Le site Pravoslavie.ru a mis en ligne le 13 janvier 2014 le texte ci-dessous dans sa version russe. Il s’agit de la traduction des pages 139 à 144 du livre du Métropolite Nikolaos de Mésogée et de Lauréotique «La Voix d’une Brise légère». Lors de l’événement qui est rapporté dans ce récit, Despotis Nikolaos, âgé alors de 22 ans, était encore un universitaire brillant ; il allait devenir moine en 1989 et métropolite en 2004.

Inexprimables sont le raffinement et la noblesse des ascètes! Ces hommes et femmes portent sur eux les signes de la dureté de leur ascèse, leur corps est desséché, décharné, mais un parfum s’en dégage, et leur âme merveilleuse est imprégnée de grâce.

(Photo : http://www.isihazm.ru)

Août 1976. Dans l’ancien calendrier, le 22 juillet. La communauté monastique de Simonopetra célèbre la fête de Sainte Marie Madeleine. On l’aime beaucoup dans ce monastère, Sainte Marie Madeleine! On y préserve son avant-bras gauche : le poignet, la paume, les doigts, toujours reliés par les tendons et ligaments et recouverts de la peau. Et sa température demeure en permanence à 36°, signe de ce que cette main est un vivant témoignage du Christ Ressuscité, vivant témoignage de ce que sur elle, «la mort n’a plus de pouvoir» (Rom. 6,9).
Lors de l’agrypnie, on me plaça dans la stacidia, au centre. A côté de moi se tenait un geronda aux cheveux gris. Il se tenait droit, pareil à un cierge, sans broncher. Mais au fur et à mesure de l’avancement de l’office, il se mit à faiblir, manifestement accablé par la fatigue et il dormit. Mais pas comme on le fait d’habitude, en s’abandonnant au sommeil, mais dans un état particulier, étonnant. Il appuyait la tête sur une main et fermait les yeux. De temps à autres on entendait un ronflement, délicat et paisible. Mais à chaque fois que les psaltes commettaient une erreur, il intervenait sans tarder et rectifiait celle-ci. Et il retournait ensuite à sa sérénité. «Le corps dort entraîné vers le sommeil par sa nature, mais son cœur veille car grand est son amour». Et effectivement, son esprit veillait. On aurait dit que cet homme vivait dans un autre monde.
Arriva le moment de l’exapostilaire. Tous les pères se redressèrent et ôtèrent leur skoufia et s’inclinèrent profondément quand passait devant eux le prêtre célébrant, qui portait le plateau d’argent sur lequel reposait la relique de la sainte protectrice du monastère. Et ce fut le moment de vénérer la relique. J’étais abasourdi. Je regardais ce que faisaient ceux qui m’entouraient, et je sentais que je n’étais pas avec eux. J’essayais de comprendre mon rôle et déterminer la façon correcte d’agir, mais je ne parvenais pas à toucher le mystère. Je sentais que tous, autour de moi, vivaient un événement qui demeurait invisible à mes yeux. Les hymnes renforçaient encore la solennité de la situation. Maints signes et attitudes des moines montraient que ces derniers vivaient quelque chose que je n’avais pas les moyens de saisir. La seule chose que je pouvais faire était de suivre ce qui se produisait, de façon superficielle, et avec curiosité. Ce fut bientôt le tour du geronda voisin de quitter sa place et d’aller prendre son tour pour vénérer la relique. Il fit trois grandes métanies, embrassa la relique, reçu l’onction du prêtre et revint avec humilité vers sa stacidia.
Il me dit alors : «Vas-y, ne sois pas si timide! Aujourd’hui, la sainte embaume. Tu recevras un peu de sa grâce». J’obéis et me dirigeai vers la relique. Je fis ce que tous avaient fait, mais le doute ne me quittait pas. Je ne croyais pas particulièrement en tout cela. J’avançai pensivement. Et je fus stupéfait par le parfum. Je voulais absolument confirmer cette impression en l’expérimentant pleinement. Je m’inclinai une seconde fois vers la relique, mais j’éprouvais un sentiment de gaucherie, ce fut l’instant quelque peu inconvenant de cette expérience. Je retournai à ma place. Physiquement du moins, car en esprit, je demeurais auprès de la sainte. Mes questions se multipliaient, mais ma foi n’en grandissait pas pour autant. Cela avait été le «signe» que j’avais demandé, mais ce n’était pas le «signe» dont j’avais besoin. Je ne pouvais y croire, mais je ne pouvais croire non plus que les moines mentaient. C’étaient des hommes tellement purs. Ils vivaient les événements sans y réfléchir, sans évaluer. Je n’avais aucune raison de les soupçonner de mentir.
Geronda, comment cela peut-il se produire? – demandai-je – Peut-être des pères ont-ils aspergé la relique avec du parfum, par marque de dévotion? Ou alors les reliques embaument-elles vraiment?
Ici, répandre du parfum reviendrait à ruiner toute dévotion. La dévotion s’accroît au moment où tu acceptes, en toute simplicité, l’indicible parfum. La Sainte Montagne en est imprégnée.
Que signifie «indicible parfum»?
Quand nous diffusons des arômes de notre atelier de parfums, nous obtenons juste un parfum. Mais quand nous ne diffusons ni ne répandons rien et que l’arôme se répand spontanément, alors, on nomme cela «l’indicible parfum».

Je m’inclinai et embrassai sa main. Et elle embaumait, elle aussi. C’était comme si j’avais touché de l’encens. L’agrypnie se poursuivit. Elle dura douze heures. Un moine que je connaissais s’approcha de moi :

«Tu as senti le parfum qu’embaume Geronda Arsenios?»
«Qui donc?»
«Le geronda qui se tenait à côté de toi.»
Le geronda qui se tenait à côté de moi… Répétai-je en moi-même.
Il a un don particulier – ajouta le moine – voilà plus de dix ans qu’il ne se lave plus le visage. Et il embaume. Il est pur comme une larme. Il vit à Kalamitsa, dans une kelia isolée, à une heure et demie d’ici. Hâte-toi si tu veux le rattraper.
Mais je ne poursuivis pas le geronda. Il était reparti avant le repas de la fête. Il se nourrissait des offices divins ; il n’avait pas besoin de nourriture ni encore de paroles pour rassasier son âme. Il s’était tenu debout, assis, sommeillant pendant douze heures d’affilée, tout en inspirant à chaque seconde le nectar de l’agrypnie. Il avait «choisi la bonne part, qui ne lui sera point ôtée.» (Lc 10,42).


Traduit du russe
Source.