Texte d’Athanasios Zoitakis publié en quatre parties sur le site russe Agionoros.ru. L’auteur est rédacteur en chef du Portail informatique Agionoros.ru, responsable des Éditions «Sviataïa Gora» (Святая Гора) et professeur d’histoire à l’Université d’État de Moscou. La vénération populaire des Saints Cosme et Païssios se répandit au sein du peuple immédiatement après leur décès. Le texte original russe est pourvu d’un important appareil de notes, omis ici ou en partie intégré au texte, en faveur de la lisibilité de celui-ci.
Maîtres spirituels et éducateurs du peuple
De toute l’ardeur du zèle qui brûlait en son cœur, tel l’homme courageux, sage et humble, Saint Cosme d’Étolie ne se lança pas dans son ministère apostolique animé exclusivement par ses aspirations personnelles, sans s’enquérir d’abord du dessein de Dieu à ce propos. Souhaitant savoir si son intention plaisait à Dieu, il ouvrit la Sainte Écriture et y lut à cet endroit les paroles de l’Apôtre : «Que personne ne cherche son propre intérêt, mais que chacun cherche celui d’autrui» (1Cor. 10,24).
Geronda Païssios l’Athonite commença à recevoir des pèlerins seulement après que lui soit miraculeusement apparu, à deux reprises, sont geronda vénéré, ‘Papa Tikhon’ ; la première de ces apparitions survint le 10 septembre 1971. Dans la tradition de toutes les Église Locales, le monachisme apparaît comme une institution fondée sur la direction spirituelle. Païssios l’Athonite et Cosme d’Étolie étaient des ‘gerondas’, des porteurs de la tradition ascétique de l’Église, transmise de génération en génération. Ces deux héros de l’ascèse étaient des ‘médecins de l’âme’ sur base de leur pratique de la lutte contre les passions et les tentations. Les paroles de l’Apôtre Paul : «J’ai été faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver de toute manière quelques-uns» (1Cor. 9,22), auxquelles on recourt traditionnellement dans la rédaction des ‘vies’ pour qualifier ceux qui personnifient la paternité spirituelle, ces paroles donc, s’appliquent pleinement aux Saints Cosme et Païssios. Dans les narrations de leurs vies respectives, nous découvrons maints exemples de circonstances dans lesquelles ils parvinrent à trouver langue avec ceux qui se présentaient et ainsi les aider, en fonction de l’éducation, de la situation matérielle et spirituelle de chacun.
Nombreux furent les contemporains influents, éduqués et savants qui rendirent hommage à Saint Cosme, et celui-ci comptait même des Turcs et des Vénitiens parmi ceux qui le vénéraient. Quant à la kelia de Saint Païssios, elle reçut la visite de politiciens connus, d’artistes et de savants, orthodoxes et hétérodoxes.
L’indépendance à l’égard du pouvoir est un autre trait caractéristique de la tradition monastique athonite, il en découle une forme d’équidistance, ou plutôt ‘d’équiproxomité’ avec tous les Chrétiens, nonobstant les différences de statut social. Les moines furent toujours d’intrépides détracteurs du mensonge. Au cours d’une promenade, l’Empereur Mikhaïl III fut accusé de cruauté et de manque de cœur par un moine se trouvant parmi la foule. Saint Basile le Nouveau (+ 952) accusa Romain Lécapène, coempereur avec Constantin Porphyrogénète, d’avarice et de débauche. L’empereur promit de se corriger, et récompensa généreusement Saint Basile pour l’admonestation. Saint Théodose des Grottes de Kiev dénonça les agissements incorrects du Prince régnant. Innombrables furent les interventions de moines en faveur de ceux qui étaient oppressés par les puissants de ce monde ; nous constatons de nombreuses occurrences dans la vie et les enseignements des deux Saints que nous étudions. Il advint qu’un Président de la République Hellénique vint en visite à la Sainte Montagne ; Saint Païssios recommanda aux moines de ne pas le recevoir car il avait contresigné une loi légalisant l’avortement. Saint Cosme d’Étolie déplora souvent le manque d’attention envers les simples gens du peuple, allant jusqu’à prescrire aux représentants de la noblesse le renoncement au luxe et aux responsabilités sociales. «L’Église n’est pas le navire de croisière de l’un où l’autre évêque dont on profite pour une excursion là où on le souhaite», soulignait Saint Païssios l’Athonite. A un certain moment, il ne commémora pas le Patriarche Œcuménique Athénagoras du fait de démarches particulières que celui-ci avait entreprises en vue d’un rapprochement avec les catholiques romains.
Saint Cosme insistait souvent sur la haute responsabilité des membres du clergé. Toutefois, nonobstant leurs positions de principe, Cosme d’Étolie et Païssios l’Athonite n’étaient pas des zélotes fanatiques s’opposant à la hiérarchie de l’Église. Leur traditionalisme était intimement lié à l’Église. C’est avec la bénédiction de l’higoumène que Saint Cosme d’Étolie quitta son monastère, et ses œuvres furent déployées avec la bénédiction des Patriarches Œcuméniques Seraphim II (1757-1761) et Sophronios II (1774-1780). De même, Saint Païssios n’entreprenait rien sans la bénédiction de la hiérarchie athonite. Un jour, alors qu’il venait d’arriver à Souroti, il se rendit compte de ce que le délai indiqué sur le document écrit l’autorisant à s’absenter de l’Athos était dépassé. Alors que des obligations urgentes nécessitaient la poursuite de son périple, il demeura sur place et perdit deux jours à attendre que la hiérarchie athonite lui fasse parvenir une nouvelle autorisation écrite. A de nombreuses reprises, Saint Païssios rencontra les patriarches de Constantinople et fit preuve à leur égard du plus profond respect. Saint Païssios et Saint Cosme furent illuminateurs par leur vie, enseignant au moyen de leur propre exemple. Jamais ils ne théorisaient ou conseillaient ce qu’eux-mêmes n’eussent pas déjà accompli. Avant tout, ces deux héros de l’ascèse se sacrifièrent pour leur prochain, appelant leurs auditeurs et disciples à faire à leur tour preuve d’une totale abnégation. Saint Cosme renonça à tout intérêt personnel et parcourut un chemin long, épuisant et dangereux à travers la péninsule balkanique : «Maintenant, par la grâce de notre Seigneur Jésus Christ, je n’ai plus ni bourse, ni coffre, ni demeure, ni encore d’autre rason que celui que je porte». Cosme ne séjournait pas dans la maison des riches et des nobles, faisait preuve d’abstinence dans son alimentation, et quand il allait, prêchant d’un village à l’autre, au lieu de se reposer, il profitait de la période chaude de la sieste pour parcourir à pieds la distance qui le séparait de sa destination suivante.
Geronda Païssios n’épargnait ni son temps ni ses efforts pour aider les gens. Chaque jour, il avait la patience de recevoir une quantité énorme de pèlerins, alors que ceux-ci le distrayaient de sa paix et perturbaient le ‘typikon’ de ses journées. Dans son ouvrage, le Père Grigorios Kapsanis rapporte1 ces paroles de Saint Païssios : «Il faut prêter l’oreille lorsque quelqu’un se dit affligé par un problème. Et on ne peut montrer aucun signe de fatigue quand son explication se prolonge interminablement, car alors tout effort sera vain. Un jour, je suis demeuré immobile à écouter l’histoire d’un jeune, qu’il me raconta pendant neuf heures. La douleur me torturait les intestins». Saint Païssios l’Athonite dit encore : «Quand quelqu’un devient père spirituel, il doit être prêt à aller en enfer à la place de ceux qu’il confesse. Dans le cas contraire, il n’est pas mûr pour la paternité spirituelle». Ces propos résonnent harmonieusement avec ceux de Saint Cosme d’Étolie, qui à la question «Toi qui es moine, que fais-tu donc dans le monde?», répondit «Moi, je ne fais rien de bon, mais puisque notre peuple n’a aucune éducation, je dis ‘Que le Christ me perde, moi seulement, mais qu’il sauve les autres’. Et peut-être que par la grâce de Dieu et par vos prières, je serai sauvé, moi aussi». (A suivre)