L'entretien ci-dessous avec l'Archiprêtre Valentin Asmus a été publié sur le site Pravoslavie.ru le 21 août 2000. Le sous-titre suivant lui a été attribué: La vision communément admise de la vie et de la personne de Nicolas II ne correspond absolument pas à la réalité. Cet entretien avec la journaliste Ludmila Boniouchkine fut tenu le lendemain du jour où l'Empereur Nicolas II et sa Famille furent officiellement accueillis dans le chœur des saints par le Patriarcat de Moscou. L'Archiprêtre Valentin Asmus fait autorité dans le domaine de l'histoire de la monarchie en Russie; il enseigne à L'Académie de Théologie de Moscou.
Père Valentin, le Souverain vient d’être officiellement admis dans le chœur des saints; la question de sa personnalité se pose de façon plus aiguë, maintenant que sa sainteté est admise. On trouve, entre autres dans un vaste secteur de la littérature, des évaluations extrêmement négatives à son sujet, en sa qualité d’homme et en celle de souverain. Comment le lecteur contemporain peut-il analyser tout cela?
Il faut dire que les historiens soviétiques ne sont pas les seuls à évaluer de façon négative la personne de l’Empereur Nicolas II. Un grand nombre d’historiens russes et occidentaux libéraux, ceux qu’on nomme les historiens bourgeois, l’évaluent exactement de la même manière. Pour dépasser cette évaluation, je conseillerais avant tout deux travaux sereins et objectifs. L’un est relativement ancien; il fut écrit dans les années ’30-’40 du siècle dernier par Sergueï Sergueevitch Oldenburg: «Le Règne de l’Empereur Nicolas II». Ce livre fut réédité il y a peu en Russie. Le second fut rédigé par notre contemporain, l’historien Alexandre Nikolaevitch Bokhanov. Son livre «Nicolas II» a déjà connu plusieurs rééditions.La Vie Spirituelle du Tsar Strastoterpets
Les pages du journal de Nicolas II sont remplies de mentions du Nom de Dieu. Quel sens avait la foi orthodoxe dans sa vie?
Il ne fait aucun doute que la foi et l’Église occupaient la place la plus importante dans la vie de Nicolas II. Non seulement, il se souvenait du Nom de Dieu, mais son journal nous apprend qu’il ne manquait jamais les offices et liturgies du dimanche et des jours de fête, et on peut dire que l’âge avançant, la foi et la prière occupaient de plus en plus de place dans sa vie. Il concevait indubitablement son activité comme un service à Dieu, et en même temps, il considérait que son pouvoir lui avait été conféré par Dieu. Sa responsabilité devant Dieu impliquait qu’il n’avait à rendre de compte à aucune instance terrestre, et ce sentiment de responsabilité devant Dieu était puissamment développé en lui.
On connaît le rôle particulier que joua Nicolas II dans la glorification de Saint Seraphim de Sarov, de même que l’aide qu’il accorda aux monastères et aux sociétés des missions, les fraternités orthodoxes. Quelle fut son activité dans la sphère ecclésiastique ; dans quelle mesure le reproche à Nicolas II d’avoir retardé la convocation du Saint Synode était-il fondé?
Nicolas II participa très activement, non seulement à la glorification de Saint Seraphim de Sarov, mais dans les procédures similaires concernant une série d’autres nouveaux saints, qui se déroulèrent pendant son règne. Pendant la période synodale, il était très rare qu’un nouveau saint soit officiellement accueilli dans les chœurs célestes. Pendant tout le dix-neuvième siècle, et jusqu’à la période de Nicolas II, il n’y eu que deux pareilles procédures, pour Saint Mitrophane de Voronège, pendant le règne de Nicolas Ier et Saint Tikhon de Zadonsk, pendant celui d’Alexandre II. Et voilà que sous Nicolas II, elles se succédèrent, pour certaines, surtout sous l’influence du monarque.
Nicolas II contribua activement à la construction d’églises et de monastères, au soutien et à l’extension du réseau d’écoles paroissiales qui furent un maillon essentiel de l’enseignement fondamental ouvert à tous dans l’Empire de Russie. Le reproche à Nicolas II d’avoir retardé la convocation du Saint Synode est parfaitement infondé puisque ce fut lui-même qui initia la convocation du Synode. Sans lui, personne n’aurait osé en évoquer la possibilité. En 1904, Nicolas II adressa une lettre à Pobedonovtsev, dans laquelle on lit que les questions ecclésiastiques doivent être résolues par les synodes de l’Église. Le contenu de cette lettre fut évidemment connu, et des initiatives en ce sens furent prises par les évêques. Mais les circonstances étaient troubles, et nous savons que le synode de 1917 était dès le départ sinon rouge, du moins rose. C’est pourquoi Nicolas II, comprenant que dans de telles circonstances la tenue du Saint Synode ne peut porter les fruits souhaitables, décida d’en retarder la convocation.
Sur le plan émotionnel, Nicolas II était proche des développements de la Rus’ pré-pétrovienne, dans le domaine de l’art, des coutumes et même de la vie politique. Dans quelle mesure l’orientation de ses valeurs correspondaient-elles avec les vues des élites politiques de son époque ? Quel retentissement au sein de la société reçut l’aspiration de Nicolas II de retourner aux traditions spirituelles et politiques de la Sainte Russie ?
Non seulement Nicolas II aimait de façon émotionnelle la Rus’ pré-pétrovienne, mais il était un des plus fins connaisseurs d’icônes russes antiques et il promut l’intérêt pour les icônes dans la société. Il fut l’initiateur de la restauration des icônes anciennes et du retour des églises nouvellement construites à une architecture et des fresques conformes au style russe ancien du XVIe siècle, et plus au style ‘néo-russe’ courant jusque là. De telles églises furent construites par exemple à Tsarskoe Selo, comme l’église Feodorovski des Souverains, ou a Leipzig, comme l’église Saint Alexis, érigée en 1913 à l’occasion du centième anniversaire de la Bataille des Nations. Pareille orientation des intérêts de Nicolas II pouvait trouver de l’écho auprès des artistes, mais dans la société en général, elle était vouée à l’impopularité. Les intérêts de la société adoptaient une orientation toute différente. On peut dès lors déclarer que Nicolas II était spirituellement atypique pour ses contemporains.
Comment la personnalité de Nicolas II fut-elle évaluée par les ascètes qui lui furent contemporains et par les autorités spirituelles ultérieures?
Une prophétie de Saint Seraphim annonce qu’«Un jour, un Tsar me glorifiera… et Dieu glorifiera le Tsar».
Saint Jean de Kronstadt a dit : «Notre Tsar mène une vie juste et pieuse. Dieu lui a envoyé une lourde croix de souffrances, car il est Son élu et Son enfant bien-aimé, comme le dit le visionnaire… «Moi, je reprends et je châtie tous ceux que j’aime»(Apoc.3,19). Si le peuple russe ne se repent pas, la fin du monde sera proche. Dieu lui enlèvera son pieux Tsar et il enverra un fléau sous forme de dirigeants autoproclamés, impies, cruels, qui couvriront la terre de sang et de larmes».
Le Starets Anatole (Potapov) d’Optino a prédit que «Il n’est pas de plus grand péché que de s’opposer à l’Oint de Dieu. Prenez soin de Lui, car c’est par Lui que tiennent la terre de Russie et la Foi Orthodoxe… Le destin du Tsar, c’est le destin de la Russie. Si le Tsar vient à se réjouir, la Russie se réjouira. Si le Tsar vient à pleurer, la Russie pleurera… Tout comme un homme à la tête coupée n’est plus un homme mais un cadavre puant, la Russie sans le Tsar deviendra un cadavre puant».
Le Starets Nectaire d’Optino a annoncé: «Ce Souverain sera un mégalomartyr».
Et Saint Tikhon de Moscou expliqua : «En renonçant au Trône, il avait en vue le bien de la Russie et agissait par amour pour elle. Après cette abdication, il aurait pu se trouver une vie sûre et relativement tranquille à l’étranger, mais il ne le fit pas, souhaitant vivre les souffrances de la Russie. Il n’entreprit aucune démarche visant à améliorer sa situation, se résignant à son destin, sans un murmure…».
Le Métropolite Antoine (Bloom) dit :«Le Souverain se donna lui-même ainsi que toute sa famille au martyre, car il considérait qu’à travers lui et les membres de sa famille, c’était la Russie qui montait sur la Croix. Ayant connu la Russie dans les jours de paix, il ne pouvait se séparer d’elle dans les jours terribles. Quand à la manière par laquelle le Souverain et la Famille Impériale terminèrent leurs souffrances terrestres, nous pouvons en juger par les marques et annotations qu’ils laissèrent dans les Écrits des Pères qui passèrent entre leurs mains… et dans les lettres de la Souveraine et des enfants… Ces passages disent l’abandon volontaire total de la Famille Impériale entre les mains de Dieu, sans amertume, sans crainte, comme l’expriment merveilleusement les poésies de l’une des grandes Duchesses». (A suivre)
Traduit du russe