Transcription de l’entretien accordé le 8 juin 2015 par Geronda Ephrem, Cathigoumène du Saint et Grand Monastère de Vatopedi, et mis en ligne le 08 août 2015 sur le site russe Pravmir. Geronda Ephrem y évoque divers éléments de son histoire personnelle, offre un éclairage sur la vie spirituelle sur l’Athos et sur les liens avec la Russie.
Geronda, êtes-vous né dans une famille chrétienne? Quand avez-vous rencontré Dieu pour la première fois ?
Je proviens d’une famille pauvre qui vivait dans un village d’une région rurale ; mes parents étaient fermiers. Mon père travaillait dur, mais il n’était pas un homme d’église. Ma mère était une femme de Dieu. Ma première inspiration spirituelle me fut donnée par le prêtre de notre village. J’étais attiré par la vie dans l’Église. Quand j’étais petit, je me mettais un torchon autour du cou et je célébrais la «liturgie». Je comprenais et saisissais tout, et puis je le répétais, jusqu’au renvoi.
Qu’est-ce qui vous poussa à prendre la voie du monachisme ? Qui était votre père spirituel ?
Mon père spirituel, c’était Geronda Joseph de Vatopedi. Et je suis devenu moine parce que j’ai été aspiré par la Grâce. Je n’avais aucune idée de ce qu’était la vie monastique. Je vins au Mont Athos pour la première fois alors que j’étais âgé de dix-huit ans. J’étudiais dans un séminaire et un de mes compagnons de classe, qui voulait devenir moine, mais qui finit par se marier et devenir prêtre, me raconta qu’un quotidien publiait des articles à propos de la Sainte Montagne. Je me mis à lire ces articles et décidai de venir au Mont Athos. Un an plus tard, je partis étudier à l’Académie Théologique d’Athènes, et en 1975, je vins pour la première fois à la Sainte Montagne.
Au cours de la visite, nous avons rencontré Geronda Ephrem de Katounakia, qui décéda en 1998. Il avait reçu de Dieu un puissant charisme. Notre groupe était composé de cinq étudiants. Geronda me regarda et me dit : «Toi, tu vas devenir moine». Je fus terrassé par le chagrin. Et il continua : «Et tu porteras également l’épitrachilion car tu seras prêtre». Et il ajouta encore : «Tu feras partie de notre lignée spirituelle, celle des disciples de Geronda Joseph l’Hésychaste».
Cette nuit-là, je ne parvins pas à dormir. Quel cauchemar! Comment pourrais-je devenir moine? Je me rendis au Saint Monastère de Grigoriou et sollicitai un entretien avec l’higoumène de la communauté, Geronda Georgios, un homme de grande spiritualité. Je lui racontai : «Je suis très triste. Je suis allé à Katounakia, et Geronda Ephrem m’a dit ceci» (Et je lui rapportai ce qui m’avait été dit). Il me répondit : «Ah, Geronda Ephrem t’a dit cela, alors, l’affaire est réglée, c’est sûr. Jamais il ne se trompe». Je commençai à me sentir plus mal encore ; ma tristesse s’accrut. Un second geronda venait de confirmer les propos du premier!
J’allai ensuite à la Skite de Bourazeri, où vivait Geronda Charalampos, le frère spirituel de Geronda Ephrem ; lui aussi faisait partie des pères neptiques vivant dans l’attention constante. Je faisais un récit identique à tous les pères spirituels que je rencontrais ; je leur disait ma peine : j’avais d’autres projets pour ma vie. Comme j’étais stupide! J’avais lu Saint Jean de Kronstadt et je voulais vivre comme lui un mariage «blanc» (Saint Jean de Kronstadt et son épouse vécurent comme frère et sœur). Je racontai donc mon histoire à Geronda Charalampos, et je lui dis ma tristesse. Et il me répondit : «Geronda Ephrem t’a dit cela ? Alors, il n’y a rien d’autre à dire». Et dès cet instant, tout le monde m’appela le novice. Tout le monde plaisantait : «Tu es un novice, tu es un novice». Et je voulais mourir de chagrin. Et cinq ans plus tard, je devins moine ; la prophétie était accomplie. Je rencontrai alors Geronda Joseph de Vatopedi. Comme Geronda Ephrem de Katounakia, il était disciple du Saint Geronda Joseph l’Hésychaste. Immense fut leur contribution à la renaissance hésychaste de la Sainte Montagne.
En Russie nous entretenons une vision particulière du Mont Athos ; pour nous, il s’agit de ce qui est le plus proche du monachisme idéal. Tout moine, tout novice russe, souhaite aller mener le combat au Mont Athos et entretient le simple rêve de passer, serait-ce une seule journée, à la Sainte Montagne. Qu’est-ce qui attire les hommes au Mont Athos ?
Le Mont Athos est l’unique État monastique au monde, et il préserve la Tradition Orthodoxe. Qu’est-ce que le monachisme? C’est l’observance, jusque dans les détails, des commandements évangéliques. Cela signifie que partout où le monachisme est mis en œuvre, l’Orthodoxie est mise en œuvre de façon réelle. Quand nous utilisons le terme Tradition, nous ne faisons pas référence à du folklore ou à des coutumes. Avec le mot Tradition nous signifions l’art et la technique de la sainteté, transmis concrètement d’homme à homme. La Sainte Montagne promeut la réalisation de cet objectif. Nos frères russes aspirent à ce concept authentiquement Orthodoxe et, dès lors, ils aiment la Sainte Montagne. Et nous les aimons.
La Tradition de la Sainte Montagne survit depuis plus de mille ans, et chaque monastère la vit à sa manière. Quelles sont les caractéristiques de Vatopedi qui vous sont particulièrement chères?
On observe dans chaque monastère des variantes dans la mise en œuvre du typikon, mais la Tradition Orthodoxe est une. D’aucuns affirment qu’il existe une tradition russe, une grecque ou une roumaine, mais ce faisant, ils précisent qu’ils ne font pas référence à la vie spirituelle. Dans la vie spirituelle, la Tradition est une : l’Orthodoxie. Mais pour ce qui concerne par exemple le chant ou certains éléments rituels, des particularités peuvent exister. Notre théologie, telle qu’elle est vécue de façon pratique par tous, est une. Tous nous pouvons participer à cette théologie qui nous fut donnée par le Verbe de Dieu Incarné. J’aime les vigiles de toute la nuit et les liturgies solennelles du Mont Athos. Mais cela ne veut pas dire que la Divine Liturgie et les offices en d’autres endroits, dans notre pays ou ailleurs, revêtiraient une importance secondaire. J’ai demandé à un de vos collègues s’il allait à l’église, et il m’a répondu : «Non, je vais à l’église seulement quand je suis au Mont Athos». Je lui demandai «Mais pourquoi donc?». Il me répondit : «Parce que là, on a une bonne liturgie». Je lui ai répliqué qu’il se trompait car ce n’est pas le cas là exclusivement. Les aspects dogmatique et spirituel de la liturgie forment un tout, mais sur l’Athos, l’atmosphère spirituelle est différente. Là, l’atmosphère silencieuse et hésychaste aide à absorber les Offices Divins car la Sainte Montagne est un endroit tout particulièrement saturé de grâce. Dans chaque monastère subsistent les prières des pères qui y vivent maintenant et des pères qui ont quitté ce monde. Tout moine du Mont Athos apprend à prier constamment, sans cesse. De plus, le Mont Athos compte de nombreuses icônes miraculeuses de la Panagia et beaucoup de reliques ; ce sont ses ornements spirituels. Tout cela prépare les cœurs des pèlerins et des moines et ils en deviennent plus réceptifs aux offices divins. Voilà quatre jours seulement que j’ai quitté le Mont Athos et j’ai l’impression d’en être parti depuis une année, tellement son atmosphère, la qualité spirituelle qui l’imprègne, et le lieu lui-même me manquent.
L’année 2016 marque le millième anniversaire de la présence russe sur l’Athos. On compte des moines et des novices russes dans quasi tous les monastères athonites. A quoi ressemble l’Athos russe aujourd’hui? Comment devient-on un Athonite à notre époque?
Il est vraiment opportun de célébrer les mille ans de monachisme russe sur l’Athos. Pendant mille années, d’innombrables moines russes ont plu à Dieu. Le Saint Monastère russe de Saint Panteleimon a édité un livre que l’on peut désigner comme le Paterikon athonite russe moderne. Je suis en train de le lire et je suis émerveillé de constater comment ces héros russes de l’ascèse façonnèrent leur nature humaine dans l’accomplissement de leurs vœux et devoirs monastiques. La couronne du monachisme athonite russe est incontestablement Saint Silouane l’Athonite. Il est en vérité l’un des plus grands Saints, un être du plus haut niveau spirituel. Je me souviens qu’avant qu’il fût accueilli officiellement dans le chœur des saints, notre Père spirituel d’éternelle mémoire, Geronda Joseph, nous lisait l’ouvrage rédigé par Geronda Sophrony, disciple et biographe de Saint Silouane, et fondateur du Monastère Saint Jean le Précurseur dans l’Essex. Geronda Joseph nous disait souvent combien le livre Geronda Silouane l’inspirait, et quelle grâce il avait reçue de la lecture du livre. Et il citait Saint Silouane en exemple car, grâce au livre, la grandeur du dogme Orthodoxe et la valeur précieuse de la vie Orthodoxe étaient mises en exergue. Dans ce livre, non seulement les propres paroles de Saint Silouane sont importantes, mais également celles de Geronda Sophrony, qui sut les exposer de façon théologiquement correcte. D’ailleurs, à mon avis, lui aussi est saint). Je puis dire, en fonction de mon expérience, que nombreux sont ceux et celles qui sont devenus orthodoxes grâce à ce livre, et de nombreux jeunes sont devenus moines après l’avoir lu et étudié.
L’homme moderne a du mal à imaginer une vie quotidienne dont chaque minute est passée avec Dieu. Est-ce plus facile sur l’Athos?
Sur l’Athos, c’est beaucoup plus simple. Hier soir, ici dans ma chambre, je lisais un livre du Père Zacharias, un disciple de Geronda Sophrony, qui transmet les enseignements de Geronda à ses disciples. J’y ai lu une chose très intéressante, à laquelle il m’était arrivé de penser auparavant, mais que je n’avais jamais osé exprimer. Geronda Sophrony disait : Il existe de très nombreux saints dans le monde, qui ont reçu énormément de grâce, par les difficultés et épreuves qu’ils ont traversées dans leur vie, et par la patience, conforme aux commandements de l’Évangile, dont ils firent preuve. Mais, dit Geronda Sophrony, malgré cela, seuls les moines peuvent atteindre la prière pure. Et ils peuvent l’atteindre par l’obéissance qu’ils montrent à leurs pères spirituels. Cette obéissance leur ouvre une liberté très profonde vis-à-vis de tout souci et préoccupation. Et lorsque le moine ne vit aucun souci, il est libre d’avancer dans la prière. Je souhaite ajouter que dans le monde contemporain, la présence du monachisme en des lieux tels que le Mont Athos revêt une importance toute particulière, car elle produit un très grand effet spirituel.
Moine est celui qui vit en union à Dieu? Mais qu’est-ce que l’amour pour Dieu?
Le moine a soif de Dieu, il aspire à Dieu. Et il existe alors une sorte de mystère, une sorte de miracle : non seulement le moine, mais tout Chrétien qui cherche à aimer Dieu, reçoit en retour dans son cœur l’Énergie Divine Incréée. Et au plus cette Énergie Divine Incréée augmente en son cœur, au plus il aime Dieu. Nous, les Chrétiens Orthodoxes, nous accordons une grande importance au premier commandement : Aimer Dieu de tout son cœur, de toutes ses forces, de tout son esprit. Il est essentiel que l’homme aime Dieu, car il n’y a pas de fin à cet amour. Dans le livre de la Sagesse de Sirach, il est écrit : «Ceux qui me mangent auront encore faim ; ceux qui me boivent auront encore soif» (24,21).
Traduit du russe
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