Le texte ci-dessous est la traduction d’un entretien du Métropolite Athanasios de Limassol publié le 20 mars 2018 sur le site Pravoslavie.ru. Le Métropolite Athanasios y développe une des dimensions du fondement de la vie spirituelle du Chrétien orthodoxe : l’attention permanente qu’il convient de maintenir vis-à-vis de soi-même, mais également envers notre environnement humain et matériel. Il souligne particulièrement l’importance de cet environnement sur la vie spirituelle.
Nombreux sont ceux qui s’imaginent que la vie spirituelle dépend de nos sentiments; si nous nous sentons bien, joyeux, sereins, cela signifierait que tout va bien dans notre vie spirituelle. Et si au contraire nous ressentons de la tristesse, de l’affliction, nous pouvons penser que tout n’est pas en ordre dans notre vie spirituelle. Évidemment, c’est bien un fait que celui qui mène une lutte ascétique évalue sa situation spirituelle en fonction de ce qu’il ressent; toutefois, au début de la vie spirituelle, ce critère n’est pas toujours fiable car il existe une sorte de loi du changement qui agit dans le monde spirituel. Beaucoup sont insatisfaits de l’évolution de leur vie spirituelle car, selon eux, ils ne constatent aucun progrès en eux-même. Ils sentent qu’ils gardent le même dénominateur qu’au départ, ou même qu’il s’est dégradé. Et ils en éprouvent de l’amertume et de l’affliction. Bien entendu, ce qu’ils déplorent, ce n’est pas le mal, mais l’absence de sécurité dans leur vie spirituelle. Quoi qu’il en soit, il convient de rester attentif, et d’éviter le stress et la dépression qui pourraient découler des sentiments que nous éprouvons.
Comme nous l’avons dit, il existe de nombreuses raisons susceptibles de provoquer des changements dans l’âme humaine. Les Pères en ont mentionnées de nombreuses. L’une d’entre elles est notre milieu de vie, même les conditions climatiques jouent un certain rôle dans notre situation psychique. Ces conditions extérieures agissent sur notre âme. Et ce qui est très important, c’est que les gens agissent également sur elle.
Je me souviens d’un de nos saints contemporains. Il avait reçu de Dieu le don de la parole. Il possédait un charisme théologique qui lui faisait exprimer et expliquer la parole de Dieu à ceux qui venaient à lui. Un jour arriva un groupe, qui lui demanda de leur parler. Mais il réfléchit silencieusement quelques instants et répondit : «Pardonnez-moi, mais je ne puis rien vous dire. Il n’y a rien dans mon âme, je ne peux rien vous dire». Après, il essaya de leur parler un peu, mais je compris que ce n’était pas comme avant, les paroles habituelles qui sortaient de son âme, fruits de la grâce qui y résidait, mais des mots que le geronda se forçait à prononcer à partir de son mental. Lorsque ces gens furent partis, le geronda expliqua ce qui s’était passé : «En présence de certaines personnes, je suis incapable de parler». La parole s’estompe en lui et il ne trouve pas les mots. Voici un autre exemple. Je me souviens du temps où je vivais à la Sainte Montagne. En général, dans les monastères, les moines communiaient quatre fois par semaine. Mais la Divine Liturgie était célébrée chaque jour, et je fus longtemps le seul prêtre de la communauté. Ainsi, chaque mardi, jeudi, samedi et dimanche, les moines communiaient aux Saints Mystères. En ces jours, une atmosphère particulière régnait dans l’église. Comme je célébrais la Sainte Liturgie chaque jour, je savais plus ou moins que je recevais beaucoup d’énergie, dans la liturgie, les prières, etc. Mais en ces quatre jours, je sentais un redoublement de force se déployer en mon âme qui redoublait de prière et de communication avec Dieu. Et je comprenais que cette force supplémentaire ne venait pas de moi, mais de l’atmosphère qui régnait dans l’église. Dans la mesure où les moines s’étaient préparés à communier ce jour, ils étaient plus attentifs, plus fervents, pour participer aux Saints Mystères, et de la sorte, l’atmosphère était électrisée, dans un sens spirituel, et elle m’aidait, moi le faible, et je recevais un surcroît de force spirituelle.
Souvenez-vous des paroles du Christ dans l’Évangile: «En entrant dans la maison, saluez-la; et, si la maison en est digne, que votre paix vienne sur elle» (Mat. 10.12-13). C’est une expression juive, et les souhaits juifs ont habituellement un sens particulier, comme chez tous les peuples d’Orient. Ils ne disent pas bonjour, ou bienvenue, ils disent «paix». Les Arabes aussi disent «Paix à cette maison». Et si la paix est dans la maison, la paix du visiteur y demeurera, mais s’il n’y a pas de paix dans la maison, la paix du souhait revient au visiteur qui l’a prononcé, et il sort en secouant la poussière de ses sandales.
Il est prouvé qu’une atmosphère spirituelle influe sur l’état de notre âme, et un seul homme peut modifier toute l’atmosphère d’un lieu concret, d’une manière favorable ou défavorable. Un homme de Dieu peut être la source de l’atmosphère paisible qui règne quelque part, mais il est également possible qu’un seul homme dépourvu de l’esprit de Dieu sème le trouble en beaucoup de gens.
Voici encore un exemple tout simple. Je ne vous souhaite pas cela, ni ne vous incite à le faire, mais s’il vous arrive de vous quereller avec un hérétique (essayez de parler avec un témoin de Jéhovah), un esprit démoniaque s’introduit dans votre âme et y provoque une sensation d’irritation. Je pense que tout le monde a déjà ressenti cela. Nous n’avons rien de particulier contre ces gens: ils ont succombé à une tentation spirituelle; ce sont des hérétiques. Que Dieu leur fasse grâce, mais ce seul esprit de charme mensonger, cet esprit blasphémateur, est un esprit démoniaque puissant, et il s’injecte et s’écoule dans notre âme et provoque le trouble dans tout notre être. Nous n’avons rien de personnel contre ces gens tombés dans le piège de la tentation ; ils arrivent pour vous dire quelques mots, et votre âme se trouble. Et vous pensez: «Pourquoi donc suis-je troublé de la sorte? Que se passe-t-il, pourquoi?» Cela se produit parce que cet homme ou cette femme ou ce groupe est porteur de l’esprit de l’illusion mensongère. Et au contraire, quand nous nous approchons d’un homme de Dieu, il peut, sans rien nous dire, nous communiquer une atmosphère de paix et de joie. Voici encore une exemple. Quand je confesse pendant des heures et que se présentent de petits enfants, c’est comme si je pouvait souffler, même une promenade d’une heure ne repose pas autant que la confession de petits enfants. Ils sont comme des éponges, ils nettoient toute la fatigue spirituelle et changent l’atmosphère. Pourquoi? Parce qu’ils sont des créatures innocentes. Ces enfants, ces âmes humaines, ne participent pas aux vices humains, et ils irradient autour d’eux la paix, le calme, le repos. Si vous saviez comme je me sens bien lorsque je visite une école primaire! C’est tout simplement remarquable. Que vais-je y raconter? C’est tellement bon pour moi, tellement léger, d’être entouré de petits enfants, je ressens dans mon âme une atmosphère qui nettoie la fatigue à grandes eaux. Aussi abattu que je puisse être, cette fatigue disparaît toujours. Et cela est dû à ces petits enfants.
Par contre, il existe des gens qu’il suffit d’approcher pour en devenir exténué, même s’ils ne prononcent pas un mot. On ressent une lourdeur dans l’âme, une sorte d’affaiblissement, de pression, de gêne. Pourquoi? Parce que l’âme a ses lois et ses règles de fonctionnement. Évidemment, il serait idéal de dépasser de telles influences et de ne pas observer de changement se produisant dans l’âme, particulièrement quand nos frères sont en cause. Là, nous devrions offrir notre âme en sacrifice pour notre frère, même si nous sentons qu’il est ennuyeux, désagréable, oppressant et qu’il pèse sur notre âme. Je me rappelle avoir dit un jour à un geronda: «Je ne supporte pas cet homme, il m’épuise». Il m’a répondu: «Tu t’épuises en l’écoutant. Lui as-tu demandé s’il était lui-même épuisé? Lui as-tu demandé où il se trouve, du point de vue spirituel, à quel point il est enfoncé dans ses complications, dans ses ténèbres et toute cette lourdeur? Tu l’as écouté cinq minutes, qu’as-tu pu comprendre en l’écoutant? Il vit dans cette situation. Imagine dans quel état il se trouve». Nous ne devons pas céder à nos impressions et nos émotions. Si nous sommes des êtres spirituels, nous devons dépasser cela. Et vous savez, quand l’homme dépasse cette situation, il se retrouve dans un espace plus élevé. Voici ce qu’il en est. Quand notre âme sent la présence de satan, d’une énergie démoniaque, elle se trouve dans le désarroi, elle a peur, elle se trouble; elle n’accepte pas cela. C’est naturel. Notre âme, dans sa dimension d’esprit, est capable de sentir une présence démoniaque. Mais quand des âmes saintes ressentent pareille présence ou se souviennent de l’existence des démons, elles ne réagissent pas de la sorte; elles émettent un amour très grand vers ces… tangalachkas, comme disait Saint Païssios. Une grande douleur et un immense amour, envers les gens difficiles, disait le Saint Geronda. Un jour, je parlais des clercs et Geronda dit: «J’aime beaucoup les bons clercs. Toutefois, j’aime plus encore les mauvais clercs, mais avec une grande douleur». En effet, quand quelqu’un atteint un niveau de perfection spirituelle, ou vit ordinairement à un tel niveau, il ne ressent aucune forme de répulsion envers celui qui vit dans la lourdeur, mais bien de la douleur et de l’amour. Et dès lors, il est capable de soutenir son frère, son prochain, n’importe quel homme ou femme ; il peut leur donner de la force et ne pas ressentir l’autre comme un boulet à traîner. Mais nous, nous sommes des gens ordinaires avec nos faiblesses humaines. Donc, quand nous évoluons dans un milieu qui nous allège, nous nous sentons reposés. Et quand on arrive dans un milieu qui nous pèse, on va tenter de ne pas réagir, de trouver des forces et de patienter avec amour, priant pour que tout cela passe, nous accusant de notre propre faiblesse puisque nous sommes incapables de garder notre paix, ce dont notre prochain est bien entendu innocent. Et une chose encore. Nous devons savoir que si nous éprouvons du désagrément envers autrui, cela signifie que nous n’avons pas encore atteint un amour parfait, et que nous ne pouvons donc nous qualifier de chrétiens, car le Chrétien est celui qui a l’amour en lui, beaucoup d’amour envers autrui, et l’amour résiste toujours, comme l’espérance. Jamais ils ne tombent. Dans l’amour, il n’y a pas de chute ou de changement. En lui, il y a de la place pour tous et même quand il faut réprimander quelqu’un ou entreprendre une démarche à priori désagréable envers lui, si c’est nécessaire pour son bien, alors cela est accompli avec un réel amour. Mais avec douleur aussi, dans la mesure où il faut lui imposer une épitimie, remettre de l’ordre en vue de son salut personnel et pour son bien. Mais en tous cas, nous devons le faire sur base du critère spirituel de l’amour envers tous.
Nous devons faire preuve d’une grande attention à notre environnement habituel, et aux lieux dans lesquels nous nous rendons, car, que nous le veuillions ou non, l’environnement agit sur nous. C’est pourquoi les Pères étaient très attentifs à eux-mêmes, non pas suite à un quelconque mépris envers autrui, mais par leur conscience de la faiblesse humaine. Ils maintenaient leur attention envers le lieu où ils séjournaient et ceux à qui ils parlaient. Un seul objet peu endommager l’atmosphère paisible d’une maison, pas même un être humain, mais un simple objet, et même un simple livre. Dans le Paterikon, on explique qu’un geronda, higoumène d’un monastère, priant pendant la nuit, eut la Vision de la Panagia qui se plaçait dans le monastère. Elle passait dans la cellule de chaque moine et bénissait chacun, mais Elle n’entra pas dans une cellule. C’était celle d’un bon moine, et l’higoumène savait qu’il était bon, c’est pourquoi il demanda à la Panagia:
– Pourquoi n’entres-Tu pas dans cette cellule pour bénir ce moine? C’est un grand lutteur ascétique, et il est très bon.
La Panagia lui répondit:
– Oui, c’est un bon moine, mais dans la cellule, il conserve un ouvrage hérétique, et Je ne peux y entrer. Je ne veux pas y entrer.
J’ai assisté à un autre cas. Je venais de quitter la Sainte Montagne en compagnie de deux moines. Nous nous dirigions vers Thessalonique pour certaines affaires dont nous devions nous occuper. Nous séjournâmes dans les chambres d’hôtes d’un monastère car il n’y avait rien d’autre de disponible. Nous y côtoyâmes un jeune Cypriote, un étudiant qui venait présenter des examens à l’Université. L’higoumène dit qu’il pouvait loger là quelques mois, car nous n’y étions pas en permanence. Il y avait là une chambre dans laquelle il pouvait s’établir. Nous étions arrivés épuisés par la journée de voyage depuis la Sainte Montagne, la mer, le navire, l’autobus, toutes ces correspondances à assurer, etc. Après avoir déposé nos bagages, nous mangeâmes, célébrâmes l’office de complies et allâmes dormir. Mais à peine étions-nous couchés qu’un étrange bruit se fit entendre. Le hiérodiacre qui nous accompagnait s’éveilla d’effroi et sortit, tous nous ressentions quelque chose de désagréable.
– Qu’as-tu, que s’est-il passé?
– Rien, rien. Répondit-il
– Bon, essayons de nous reposer.
Nous rentrâmes dans nos chambres, mais au bout de quelques instants le même bruit se répéta et le hiérodiacre sauta de nouveau hors de son lit.
– Mais qu’est-ce que tu as mon vieux?
– Je ne sais pas. Il se passe quelque chose ici, comme une tentation, et je ne peux pas dormir. Cette tentation se produit comme pour m’étouffer.
– Eh bien, Père Diacre, tu vas nous laisser dormir un peu ce soir…?
Nous rentrons chacun, et de suite, il sursaute et se met à crier avec force.
– Mais que se passe-t-il?
– Comment te dire? Une sorte de Chinois avec des moustaches se jette sur moi et commence à m’étouffer.
Un Chinois dans les chambres d’hôtes? D’où peut-il sortir? A pareille heure, c’est une tentation de satan. De satan, mais sous une drôle de forme. Et puis, d’où sort-il? Que se passe-t-il donc ici? C’est à ce moment que l’étudiant s’éveilla.
– Que s’est-il passé?
– Eh bien voilà, il s’est passé ceci et encore ceci. Écoute, que fais-tu, à quoi t’occupes-tu. Tu lis quelque chose?
Il s’avéra en fin de compte que par curiosité, cet étudiant avait acheté un livre d’occultisme. Dans le voisinage, une librairie vendait ce genre de littérature ésotérique, de pratiques occultes. Ce livre décrivait certaines pratiques d’initiation hindouistes et chinoises et une énergie démoniaque sortait du livre. (A suivre)
Traduit du russe