Les éditions du Monastère de la Présentation au Temple viennent de publier un nouveau livre de son Éminence le Métropolite Athanasios de Limassol, intitulé «Сохраним душу живой» (Gardons notre âme vivante), développant un enseignement de la pratique de l’essence de l’Orthodoxie dans la vie quotidienne et surtout dans la famille. Comme de coutume, le site Pravoslavie.ru, lié au Monastère a mis en ligne le 23 mai 2018 quelques extraits de ce nouveau livre. Voici la traduction de la deuxième partie de l’un des chapitres de l’ouvrage.
Savez-vous comment changer quelqu’un? Je me souviens d’un couple qui vint me demander la confession. Un couple très âgé; ils devaient avoir environ quatre-vingt-cinq ans. Je dis au grand-père :
– Peut-être dis-tu parfois quelques gros mots à ton épouse?
– Oh non, Geronda! Jamais nous ne nous querellons!
– Comment est-ce possible, après tant d’années? Elle ne t’a jamais rien fait de mal, jamais rouspété? Rien! Comment, mais comment est-ce possible?
Et il me répondit :
– Souvent, je me suis énervé et je voulais me fâcher avec elle. Mais quand je rentrais à la maison, elle m’attendait tenant un plateau en mains, sur lequel elle avait disposé de l’eau, un café et de la pâtisserie… Elle connaissait le moment où j’allais rentrer du travail, alors, elle sortait sur la rue et m’attendais. Elle m’ouvrait la porte et disait «Entre, je t’attendais, assieds-toi et bois ton café!» Elle avait fait sortir les enfants de la pièce, pour qu’il fasse calme et disait : «Maintenant repose-toi!». Elle m’apportait des vêtements propres et des pantoufles. Et aussi fâché que j’aurais pu l’être, il m’était impossible de dire quoi que ce soit. Je voulais lui dire certaines choses, mais je ne pouvais pas.
Ensuite, ce fut le tour de la grand-mère d’approcher pour la confession. Son visage était tellement lumineux qu’il dévoilait le contenu de son âme. Je lui dis:
– Yaya, pendant toutes ces années que tu as vécues avec ton mari, il a bien dû te brusquer l’une ou l’autre fois?
– Oh non, Geronda! Comment aurait-il pu me brusquer? Si tu savais comment c’est un homme bon! Jamais il n’a crié sur moi, alors que j’ai fait beaucoup de choses de travers, je rouspétais sur lui, etc… Pendant qu’il travaillait toute la journée aux champs, j’étais assise à la maison. Comment aurais-je pu me fatiguer à la maison?
Vous voyez, c’est tout un art. Certains parviennent à le maîtriser, et même si vous voulez vous quereller avec de telles gens, vous n’y parviendrez pas. Ils sont tellement positifs, et leurs sentiments tellement bons que même si on le veut, on est incapable de se fâcher avec eux. Chez nous vivait un moine qui n’arrêtait pas de commettre des erreurs. C’était un homme à l’âme simple, et il se trompait sans cesse. Souvent, je me disais:
– La prochaine fois que je le vois, je lui impose une épitimie. Je ne l’excuserai pas!
Par la suite, quand je le revis, j’étais prêt à mettre ma décision à exécution. Je lui demandai :
– Qu’as-tu donc fait?
– Mais tu as vu ce que j’ai fait, tu l’as vu?
-Et tu ne t’es pas rendu compte qu’il s’agit d’un péché?
– Oh non, je ne m’en suis pas rendu compte. Si j’étais plus malin, je ne l’aurais pas fait!
Et si je lui disais:
– Ce que tu fais est une grand péché!
– Oui, un grand péché! Un grand péché! Répondait-il.
Notre conversation se termina ainsi. Quoi que je le veuille, c’était impossible d’être en conflit avec lui. Le Paterikon raconte comment le diable apparut à un higoumène et lui dit:
– Sais-tu combien de fois j’ai tenté de semer la zizanie parmi les moines? J’ai essayé en recourant à tous les moyens. J’ai suscité l’incompréhension entre eux, et pas un peu, et j’aurais dû parvenir à mes fins. Mais malheureusement, toutes mes tentatives furent vaines.
L’higoumène lui demanda:
– Comment se fait-il que tu aies échoué?
– Ah,ils n’avaient qu’une parole sur les lèvres!
– Laquelle?
– Bénissez, pardonnez-moi!
Les moines avaient appris a demander pardon. Si quel qu’incident survenait entre deux moines, l’un d’eux disait: «Bénis!Et pardonne-moi!». Et c’était fini. Mais nous commençons par répliquer et protester:
– Qu’ai-je fait de mal? En quoi cela te concerne-t-il? Cela te regarde-t-il? Etc. Et cela se termine par des éclats. Et quand le feu est allumé, il est difficile de l’éteindre. Tout est si simple, il faut seulement que les gens en prennent conscience. Le mariage aussi est tout un art. Apprendre à vivre avec quelqu’un, c’est un art. Il existe des gens vertueux qui ont des difficultés à maîtriser cet art, et malgré qu’ils vivent une vie spirituelle, ils ont en eux quelque chose de repoussant. Cela arrive aussi dans le mariage. Tu vois l’épouse qui se développe spirituellement, qui fréquente régulièrement l’église, qui se confesse. Mais malheureusement, chez elle, à la maison, au lieu d’attirer vers elle sa maisonnée, elle la repousse. Pourquoi? Parce qu’elle est habituée de vivre ainsi, toujours chagrine, toujours insatisfaite d’une chose ou d’une autre, taisant ses souhaits. Mais il faut, mes enfants, dire ce qui ne vous plaît pas. Apprendre à parler de cela, c’est le contraire de l’hypocrisie. Saint Isaac le Syrien dit : «Quand un invité entre dans ta maison, prends soin de lui, accorde-lui de l’attention, comme s’il s’agissait de Dieu, d’un Ange de Dieu». Embrasse-lui la main et dis que c’est pour toi un grand honneur qu’il soit venu en ta maison, propose-lui de s’asseoir, qu’il se sente libre dans ta maison. Et parle-lui de manière agréable. Manifeste le respect le plus grand que tu peux et dis du bien de lui. Mais pas pour plaire, mais pour apprendre à entretenir de justes relations avec ton frère. Dans le Paterikon, il est écrit : «Quand tu vois que quelqu’un loue autrui, sache que cet homme est saint».
Des moines vinrent voir un abba et lui dirent :
– Abba, nous venons de chez Abba Pimène, qui nous a dit beaucoup de bien de vous.
Il répondit:
– Oui, mais sachez qu’Abba Pimène est bien meilleur que moi, car il a loué autrui.
Il nous est malaisé de dire du bien d’autrui: «Eh, c’est un homme bon». Nous avons tendance à ajouter un commentaire: «Oui, c’est un homme bon, mais…». Si nous ne pouvons jamais rien dire de bon au sujet d’un étranger qui ne nous intéresse pas, comment l’épouse dira-t-elle du bien de la sœur de son mari?
– Disons, qu’elle est bonne, bonne,…
– Et ta belle-mère, elle était bonne?
– Je lui pardonne Geronda! Tout ce qu’elle a fait, je lui pardonne!
– Et tu l’aimes?
– Ben… euh, oui, je l’aime.
Particulièrement maintenant, qu’elle est morte… Quand la belle-mère meurt, alors la belle-fille commence à l’aimer. Mais tant qu’elle était vivante, la bru gardait ses distances. On n’entendait pas que la belle-fille chantait les louanges de la belle-mère. Il faut du courage pour louer quelqu’un.
La même chose s’applique à nous les confesseurs. Si nous demandons à un confesseur au sujet d’un confrère: «Il est bien ce clerc?» «Oui, il est bien», répondra-t-il. Mais un autre confesseur dira des choses bien plus élogieuses au sujet du même clerc. Car il se sera élevé spirituellement plus haut que les autres et regardera ceux-ci comme des anges. Vous pourrez objecter: «Tout de même, les confesseurs ont des défauts eux aussi!» Oui, ils en ont, mais qu’est-ce que ça change pour toi de parler d’eux de façon positive? Qu’est-ce qui t’empêche de le faire? Si tu es incapable de dire des choses positives au sujet d’autrui, cela signifie que tu es spirituellement malade. C’est pourquoi il convient de regarder à l’intérieur de soi et de s’examiner: «Puis-je, en tant que moine, louer d’autres moines ou en tant qu’higoumène vanter d’autres higoumènes?». Une femme complimente-t-elle d’autres femmes? Par exemple, la bru encense-t-elle sa belle-mère ou la belle-mère, sa bru? Le font-elles? Quand elle va rendre visite à sa belle-fille, lui dit-elle : «Quel excellent repas tu as préparé! Comme tu prends bien soin de mon fils. Comme je suis contente que mon fils t’aie épousée! Tu es la seule qui sois capable de le rendre heureux!» Ou la belle-mère dit-elle : «J’ai l’impression que mon fils a maigri! Mon fils a l’air tellement préoccupé!». Quelques instants plus tard tu la vois sourire… Mais quel sourire… Juste entre les dents, un sourire glacial comme un soleil d’hiver. Ensuite la tempête se lève entre vous.
Il s’agit de petites choses simples de la vie quotidienne, mais il est tellement important d’en prendre conscience. Dès aujourd’hui, faisons preuve de gratitude. Pourquoi remercions-nous Dieu? Pourquoi? Pour les choses de la vie quotidienne? C’est élémentaire. Que dire?
– Merci, Seigneur, car mes affaires vont bien, nous sommes en bonne santé, mes enfants sont vivants et jouissent aussi d’une bonne santé. Je te remercie pour cela. C’est excellent de remercier Dieu pour ces choses. Mais là ne réside pas la raison fondamentale de remercier Dieu. Quelle est-elle, alors?
Ce que nous avons reçu de plus grand, c’est Dieu Lui-même. Et nous n’en avons pas la moindre compréhension. Que dit l’Église? «Nous Te rendons grâce pour Ta grande gloire!». Nous remercions Dieu parce qu’Il est le Seigneur, parce qu’Il est Dieu, et pas pour quoi que ce soit d’autre. Nous Le remercions car Il nous aime. D’abord Il nous a aimé, et ensuite Il nous a commandé de chercher le Règne de Dieu, et tout le reste suivra. Voilà pourquoi nous devons Lui rendre grâces, avant tout pour le Règne de Dieu qu’Il nous a donné. Que dit-on dans une des prières de la Divine Liturgie?
«Il est digne et juste de te chanter, de te bénir, de te louer, de te rendre grâces, de t’adorer en tous lieux de ton empire. Car tu es le Dieu ineffable, incompréhensible, invisible, insaisissable, toujours existant et toujours le même, Toi, Ton Fils unique et Ton Esprit-Saint. C’est Toi Qui, du néant, nous a amenés à l’existence, Qui nous a relevés après notre chute et Qui n’a cessé de tout faire jusqu’à ce que Tu nous aies élevés au ciel et nous aies fait don de Ton Royaume à venir. Pour tout cela, nous Te rendons grâces, à Toi, à Ton Fils unique et à Ton Esprit-Saint, pour tous les bienfaits répandus sur nous ou inconnus, manifestés ou cachés. Nous Te rendons grâces aussi pour cette liturgie que Tu as daigné recevoir de nos mains, bien que T’assistent des milliers d’Archanges, des myriades d’Anges, les Chérubins et les Séraphins aux six ailes, aux yeux innombrables, se tenant dans les hauteurs et ailés,…»1. (A suivre)
Traduit du russe