Dans le texte mis en ligne le 15 janvier 2014 dans sa version russe sur le site Pravoslavie.ru, le Métropolite Athanasios de Limassol transmet, à travers des exemples tirés de sa vie, de son expérience, un long enseignement au sujet de l’importance de la prière, et surtout de la prière pour autrui. Compte tenu de la longueur de la version russe, la traduction française a été proposée en quatre parties, dont voici la dernière. Les trois premières se trouvent ici.

Que génère la mise en pratique de l’amour, au moyen de la prière, de la charité, du soutien et de tout acte d’amour? Les bénéfices spirituels. Nous voyons la futilité de tout ce qui est humain, nous voyons la vanité de cette vie, de l’homme, et nous finissons par nous dire : «Qu’est-ce qui a encore un sens en cette vie que nous vivons? Que nous restera-t-il en fin de compte?». Souvent, nous nous plaignons : «Un tel ou une telle m’a offensé, il ou elle m’a accusé injustement! Lui est riche et moi je suis pauvre! Il a pris ce qui m’appartenait!», et toutes ces choses qui nous préoccupent chaque jour. Et puis, nous pensons, mais tout cela va avoir une fin, absolument tout. Tous nous allons nous retrouver devant le Christ, et là, nous verrons qui est sage et qui ne l’est pas, qui a réussi et qui a échoué, qui est vraiment riche, et qui est réellement pauvre. Que dit l’Apocalypse ? Parce que tu es pauvre et nu, viens, afin que Je te donne la richesse, Ma richesse, Mes vêtements blancs et Mes possessions. Ce que tu possèdes est faux, éphémère, sans valeur, futile. Tu es nu, pauvre, mort, tu portes un nom, tu te crois vivant, mais tu es mort.

(Photo Pravoslavie.ru)

En fin de compte, ce qui a un sens, c’est de comprendre que nous vivons quand nous sommes proches de Dieu, riches quand nous sommes proches de la richesse de Dieu, nous réussissons quand nous vivons près de Dieu. Tout le reste n’est pas solide, tout le reste est vain, vanité de vanité. Et tout cela n’aura tôt ou tard que peu d’importance car la mort s’approche inexorablement de chacun, fût-ce à un âge avancé. Faisons donc preuve de discernement et jugeons cette vie actuelle non pas selon les circonstances présentes en disant : «Ah, cela est très bien!», mais en fonction de la vie au-delà. Le passé sera évalué à la fin, cette fin imprimera sur l’homme le cachet de sa réussite ou celui de sa vanité.

Je suis évêque et je dois dès lors me rendre en des endroits très divers, dont des maisons et salons luxueux, où je me souviens de la kelia de Geronda Païssios, dans laquelle il n’y avait rien. Savez-vous ce que signifie ce «rien»? Absolument rien, au sens premier du terme. Juste l’une ou l’autre vieille caisse et des vieux vêtements, qu’il avait trouvés et assemblés ; c’était ce qu’il appelait son «divan». Et il disait :
Ce divan, je l’ai commandé spécialement en France, c’est un Louis. Il racontait ça pour nous faire sourire.
Quand j’ai commencé à aller lui rendre visite,  j’étais jeune, et il me disait :
Pour toi, «papa», j’ai un fauteuil particulier. Voilà, assieds-toi là, il est tout à fait spécial ; je l’ai reçu de visiteurs haut-placés!
Et que pensez-vous que c’était? Une petite caisse couverte d’un coussin, un deuxième coussin posé dessus étant dressé contre le mur, afin de ne pas prendre froid quand on s’endormait dessus. Il n’avait rien ; ses icônes étaient des images de papier enveloppées de cellophane ; en guise de chaise, il utilisait un tabouret, et pour écrire, il posait une planche sur ses genoux. La pauvreté. Et chez lui, on ne trouvait rien, non parce qu’il n’avait rien, mais parce qu’il ne voulait rien. S’il l’avait voulu, il aurait été riche, millionnaire, s’il l’avait voulu. Mais il ne le voulait pas. Toutes ses possessions se trouvaient dans une malle : quelques haricots secs, un peu de riz, et ce qu’on lui apportait des monastères, fruits secs ou loukoums, dont il régalait ses visiteurs, mais pas de casserole, ni aucune de ces choses qui pour nous vont de soi, mais qui pour lui n’étaient que du luxe.
Un jour, Geronda Païssios prépara du thé pour un visiteur. Comment, pensez-vous? Dans une boîte de conserve. Comme le faisaient nos grands-mères au temps jadis. Il jeta quelques herbes dans une boîte de conserve et les y fit infuser. Ensuite, il versa le thé dans une autre boîte, mais les herbes y coulèrent avec le thé. L’homme alla lui acheter une passoire, mais il lui dit :
Mais mon enfant, pourquoi as-tu ramené cela? Vous voulez que je vive dans le luxe, maintenant?
Geronda, une passoire à thé, c’est cela du luxe? Ainsi, les herbes ne tomberont plus dans le thé… Qu’y aurait-il de luxueux à cela?
Pourquoi as-tu apporté cela? A partir de maintenant, je devrai la laver. Je vais devoir trouver un clou pour la pendre, un marteau pour enfoncer le clou, et je devrai veiller à ne pas l’égarer. Pourquoi m’imposer tout cela? Garde la passoire, non seulement, je n’en ai pas besoin, mais je ne la veux pas.
Pour lui, ces choses toutes simples étaient du luxe. Et pourtant, je vous assure que j’échangerais tous les salons du monde contre cette kelia infiniment pauvre et humble, mais tout y était imprégné de Dieu, même la poussière, tout y était rempli de Dieu. On m’a rapporté ce que firent des Américains : ils sont venus et ont emporté le lambeau de carpette sur lequel Saint Païssios frottait ses pieds avant d’entrer dans sa kelia. Ils l’ont découpé en petits morceaux et ils les distribuèrent aux gens. Ces petits morceaux de la carpette sur laquelle il frottait ses pieds sont conservés avec vénération et sont devenus source de miracles. Je me dis : voilà des hommes de Dieu! Ils vont jusqu’à vénérer la poussière de ses pieds.
Qui est celui qui a réussi? Celui qui vivait dans des palais, dont plus personne ne se souvient sinon ses enfants, ou l’ascète pauvre, sans formation, et qui vécut isolé dans la montagne, mais que la Grâce de Dieu imprégnait, de même que la joie, le bonheur, l’optimisme, et qui devint une source à laquelle on vient puiser joie et bonheur? Tous nous y allions, de même que tous ceux qui souffraient et nous buvions à satiété l’eau qui s’écoulait de cet homme pauvre qui souvent n’avait même rien à manger.
Je me rappelle qu’un jour, étant à Thessalonique, j’achetai du lait en poudre pour Geronda, car il pouvait en boire malgré ses problèmes de digestion, et je le lui apportai.
– Qu’est-ce que c’est ?
– Geronda, c’est pour votre système digestif! Un peu d’eau et une cuillère de poudre, et vous avez du lait!
– C’est bien, dépose-le là!
Un an plus tard, je repassai par là et je retrouvai le paquet de lait exactement dans le même coin. Il n’était pas même ouvert, on n’y avait pas touché. Il était tel que je l’avais acheté.
– Geronda béni, vous avez laissé le paquet là ?
– Si j’en avais voulu, je l’aurais acheté moi-même! Je ne t’ai pas demandé de me l’apporter!
– Il n’y a rien chez moi parce qu’il n’y a rien et je ne veux rien ; j’ai décidé que telle serait ma vie. Si je l’avais voulu, j’aurais pu vivre autrement.

Je ne répète pas cela pour que nous l’imitions, car dans le monde où nous vivons, nous ne pouvons, et nous ne devons pas faire de telles choses, du fait de nos obligations. Mais notre cœur doit demeurer libre et sage et nous devons apprendre ce qui donne du sens à notre vie, et en fin de compte, seul Dieu a du sens. Nous devons juger notre vie non pas à l’aune de ce qui est mondain ou humain, mais à travers les critères de Dieu ; nous serons trois fois heureux, quand Dieu sera avec nous.
On me dit : «Je n’ai pas réussi ceci, j’ai échoué en cela, je ne suis pas devenu ce que je voulais, j’ai rêvé». Pourquoi vouloir toutes ces choses passagères, futiles? Seul ce qui revêt de la valeur vaut la peine d’être atteint. As-tu atteint Dieu? As-tu Dieu dans ton cœur? Aspires-tu au Règne de Dieu? Voilà ce qui a de la valeur. Tout le reste ne dure qu’un bref instant. Et quand on atteint tous ces buts mondains, qu’a-t-on obtenu? Ceux qui possèdent doivent être comme ceux qui ne possèdent pas, comme le dit l’Apôtre (1Cor.7,30). On ne conserve cela que peu de temps, après, on le perd. Ces choses, on ne les conserve pas toute sa vie. Quand vient l’heure des difficultés et des problèmes, les choses et les êtres les plus chers, eux-mêmes, ne sont pas à nos côtés. Mais Dieu, Lui, est toujours à tes côtés, c’est en Lui que tu dois placer ton espoir, dans le Christ. C’est Lui que nous devons chercher.
Dans notre vie, toutes nos difficultés nous apprennent qu’au bout du compte, c’est du Christ dont nous avons besoin. Comme le disait Saint Porphyrios, le Christ est tout. Quand tu L’as, tu n’as besoin de rien d’autre. Mais quand tu n’as pas le Christ, tu manques de tout. Quelle que soit la quantité de richesses et de biens que tu puisses acquérir, ce ne sera jamais suffisant, car il est impossible de trouver la paix dans ce qui est faux.
Aimons le Christ, plaçons notre espoir, notre espérance en Lui et apprenons à prier pour autrui, pour le monde, pour les défunts, pour tous les hommes et femmes, proches ou inconnus, qui vivent des difficultés, des souffrances. Prions pour les besoins de nos frères, et cette charité spirituelle reviendra en notre âme sous forme de récompense divine, de gratification divine.
Traduit du russe
Source

P.S. Celles et ceux qui souhaitent approfondir le sujet de la prière consulteront avec bénéfice le blog de Maxime, qui lui est dédié, ainsi que ces pages du Journal d’un Chrétien Ordinaire, ou encore cette page du blog Orthodoxologie