Le 4 mai 2018, nous rappelions les décès successifs depuis un an de plusieurs grands starets russes. Entre-temps est venu se rajouter celui du starets Adrian. Et cette triste série se poursuit. Le 17 août 2018, l’Archimandrite Lazare (Abachidzé) est décédé. Il était l’un des auteurs favoris de très, très nombreux fidèles; même dans leur version russe, la plupart de ses livres sont épuisés, malgré les rééditions successives. L’article original russe traduit ci-dessous a été publié le 27 août 2018 sur le site Pravoslavie.ru sous le titre «Un Prédicateur du Christianisme de la tempérance. A la mémoire de l’Archimandrite Lazare». Ce texte est dû au Hiéromoine du grand schème Valentin (Gourievitch) et à Madame Olga Orlova. Deuxième partie.

L’écrivain spirituel, l’Archimandrite Lazare (Abachidzé), est décédé.
Bétanie (Géorgie), le 20 août 2018.

La plus dangereuse des substitutions.

Combien de fautes ne se dévoilent-elles pas après un moment de silence, même dans nos habitudes et pratiques religieuses bien ancrées…? Dans un autre chapitre de ses exhortations, le Père Lazare écrit : «Nous pensons nous sauver «d’une manière ou d’une autre», «en passant», «entre autres choses», tout comme nous accomplissons la plupart des choses ennuyeuses, mais indispensables ou utiles. Ou pour le dire mieux encore, nous considérons toute notre vie en l’Église, notre vie de chrétien, comme une sorte de tranquillisant spirituel, c’est-à-dire, essentiellement, une forme de somnifère qui endort le ver agaçant, notre conscience troublée, et le plus souvent aussi comme une espèce de redevance ou de don qu’il est nécessaire de payer à des moments convenus afin d’avoir le droit à une vie insouciante le reste du temps.
Revenons à la maxime du Père Lazare: «La vie chrétienne est terrible». Nous avons l’impression qu’il faut non seulement allumer un cierge, mais aussi que le porte-cierges soit propre, et les plus avancés pensent qu’il convient de se hâter d’aller chaque jour à l’église (et il est préférable d’y arriver avant que le prêtre encense l’église, «pour qu’il me voie»)…
«Nous avons remplacé le podvig de la foi par la ‘piété’», voilà le malheur, écrivait un autre ascète de notre époque. Dans ces conditions, pour nous, une certaine «honnêteté» est devenue plus importante que le Christ. Et une société de ces «gens honnêtes» peut de même paraître plus intéressante.
Le Père Lazare écrit que jadis, dans un passé pas très éloigné, au XIXe siècle même, se répandit l’expression (quand on parlait du carême, de la confession ou à la communion aux Saints Dons) «accomplir ses devoirs chrétiens». «Se confesser, communier aux Saints Dons, un devoir?!» écrivit l’auteur pour exprimer son indignation. Tu avais faim, tu mourais d’inanition, tu étais couvert de plaies purulentes, et on t’a appelé dans le palais du roi, on t’a lavé, on a enduit tes plaies de baume, on a lavé tes vêtements, on t’a nourri et servi du vin. Le roi lui-même a pris soin de toi et toi, en sortant, tu dis : «Je suis allé là pour remplir mon devoir envers le roi ; maintenant, j’ai la conscience tranquille, et je puis, le cœur en paix, à nouveau retourner dans les crasses des poubelles et me vautrer dans la crasse». Est-ce de cela qu’il s’agit? Non! Pareil marchandage, pareilles ‘petites affaires’ avec Dieu, cela relève du blasphème, du sacrilège. Ces «peut-être», cette «amitié dans les cas extrêmes», cette «assurance pour les mauvais jours» peuvent passer partout, dans toutes les circonstances de ce monde, mais pas dans le domaine de l’Amour. Dans la sphère de l’Amour, la tiédeur est dégoûtante».
Il faudra se battre, et mieux vaut s’y préparer bien à l’avance.
Rappelons-nous les néo-martyrs, qui malgré cette folle sauvagerie qui régnait encore dans la société du siècle dernier, goûtèrent réellement la nourriture de la grâce de l’Esprit Saint, et ensuite, stoïquement et souvent même de leur plein accord, subirent d’innombrables supplices et afflictions raffinés des mains de leurs persécuteurs et de leurs bourreaux. «Cela signifie que l’Esprit, en dépit de toute la prospérité extérieure, était vivant, dans la Russie Tsariste!», s’émerveilla l’Archevêque Mark (Arndt) de Berlin et d’Allemagne, de notre Église Russe hors Frontières, en prenant connaissance des faits relatés dans les biographies des néo-martyrs et des confesseurs de la foi. Il œuvra largement à leur cause et permit d’anticiper leur glorification dans l’ErhF.

Une autre question-clef.
L’Apôtre Paul écrivit: «Je sais vivre dans l’humiliation, et je sais vivre dans l’abondance»(Phil.4,12). «Mais qui parmi nous est capable de vivre dans l’abondance?!», interrogea à plusieurs reprises Vladika Alexis (Frolov), Évêque d’Orekhovo-Zuyevski et ensuite, Archevêque de Kostroma, aujourd’hui décédé. Il lui est arrivé d’admettre, dans le cercle de ses proches, que lorsqu’il était vicaire de Sa Sainteté Alexis II, il était obligé, à des dates particulières pour le Patriarche ou lorsque des Primats étaient les hôtes de celui-ci, de se procurer des présents correspondants au rang élevé de ceux à qui ils étaient destinés. Et il s’en allait à l’Arbat… Quand il sortait de la voiture, il relevait le col de son manteau et tenait le regard collé au sol. Et… il entrait dans une boutique, puis dans une autre… Ah, se disait-il avec un tremblement «Ici, ça a une autre allure!» Rien que du monastique; vendu! «Une demi-heure et j’avais fini!», résumait Vladika. Et si cette vie prospère venait à pousser ses tentacules-métastases dans le cœur?… Il y avait de quoi perdre des néo-martyrs. Mais ils étaient là, les archevêques impériaux, avec leurs carrosses dont l’importance de l’attelage était fonction de leur statut, de même que les harnachements du type haleurs de bateaux de pêche sortis tout droit d’un artel perdu des Solovkis. Mais rien à faire, il fallait exprimer de la complaisance! Et si cela ne pouvait se faire sans éprouver une certaine douleur, il fallait accepter cela comme l’action curatrice et purificatrice du scalpel dans la main de Dieu.
L’histoire du Juste Job, qui endura maintes souffrances, a beaucoup à nous apprendre en cette matière consistant à introduire notre lecteur, dans le meilleur des cas notre pieux et dévot lecteur, à l’enseignement du jeune soldat, l’Archimandrite Lazare. Et il vaut mieux se préparer bien à l’avance. Il faudra combattre! C’est la loi de la vie spirituelle! «Le malin vous a réclamés, pour vous cribler comme le froment»(Lc 22,31).

Au Paradis il n’y a personne qui n’ait été crucifié et qui ne soit humble.

Chaque Chrétien est voué à la croix et à la prière pour ses ennemis. Et à l’extrême, à la limite, il est voué corps et âme à la mort en martyr; pour les néo-martyrs, il était plus important de clamer sur la croix les commandements de l’Amour du Christ, plutôt que de se durcir le cœur et envoyer son âme dans les ténèbres infernales de la haine. Car le Seigneur a dit : «Je jugerai ce que je verrai». C’est pourquoi les démons excitaient sur leurs victimes les mains des bourreaux : ils leur coupaient le nez, les oreilles, les seins des moniales, ils les liaient ensuite aux hiéromoines et aux confesseurs et les basculaient dans des fosses communes en braillant «Noces monastiques!». Les prêtres et les archimandrites étaient crucifiés sur les planchers et les portes des églises, pendus par leur épitrachilion aux portes royales, cette bestialité n’avait qu’un but : s’endurcir, comme nous ! Et ceux qui souffraient à l’image du Crucifié priaient : «Ils ne savent pas ce qu’ils font»(Lc 23,34). Celui à qui tu ressembleras le plus au cours de ta vie et surtout au moment de ta mort, c’est vers lui que tu iras. Et c’est une guerre féroce. Bien entendu il y en eût, et il y en a encore qui, reculant devant Celui qui appelle à la croix, même malgré les pires désastres généralisés, s’affairent comme ils peuvent et avant tout à préserver leur santé et à protéger leur vie quoi qu’il arrive : car à la fin des fins, que peut-il arriver, ne vaut-il pas mieux acquiescer aux humanistes-libéraux? Pour le Chrétien, la réponse est claire. Et elle est sur la Croix. Pour les néo-martyrs qui furent sauvés par la Croix, il était plus important, à chaque instant de leur existence mise sous tension, de préserver leur âme semblable à Dieu, l’image du Dieu Vivant. Et cela était possible seulement en intégrant Son enseignement (Mth.11,29), en s’appropriant Sa douceur, Son humilité et Son amour. Alors seulement l’âme peut demeurer vraiment vivante pour la vie éternelle et bienheureuse. Et serait-il mieux, à tout prix, de négliger les commandements évangéliques, de préserver ce magma de matière vivante, la partie biologique de notre être, vouée quoi qu’il arrive à une fin hâtive, afin de végéter brièvement dans un corps parmi les inévitables afflictions, les maladies, la vieillesse et l’agonie de la mort? Les néo-martyrs étaient convaincus par leur expérience que s’ils permettaient au courroux, même contre ceux qui leur infligeaient de cruelles tortures, d’entrer dans leur cœur, instantanément, la grâce de Dieu les quittait, c’est–à-dire qu’ils se privaient de l’unique aide dans la situation extrême du supplice de la croix, l’aide de Dieu. Et à ce moment, privés de cette aide, ils pouvaient craquer, calomnier leurs amis sous la pression physique et psychologique des bourreaux, et renier le Christ… Ainsi, au plus fort de leur souffrance corporelle et spirituelle, nos néo-martyrs et confesseurs, de même que leurs prédécesseurs, les martyrs, prouvèrent par leur expérience et leur volonté, l’immutabilité du commandement du Christ de l’amour pour ses ennemis (Mth.5,44).
La victoire des martyrs de tous les temps et de tous les peuples, parmi lesquels nos néo-martyrs, et dont le nombre a considérablement augmenté (Apoc.6,11) et croîtra encore dans la mesure où la fin du monde n’est pas encore là, cette victoire ne consistait pas à éclater la tête des ennemis, mais seulement à expulser le mal de soi-même, car c’est la condition qui rend possible l’indépassable victoire de la Croix du Christ, qui garantit la vie éternelle bienheureuse accessible à travers le Golgotha. Ne nous y trompons pas, il n’est pas de victoire sans la croix. Tout ce que ceux, qui ne reconnaissent pas le Christ (nonobstant la durée et de façon générale la présence de l’expérience de l’Église), sous l’action de leurs instincts animaux, essaient de préserver, allant jusqu’au marchandage avec la conscience ou, et cela revient au même, en enfreignant les commandements de Dieu, tout cela n’est que «richesse injuste»(Lc.16,9) du vieil homme. Au Paradis, il n’y a personne qui n’ait été crucifié. Tout comme il n’y a personne qui ne connaisse l’humilité… Pour notre édification, l’image donnée du Golgotha nous présente le bon larron, qui souffrit dans le creuset : «Nous recevons ce qu’ont mérité nos crimes»(Lc. 23,41). Et ce ne sont pas les seuls martyrs, mais tous les rangs des saints qui doivent endurer leur terrible Golgotha. C’est pourquoi le Christianisme, c’est terrible, c’est un indispensable Golgotha.

L’antichrist épargnerait-il la seule Géorgie ?

La séduction de notre époque, c’est un christianisme où le podvig n’aurait pas sa place, un christianisme qui aurait perdu son sel… Cette maladie fut diagnostiquée avec précision dans un des derniers ouvrages du Père Lazare. Il entame son article, «L’antichrist viendra en Géorgie», en réfutant l’opinion et la fierté nationales, partagées même par de nombreux serviteurs du culte, convaincus qu’avant le moment de l’apocalypse, la Géorgie connaîtra une renaissance, une période resplendissante. L’antichrist se mettra à la tête du monde entier, mais il ne viendra pas en Géorgie. Alors qu’hélas il est déjà arrivé en Géorgie ; par exemple à travers les excès de l’anti-éducation sexuelle. Le Père Lazare écrit : «Le plus terrible, c’est que les gens se taisent. Prêtres et clercs gardent bouche close. Rarement, une voix fait entendre un avertissement». Le résultat de l’orgueil est toujours pareil : il chasse la grâce loin des gens et des peuples qui s’enorgueillissent. Et selon l’Archimandrite Lazare, le phénomène est amplifié par l’unification de l’œcuménisme et de la mondialisation, parce que l’antichrist a besoin d’une «religion», mais sans la grâce (il est affamé de vénération), et aussi d’un gouvernement mondial de fidèles sujets anonymes. Toutefois, il n’y a rien de nouveau dans ces tentatives chargées de grandes catastrophes tombant du ciel sur les ziggourats, et toutes les plaies de grande ampleur qui s’abattirent sur toute la terre. Mais jusque maintenant, l’un ou l’autre s’efforçait d’atteindre l’hésychia, de prier, de participer à la liturgie, de reconnaître le Sacrifice du Christ et vivait en harmonie avec ces efforts.
Mais ayant oublié l’essence du Christianisme, les orgueilleux et ceux qui veulent se hausser par-dessus les peuples voisins, sont captifs des prisons babyloniennes ou athées des années ’70…
On dit : «Lève-toi pour ta foi, Terre de Russie». Mais nous ne devons pas oublier les deux piliers sur lesquels repose la foi orthodoxe, en terre russe et en toutes terres : l’humilité et l’amour.
Revenant au principe de cet article, l’un des derniers du défunt Père Lazare, dans lequel il rejette les rêveries orgueilleuses d’une partie du clergé géorgien, on craint que des rêveries similaires chargées d’arrogance au sujet de la grandeur et de l’exclusivité de la gloire de ses grandes victoires puissent, avec autant de succès qu’en Géorgie, susciter des fausses prophéties en Russie, où l’on a construit une multitude d’églises impressionnantes par leur taille et leur magnificence, et où dès lors, bien entendu, l’antichrist ne viendra pas, avec ses gay-parades et ses mariages du même sexe.
C’est tout simple. L’orgueil et la vanterie repoussent au loin la grâce salvatrice ; selon l’inaltérable dialectique du jugement du péché, comme tu as jugé, tu seras jugé. Il sera peut-être autorisé, le succès de l’opposition libérale, dont le despotisme, comme le montre l’histoire, dépasse toujours de loin, par son cruel totalitarisme, le pouvoir renversé…
Il suffit de suivre l’exemple d’humilité et d’amour des néo-martyrs et des confesseurs de la foi des Églises de Russie et de Géorgie, et par leurs prières, que Dieu veuille que les fidèles au Christ aient une chance de demeurer dans la vérité.

Royaume Céleste et Éternelle Mémoire au Bienheureux Archimandrite Lazare!

Traduit du russe
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