A l’automne 2008, le site internet du journal orthodoxe Blagovest a publié un long article en deux parties, écrit par Madame Olga Larkina sur le Saint Monastère de Leouchino, aujourd’hui disparu, fleuron du patrimoine spirituel du Nord de la Russie. Ce texte plonge les lecteurs dans la spiritualité monastique de la Russie du début du vingtième siècle. Et il offre un aperçu des nombreux efforts mis en œuvre pour redonner vie à ce joyau dans ses dimensions matérielle et spirituelle. Un des acteurs de cette renaissance est le Père Gennadi Belovolov, responsable de l’appartement-chapelle du Saint Batiouchka Jean de Kronstadt à Saint-Pétersbourg. Voici la première partie du texte.
Ce monastère n’existe plus depuis longtemps ; au-dessus de lui clapotent les vagues d’un lac artificiel.
Extrait d’une lettre du 5 décembre 1905 de Saint Jean de Kronstadt à l’Higoumène Taïssia, supérieure du Monastère de Leouchino: «Je t’écris après la Liturgie que je viens de célébrer dans l’église de votre podvorié, et je le fais de ma propre initiative et non à la demande de quiconque… J’ai proclamé l’homélie et j’ai communié de nombreux fidèles. La foule qui s’avançait pour communier était intenable; ils me montaient sur la tête. Que faire! Mon cœur se fend; je n’exclus personne». Si on ne sait pas qu’une église se niche au deuxième étage de l’immeuble portant le n°31 de la rue Nekrassov à Saint-Pétersbourg, il est quasi impossible de le deviner. Pour ce faire, il faut vraiment s’arrêter et observer que le centre de la façade grise traditionnelle est coloré : le rose tendre y est marié au rose profond de la finition, observer aussi que le schéma architectural de cette partie se distingue du reste : de hautes fenêtres au sommet arrondi, et qu’au-dessus du toit vert brillant s’élèvent des coupoles bicolores!… Ce fut plus simple pour moi : le recteur de l’église Saint Jean le Théologien, l’archiprêtre Gennadi Belovolov m’avait communiqué les informations nécessaires pour trouver le bâtiment, la bonne arche d’entrée et les endroits où il fallait tourner… Par ailleurs, aujourd’hui, de nombreux Pétersbourgeois, mais aussi des gens d’ailleurs, connaissent bien cette église liée au nom de Saint Jean de Kronstadt, et qui fait partie du podvorié de l’ancien Monastère de Leouchino, monastère qui n’existe plus depuis longtemps.
«Le cierge qui brûle dans les labeurs…»
…1875 : six ans déjà, depuis que se constitua, dans le village de Leouchino, Ouezd de Tcherepoviets, Gouvernorat de Novgorod, une communauté monastique de femmes. Mais ces années furent denses de tentations et contrariétés diverses. Et voilà que le Métropolite Isidore de Saint-Pétersbourg et Novgorod désigne comme supérieure de la communauté du Saint Précurseur, la quatrième supérieure qu’il y désigne, la Moniale Taïssia (Solopova), économe du Monastère de la Sainte Mère de Dieu du Signe, de Zvanka. Et Vladika décide que si celle-là ne s’en sort pas, elle qui est une moniale tournée vers la prière, disposant d’une éducation de niveau supérieur, connaissant l’Évangile par cœur, et sage dans ses relations avec autrui, il dissoudra la communauté.
Au début, tous les efforts de la nouvelle supérieure furent vains et, «après avoir longuement et calmement réfléchi à tout cela», Matouchka Taïssia décida de quitter la communauté. C’est alors que la Très Sainte Mère de Dieu lui apparut au cours d’un rêve effrayant et terrible. Matouchka Taïssia rêva que le monastère était entouré par un incendie et surplombé par des nuages de feu. Il s’en fallait d’un instant pour que le bâtiment abritant les cellules s’enflamme. Matouchka commença à prier et très vite elle aperçut à la fenêtre l’icône plutôt rare de la Mère de Dieu du Prompt Secours (Скоропослушница/ Γοργοεπήκοος). Au pied de la Très Sainte Mère de Dieu se trouvait la tête vivante du Saint Précurseur avec laquelle Elle conversait vivement. Elle dit alors à Matouchka : «Pourquoi vous agitez-vous tous de la sorte, et toi, que crains-tu?… Lui et Moi, nous protégeons toujours Notre monastère! Ne crains rien, aie plus de foi!». Cette apparition de la Très Sainte Mère de Dieu consola et rendit force à Matouchka, qui prit la ferme décision de tout endurer et d’œuvrer pour le bien de son saint monastère. Même si cela devait la mener jusqu’à la mort, elle ne quitterait pas la communauté de sa propre volonté et s’efforcerait d’y restaurer l’ordre et de la faire prospérer, avec l’aide de la Très Sainte Mère de Dieu, dont elle ne douta plus. Tout ne changea pas pour autant soudainement ni immédiatement dans le monastère. Il fallut faire face à de nombreuses afflictions et labeurs engendrés par des désordres intérieurs et extérieurs. Mais sa prière à la Reine des Cieux ne faiblit pas, et Celle-ci n’abandonna pas Son monastère.
Matouchka écrivit dans ses «Notes»:«Un soir, j’étais assise dans ma cellule, seule… Je sentais tout ce poids peser sur moi, tellement lourd. Je demeurais en silence, même dans mon âme et en pensées. Soudain, je vis clairement, non pas en rêve, mais réellement, au milieu de ma cellule, une croix de bois, très grande. Elle allait quasiment du plancher jusqu’au plafond. L’endroit où se croisaient les parties horizontale et verticale était comme entourée d’un bandage sanglant. La vue de cette croix ne me déconcerta aucunement; je fis devant elle le signe de croix et pensai, involontairement: «Comme elle est grande, comment pourrais-je la porter?». J’entendis alors une voix, comme si elle sortait de cette croix; elle me dit «Tu la lèveras et la porteras par Ma force, au milieu de tes faiblesses!». Je vis cela comme étant soit un apport de force au sein de ma vie remplie d’afflictions, soit l’annonce de nouvelles peines encore plus grandes. Malgré ma tristesse, j’acceptai cela avec reconnaissance, et prête à endurer toute souffrance pour le bien du monastère et la glorification du Nom de Dieu à travers ce dernier».
La nuit du 27 novembre 1886, c’était la fête de l’icône de la Très Sainte Mère de Dieu «du Signe», Matouchka Taïssia fut à nouveau jugée digne de recevoir une vision de la Très Sainte Mère de Dieu. Elle vit en rêve que les sœurs de la communauté formaient un cortège s’avançant pour accueillir la Reine des Cieux. Matouchka Taïssia marchait en tenant deux cierges de cire : l’un, petit, était déjà quasiment consumé, le second cierge, grand et intact, Matouchka allait l’allumer à l’autre pour le présenter à la Reine. Soudain, au loin, on aurait dit que le soleil se levait et se mettait en mouvement vers le monastère. «Lorsque ce globe solaire approcha, je pouvais nettement observer qu’il était ovale et recelait en son milieu, en son centre, son noyau de lumière. Quand il arriva plus près encore des saintes portes, toutes, nous pouvions clairement voir que c’était la Reine des Cieux qui venait vers nous. Elle était ce cœur de lumière du soleil et tout autour d’Elle s’étendaient les rayons. Au moment où elle franchit les saintes portes du monastère retentit au-dessus d’Elle le chant des Puissances incorporelles : «Il est digne». Les sœurs avaient chanté cet hymne en L’attendant, et maintenant toutes les cloches sonnaient à la volée. Telle était la Reine qui faisait Son entrée ; non pas une Reine terrestre telle que je me la figurais, mais la Reine des Cieux!». L’higoumène Taïssia s’approcha de la Reine avec force métanies, avec crainte et foi, elle Lui remit le cierge qu’elle venait d’allumer. «A mon plus grand émerveillement, Elle me regarda avec bienveillance, leva la main et l’avança non pas vers le grand cierge que je Lui avais remis, mais vers le tout petit qui finissait de brûler dans ma main gauche, et Elle me dit: «Ce qui Me plaît, c’est le cierge qui brûle dans les labeurs que tu accomplis pour Moi. Et celui-ci, dit-Elle en montrant le grand cierge, prends-le et poursuis avec lui tes labeurs pour moi, jusqu’à ce que Je revienne ici». L’higoumène s’éveilla, toute pénétrée d’une crainte révérencielle. Elle avait compris: «La Reine des Cieux avait béni par Sa visite le lieu destiné à l’église qui serait consacrée aux Louanges à la Mère de Dieu, car Elle s’était tenue à cet endroit. Elle avait béni mon travail en acceptant mes labeurs passés et me prescrivant d’en poursuivre de nouveaux, plus grands, plus durs devant lesquels je me trouvais dans notre démarche de construction de Son église».
Ce sont les «Notes de l’Higoumène Taïssia» qui nous apprennent tout cela. Ces lointains événements ont été racontés par le Père Gennadi Belovolov aux participants à la conférence internationale «Saint Jean de Kronstadt et la Renaissance universelle de la Russie», organisée à Saint-Pétersbourg, lors de l’excursion au Podvorié de Leouchino, après la Liturgie. (A suivre)
Traduit du russe