L’Archimandrite Grigorios (Zimous), higoumène du Saint Monastère de Dochiariou, est bien connu, au-delà, même, des limites de la Sainte Montagne. Des pèlerins mus par la soif d’entendre les sages paroles de Geronda Grigorios arrivent de tous les continents pour participer à ses entretiens et bénéficier de ses sages conseils. Grâce à l’excellent travail de l’interprète, ils sont en mesure de suivre avec attention les récits des exploits ascétiques des moines, de souffrances, d’oppression et d’égarement au sein des passions. Le texte ci-dessous est composé d’extraits du livre «Visages que je connus dans le creuset de l’Église» («Люди Церкви, которых я знал» «Μορφές που γνώρισα να ασκούνται στο σκάμμα της Εκκλησίας»), de l’Archimandrite Grigorios, édité en 2016 par le Monastère de la Sainte Trinité-Saint Jonas à Kiev. Il a été mis en ligne le 3 mars 2015 sur le site ukrainien Otrok.ua

Satisfait avec peu
L’Apôtre Paul écrit de façon simple et laconique de la satisfaction de peu : «Si donc nous avons la nourriture et le vêtement, cela nous suffira» (1Tim.6,8). Et le Seigneur nous dit la folie de celui qui imagina détruire ses granges et greniers pour en construire de plus vastes qui soient en mesure d’abriter l’abondante moisson offerte par ses champs et cultures. Le contentement avec peu est un trait caractéristique de la vie monastique, depuis l’origine de celle-ci jusqu’à nos jours. J’espère que les histoires athonites qui suivent réjouiront le lecteur, en ce qu’elles montrent que l’activité spirituelle n’a pas encore complètement disparu chez les moines.
Un vieil ermite arriva à la kaliva d’un moine dans une skite, tenant en main une cruche de verre à l’anse cassée, destinée à contenir de l’huile.
– Abba, donne-moi un peu d’huile pour mes légumes. Cela fait un mois que je n’en ai plus, et les légumes verts sans huile commencent à m’occasionner des ennuis au ventre.
L’ermite tremblait de froid. Ses vêtements tout troués ne protègaient plus son corps desséché du vent fort qui souffle tellement souvent pendant les mois d’hiver. Le moine de la kaliva venait justement de recevoir par la poste un bon pull de laine. Il le tendit à l’ermite.
– Voilà, enfile-le, il est tout neuf, en laine de mouton. Mets-le sur toi, sinon, tu gèleras.
Le vieil ermite enfila le pull, prit l’huile et s’en repartit satisfait. Mais au bout de quelques minutes, il était revenu devant la kaliva, tenant le pull en mains.
– Abba, je n’en aurai pas besoin. Il vaut mieux que tu le donnes à quelqu’un d’autre qui en aurait besoin.
Une vingtaine de jours plus tard, le vieux geronda partit pour le repos éternel, et là il n’avait évidemment plus besoin du pull de laine.
Un Suisse pérégrinant à la Sainte Montagne se présenta à une kaliva qui se distinguait à peine d’une «kaliva pour les bœufs» (C’est ainsi qu’on désigne les étables sur le Mont Athos). Il frappa avec douceur à la porte, et une voix faiblarde venant de l’intérieur l’invita à entrer. Ce faisant, il aperçut le geronda, assis au bord d’un lit de planches, égrenant son komboschini. L’homme balaya du regard le misérable aspect de la kaliva et ses yeux se posèrent sur le geronda. Il était couvert d’un vêtement de laine grossière. La mauvaise connaissance du grec empêchait le visiteur de converser avec le geronda, mais sans qu’aucune parole ne fût prononcée, il était évident que celui-ci vivait dans le plus complet dénuement et le dédain des choses humaines. Il ne jouait pas avec les choses de Dieu pour se donner de l’importance aux yeux d’autrui et demeurait dès lors inconnu de tous. Le visiteur sortit cinquante dollars de son portefeuille afin de les donner à l’ermite.
– Non, je ne les prendrai pas. Voici peu, quelqu’un m’a donné vingt dollars. Ils me suffiront pour longtemps encore.
L’hiver arriva. L’étranger se souvint de la kaliva de l’ermite et lui envoya par la poste cent dollars pour sa nourriture et du bois de chauffage. Le geronda les reçut et il les renvoya sans délai car quelqu’un venait de lui envoyer de l’argent. L’étranger les lui envoya de nouveau afin qu’il les distribue à des frères nécessiteux. Le geronda les renvoya à l’étranger, accompagnés d’une demande : «Distribue-les toi-même. Il ne serait pas juste que je paraisse généreux et miséricordieux à ton compte». L’été suivant, le Suisse reçut le baptême et devint orthodoxe, ayant appris auprès de ce geronda qu’il vaut mieux donner que recevoir et qu’il ne convient pas d’accepter une aumône si on n’en a pas le besoin. Cette historiette est pareille à l’eau qui s’écoule de la source sur la montagne ; sa vision et son murmure rafraîchissent l’homme.

Saint Jean Climaque

Ceux qui m’apprirent la vie sainte
Depuis mes années d’enfance résonnent ces paroles de Saint Jean Climaque : «Le monachisme est une contrainte exercée en permanence sur soi-même». Ma grand-mère Zakharo me répétait souvent ce dicton : «La journée de travail commence la nuit». Tu commets une erreur en remettant au lendemain le travail d’aujourd’hui. Je commençai tôt à m’émerveiller de la vertu qu’est la contrainte que l’on exerce sur soi-même et je me mis à l’aimer avant que je n’apprisse à la mettre en œuvre. Depuis lors, j’aspire à la conquérir car il me semble qu’elle convient à mon caractère comme aucune autre. Un jour, j’interrogeai Geronda Amphilochios :
– En quoi le moine se distingue-t-il du laïc?
– Le moine s’en distingue par la contrainte qu’il exerce en permanence sur lui-même.
Et Geronda passa ensuite la soirée à me parler de moines qui luttèrent pour conquérir la vertu de la contrainte que l’on exerce volontairement sur soi. (A suivre)

Traduit du russe
Source.