est l’actuelle Église canonique d’Ukraine qu’inspire le sentiment qui habita l’Église des premiers chrétiens.
Je fis part de mon impression, selon laquelle l’Ukraine était comme une ligne de front. Vladika répondit qu’ils vivaient sur cette ligne de front depuis trente années déjà. Ces mots permettent de comprendre le ressenti intérieur de l’Église canonique d’Ukraine. Il nous suffira de dire que partout à Kiev on voit des affiches, parfois de taille gigantesque, portant des textes comme «Une Église Locale est une Garantie d’Indépendance. Pëtr Porochenko». Le pouvoir exerce une pression sur l’opinion publique, sans cacher la dimension politique de ce projet.
Mais dans tout ce qui se produit aujourd’hui, il n’y a aucun principe nouveau. Simplement la pression du pouvoir, la nouvelle idéologie, ont remonté fortement l’opinion publique, mais cette pression s’exerce depuis trente ans. Quant à l’Église canonique, elle ne s’y attache pas trop. Dans les propos des hiérarques, j’ai vu et entendu qu’ils sont préparés à une persécution, prêts à résister et à tenir.
Cette situation est particulièrement imprévisible et peu ordinaire. Au cours de trente années, l’Église canonique a préservé la pureté de l’Orthodoxie et la fidélité aux canons, et soudain, l’Église qui confesse la foi reçoit un coup de couteau dans le dos de la part du Patriarche Œcuménique, un crachat manifeste à la face de l’Église persécutée protectrice des canons. De la part de qui ? De ceux qui à maintes reprises ont clamé leur soutien. Dans les conversations et les prêches que j’ai entendus prédominait le sentiment de la trahison de Constantinople. Un prêtre vénérable, dont je tairai le nom, a répondu brièvement à la question de la situation actuelle : «Cette question est absurde. Tout ce qui arrive dépasse toutes les limites de la raison et ne s’intègre dans aucune conception de la vie de l’Église».
Par la bénédiction du Métropolite Paul, le supérieur de la Laure des Grottes de Kiev, il me fut donné de concélébrer à la Laure des Grottes Lointaines. Les conversations avec nos frères et les habitants commençaient toutes par la question «Que va-t-il se passer?» La situation est très inquiétante, mais j’ai entendu, de la bouche de l’un des archimandrites concélébrant, des propos inspirant la confiance : «Il faut endurer. Le Seigneur arrangera tout». Ses mots me disaient la préparation à porter la croix de l’affliction, la préparation au podvig de la patience. Comme on le sait, le Seigneur a dit «Celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé». (Mat. 10,22).
L’Église canonique d’Ukraine portant sa croix, est au seuil d’un exploit ascétique de souffrance et de patience. Les événements peuvent passer à une phase aiguë. De façon compréhensible, l’Église canonique n’acceptera pas ce synode non-canonique et n’admettra pas la constitution d’une Église anti-canonique. Évidemment, le pouvoir exercera une pression sur elle, il entreprendra des tentatives de lui enlever des sanctuaires, au premier rang desquels, la Laure des Grottes de Kiev. Il est possible que les premiers problèmes surgissent déjà lors de la Fête du Pokrov. Ce n’est pas un hasard si le Métropolite Paul, supérieur de la Laure des Grottes de Kiev, a appelé les fidèles à venir à la Laure pour célébrer cette Fête, et surtout à ne pas quitter les lieux après la Liturgie, ni au cours de toute cette journée au cours de laquelle des molebens seront célébrés dans la Laure.
On sent un élan de prière dans toute l’Église. Dans de nombreuses Églises, on célèbre des molebens pour l’unité de l’Église. Dans l’Église de la Dîme, sur la colline du vieux-Kiev, où on préserve les ruines du plus ancien édifice religieux, à côté de l’église en fonction, on procède à la lecture incessante du psautier. Clercs et laïcs se relaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour lire les psaumes avec des prières particulières pour la reconstruction de cette église ainsi que pour la protection de l’Église lors de chaque «Gloire au… ». J’ai pu prendre part à cette veillée. Il se fit que nous arrivâmes à l’église vers minuit et lûmes ensemble le psautier pour ensuite célébrer une Liturgie nocturne. On m’a raconté que chaque dimanche, à la Laure des Grottes de Kiev, les laïcs demeurent à la Laure après les offices, afin de prier et vénérer les reliques.
Globalement, j’en retire le sentiment d’un combat spirituel qui se déroule sur les saintes collines de Kiev. J’ai constaté un puissant zèle, un élan de prière chez les clercs, les moines et les simples gens, prêts à résister spirituellement dans la fidélité au Christ et j’y ai moi-même reçu une puissante charge spirituelle d’inspiration à la prière. Kiev demeure notre centre spirituel et conserve son appellation historique de «Mère de toutes les villes russes».
Traduit du russe
Source.