Madame Rojniova

Le texte russe original de la traduction ci-dessous fut publié le 17 novembre 2017 sur la page VK de l’écrivain russe Olga Rojniova, auteur régulier du site Pravoslavie.ru, et intitulé:«Le miracle principal». Madame Rojniova s’entretient avec le Prêtre Dionysy Kouvaev, recteur de l’église de la Théophanie, à Kozelsk. Cet entretien décrit comment le Seigneur, à travers des événements extraordinaires et providentiels, a appelé toute la famille Kouvaev au service de l’Église, soit dans le sacerdoce, soit dans le monachisme. Il précise également les connaissances que le Starets Elie (Nozdrine) considère les plus importantes dans la vie, il montre en quoi consiste la force du starets, pourquoi la clairvoyance n’est pas un tour de magie permettant de voir, mais aussi, comment par l’intervention de la Providence divine une immense église fut érigée dans un village niché à côté du Monastère d’Optino Poustin’, et enfin, pourquoi le starets donna à matouchka sa bénédiction afin qu’elle subisse une opération qui n’était pas planifiée.

Père Dionysy, la Providence divine agit dans la vie de chacun, parfois de façon cachée, mais parfois, certains signes se manifestent ouvertement, ou des rencontres significatives, ou à travers des paroles lourdes de sens. Dans votre vie, de tels signes se manifestèrent-ils?

Batiouchka Dyonisy en famille

Oui, incontestablement. Je pense que chaque homme, chaque femme, peut voir et remarquer la Providence divine, pour autant que ces derniers le souhaitent. Le Seigneur nous entoure en permanence de Sa Providence, Il nous guide dans notre vie. Et si on ne s’en rend pas compte, c’est parque qu’on ne veut pas le savoir… Comment ma famille et moi-même avons-nous pris conscience de la Providence divine? Il fut un temps où nous nous tenions loin de la foi… Mais même si l’homme ne connaît pas Dieu, il arrive un moment où le Seigneur Se découvre à lui, Il l’appelle. Ce ne fut pas moi qui choisis, mais moi qui fut choisi (Je.15,16). Car il est possible que nous ne Le connaissions pas, mais il n’est pas un instant où Il ne nous connaisse.
Comment le Seigneur appela-t-il ma famille? Voici l’histoire. Le frère de ma mère, mon oncle, étudiait à ‘Université d’État de Tver. En 1990, il se rendit au Monastère d’Optino. Était-ce un pèlerinage ou simplement du tourisme, aujourd’hui, je ne m’en souviens plus. A cette époque, le monastère venait tout juste d’être rendu à l’Église; il tombait en ruines mais ceux qui participèrent alors à sa restauration se remémorent aujourd’hui ces années comme extraordinaires, imprégnées d’un élan spirituel. Le Seigneur et les Saints Starets d’Optino bénirent abondamment et comblèrent de consolations leur premier appel après les nombreuses décennies de dévastations infligées au monastère. Et mon oncle Viatcheslav (qui devint le moine Gabriel) ressentit de tout son cœur cet appel de la grâce. Il fit connaissance avec le Père Iliodore, devenu entre-temps hiérodiacre, lui ouvrit son âme et lui dévoila combien Optino avait ému son cœur. A la suite d’une pareille puissante expérience spirituelle, le jeune homme ne voulut plus retourner dans le monde. En un seul jour, toutes ses valeurs furent réorientées, tellement puissant avait été l’appel du Seigneur. Vous vous souvenez comment Il appela Ses apôtres? Ceux-ci pêchaient tranquillement, le Seigneur appela et ils lâchèrent tout, barque, filets, maison, possessions, et ils Le suivirent. Et ils le firent, remplaçant leur vie paisible par une migration incessante et dangereuse, au péril des rivières, des brigands, de leurs propres compatriotes, des païens, des déserts, de la mer, de leurs faux-frères, par une vie faite de labeurs, d’épuisement, de pauvreté, souvent, de faim et de soif, de jeûne, de froid glacial et de dénuement (2Cor.11,26-27).
En réponse à l’interpellation du jeune homme, le Père Iliodore répondit : «Rentre à la maison, prends tes affaires et reviens au monastère». Ce que fit mon oncle. Il reçut la tonsure et le nom de Gabriel, et pendant quelques années, il fut le compagnon et serviteur de cellule du Starets Higoumène du grand schème, aujourd’hui Archimandrite du grand schème, Élie (Nozdrine).
En 1991, mon oncle vint à la maison, pour nous baptiser. J’avais sept ans et mon frère quatre ans. Maman n’était pas non plus baptisée. Babouchka, notre grand-mère, croyait en Dieu et se tournait vers Lui dans les moments difficiles, mais n’avait jamais parlé de Dieu aux enfants. Éducation soviétique. Nous n’étions pas athées, mais simplement vides de spiritualité. Grâce à mon oncle, nous fûmes tous baptisés.

Et vous vous êtes tournés vers Dieu?
Pas immédiatement. Ce fut une affaire assez extraordinaire, une affaire de la Providence. Jusqu’en 1993, nous ne fréquentâmes pas l’église. Mais à Optino, mon oncle priait pour nous, et voici ce qu’il advint. En 1993, j’atteignis l’âge de neuf ans, et mon frère, six. Nous passions ensemble l’été au village, chez des parents, et notre mère demeurait à la ville. Elle travaillait dans une usine et depuis quelques mois, aucun travailleur n’avait perçu son salaire. Papa travaillait dans une entreprise, qui elle aussi retenait le salaire de ses travailleurs. Arriva le moment où à la maison, ils n’avaient plus aucune victuaille, plus rien, juste du sel. Un des voisins dans l’immeuble possédait un petit jardin, et quand ils procéda à la récolte suivante, il apporta un bassin entier de cornichons. Mes parents s’en réjouirent évidemment, et décidèrent de les conserver dans la saumure, mais pour cela il faillait y ajouter au moins l’un ou l’autre ingrédient, fut-ce de l’ail. Maman attendit donc quelques jours, en se disant qu’elle parviendrait peut-être à dénicher deux têtes d’ail quelque part. Pendant le week-end, elle décida de procéder à un grand nettoyage, pendant que les enfants étaient au village.. En rangeant les livres dans la bibliothèque, elle aperçut, glissée dans l’un des ouvrages, une reproduction d’une icône de Sainte Xénia de Pétersbourg. Par la suite, elle essaya de comprendre comment cette icône avait pu se retrouver dans un des livres des enfants, mais elle n’y parvint jamais. Et, de façon inhabituelle pour elle, maman commença à prier Sainte Xénia et lui conta toutes les difficultés inhérentes à sa situation: pas d’argent, pas de nourriture, même pas d’ail pour la saumure des cornichons, rien. La nuit suivante, la sonnerie de la porte retentit. Maman alla ouvrir. Sur le seuil se tenait son frère, le Père Gabriel. Il était venu d’Optino, en Volga, et toute la voiture était chargée de nourriture. Un sac de sucre semoule, un sac de blé concassé, etc. Il était impossible de s’attendre à une telle abondance. Le Père Gabriel raconta que lui-même n’avait pas compris pourquoi le starets, le Père Élie, lui avait donné cette bénédiction: «Va chez ta sœur et apporte-lui des victuailles». Mais mon oncle vivait alors depuis plusieurs années déjà au monastère et ne savait pas que dans le monde, le paiement des salaires était interrompu. Il demanda à Maman :
Marguerite, donne quelque nourriture au chauffeur.
Maman répondit :
Aujourd’hui, je n’avais rien que je puisse préparer.
Nous n’avons plus de thé.
Et le Père Gabriel pleura. Il venait seulement de comprendre pourquoi le starets l’avait envoyé chez sa sœur. Le Père Élie l’avait bénit pour qu’il apporte ces victuailles, et la dernière chose qu’il donna, ce fut de l’ail. Le starets avait dit : «Et apporte-lui de l’ail».
Pour maman, c’était la toute première prière de sa vie. Et elle reçut une réponse. Cette expérience spirituelle la bouleversa. Elle les voyait débarquer, les marchandises de la voiture, et pour terminer, le Père Gabriel tendit l’ail à Maman. C’était un véritable miracle : non seulement elle recevait de la nourriture, mais aussi exactement ce qu’elle avait demandé. C’était la première fois qu’elle exprimait des paroles formant une prière. Et un miracle se produisit. Par la suite, mon oncle raconta qu’il ne s’était préparé à aucun déplacement, rien ne permettait de prévoir un voyage, personne n’avait évoqué quoi que ce soit. Mais tout soudainement, après la liturgie, le starets lui avait dit :
Il faut que tu ailles chez ta sœur, chez Marguerite (Mon oncle avait deux sœurs autres que ma mère).
– Quand?
– Vas-y maintenant.
Toute la nuit, maman s’entretint avec son frère. Ils se remémoraient le passé, ils pleuraient. Le Père Gabriel lui proposa d’aller à Optino, lui expliqua où c’était. Et le lendemain matin, ils prirent tous la route du monastère avec le chauffeur.

Le Père Élie

Le Starets Elie, Le P. Iliodore et Batiouchka Dyonisy

C’était la première fois que votre famille allait au Monastère d’Optino? Oui, toute la famille se retrouva à Optino. Mon père se fit baptiser là. Et quand nous rentrâmes à la maison, nous commençâmes à fréquenter l’église. Consciemment, nous menions une vie chrétienne, nous confessant et recevant les Saints Dons. Le Père Élie devint le père spirituel de toute ma famille. Mon frère et moi ne passions plus l’été au village, mais à Optino. On nous donnait du travail adapté aux enfants, on aidait à la préparation des prosphores, on remplissait les bouteilles d’huile. On vivait dans une tourelle. Le Père Gabriel et le Père Iliodore assurèrent notre éducation. De toute la journée, nous ne nous écartions pas, littéralement, d’une semelle, du Père Iliodore. C’est lui qui nous donna notre première règle de prière, nous apprit quels jours il fallait fréquenter l’office dès cinq heures le matin et quels jours on pouvait y aller à sept heures, quand on pouvait aller se baigner dans la source sainte.
On fréquentait aussi le Starets Élie ; il priait pour nous. La chose la plus importante dont je me souvienne, c’est que le Starets disait parfois : «Quand vous habiterez à Kozelsk...». Je ne comprenais pas comment on allait pouvoir vivre à Kozelsk, puisqu’on habitait à Kimry. Mais en 1999, quand j’eus atteint l’âge de quinze ans, nous avons réellement déménagé à Kozelsk, afin de nous rapprocher d’Optino. Et par la suite, notre vie fut toute entière placée sous la guidance et la bénédiction du Père Élie. (A suivre)

Traduit du russe

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