Le Starets Elie (Nozdrine), Archimandrite du grand schème, est aujourd’hui âgé de 84 ans. Il fit partie de la communauté monastique de la Laure des Grottes de Pskov, séjourna sur la Sainte Montagne, et contribua au redressement du Monastère d’Optina, et il est le confesseur de Sa Sainteté le Patriarche Kyrill. Une équipe de Pravoslavie.ru est allée le rencontrer en 2016. Le texte de cet entretien a été publié dans les pages russes du site web précité. Voici la traduction, de la première partie du texte original.
Oblast de Moscou, gare de Peredelniko. Il y a toujours foule. Dès le petit matin, les gens affluent de tous les coins de Russie, pour recevoir une bénédiction, prendre conseil, parler, ou juste pour se trouver auprès du Starets Élie. Les histoires relatant l’aide que procurent ses prières circulent parmi les voyageurs. L’un se retrouvait dans une situation inextricable, l’autre avait pris place dans la file et attendait son tour d’être reçu, juste par curiosité. La file était longue déjà. Viatcheslav, l’opérateur, et moi étions restés dans la voiture. Nous vîmes arriver Georges Bogomolov, l’assistant du Starets Élie. Nous le saluâmes et commençâmes à décharger le quadricoptère et notre matériel (…) sans savoir si l’entretien pourrait avoir lieu. Nous voulions entre temps pouvoir donner un aperçu de l’atmosphère qui règne dans ce petit coin de notre pays.
«Vendredi, Batiouchka a refusé la Première Chaîne. Nous verrons comment cela va se passer aujourd’hui », dit Georges. Pendant que nous démarrons le quadricoptère, Georges est assailli par une foule de gens. Il explique quelque chose à une dame visiblement perturbée car elle avait fait une promesse à Dieu, et elle n’allait manifestement pas pouvoir la tenir. Georges lui répondit «Nous ne pouvons faire grand chose, mais pour Dieu, tout est possible. C’est juste que nous avons grandi dans la société communiste des plans quinquennaux, et nous sommes habitués à entendre que si on l’a dit, il faut le faire, un point c’est tout…» (…)
Le bâtiment est situé dans la cour de la magnifique église de la Transfiguration du Seigneur. Elle fit partie de celles, rares, qui à Moscou demeurèrent en activité à l’époque soviétique.(…) Les pèlerins sont rassemblés au–delà d’une grande table. Tous attendent avec ferveur le moment de parler seul-à-seul avec le starets. (…) Les heures passèrent. Le Père Élie peut recevoir les gens jusque très, très tard le soir. (…)
Père Élie, merci beaucoup d’avoir accepté d’accorder un entretien à Pravoslavie.ru. Notre première question est «Comment devons-nous parler aux gens du Christ aujourd’hui?»
Dites-leur que le monde a été créé par Dieu, que nos dogmes ne sont que Vérité, que la Bible et les Saintes Écritures, l’Ancien et le Nouveau Testament, existent, que notre vie dans l’Église est avant tout basée sur le Nouveau Testament, qui est le prolongement de l’Ancien. L’Ancien Testament couvre le temps qui s’écoule depuis nos ancêtres Adam et Eve jusqu’à la Nativité du Christ. L’histoire de notre monde et civilisation modernes est définie par le Nouveau Testament ; c’est évident du fait que nous comptons les années depuis la Nativité du Christ.
Dites aussi que l’homme est le couronnement de la création, vraiment son sommet. Il est comme un empereur de jadis, comme un président d’aujourd’hui. Dans le cadre de l’histoire, un dirigeant recourt à ses propres capacités, alors que Dieu, qui créa le monde, l’univers, notre planète, le soleil, le cosmos, est le Maître de tout et de toute notre vie. L’homme est le sommet de la création ; il est donc équipé, intérieurement et extérieurement; il est doté d’émotions, de la raison, et de la volonté, la principale qualité de l’âme. Et Dieu le protège.
Ils demandent pourquoi le mal existe. Le mal existe. Le mal est un éloignement, une violation de la volonté de Dieu. Le mal survint d’abord dans le monde angélique. Une partie des anges quitta le Seigneur. Ils se rebellèrent contre Dieu et du fait de leur départ, perdirent leur héritage originel. Ils en devinrent des démons, des esprits du mal. Ils défient Dieu en permanence. Mais naturellement, le pouvoir appartient à Dieu. Dans Sa sagesse, le Seigneur ne les a pas complètement bridés. Il est dit dans l’Évangile que, tel un éclair, satan fut expulsé des Cieux, et il poursuit ses méfaits ; nous devons en tenir compte. Malheureux ceux qui ne tiennent pas compte de l’existence de Dieu et de celle des forces des ténèbres; ils endurent de nombreuses afflictions et encourent de grandes pertes.
Père Élie, aujourd’hui sévit une propagande active en faveur de relations non traditionnelles entre les sexes. Les agences de publicité disséminent le vice. D’une manière globale, les relations sont rabaissées au niveau des instincts. Où tout cela va-t-il conduire ?
Nous savons que tout le bien vient de Dieu. Tout! Le monde lui-même, dans toute sa beauté et sa grandeur, vient de Dieu. L’existence de l’homme qui vit en Dieu se déploie en un équilibre entre forces spirituelles et physiques. Dieu étant Lui-même éternel, la vie de l’homme est conçue pour l’éternité. Mais les forces des ténèbres existent. Il est impossible de résoudre les problèmes sans reconnaître la présence de Dieu, Sa volonté bonne, Son omnipotence et Son amour pour l’humanité. L’homme ne sera jamais à même d’ordonner correctement sa vie sans tenir compte de l’existence des forces des ténèbres dans l’histoire. Et nous ne savons pas combien de temps durera encore l’actuelle période de vie de notre planète avant que Dieu vienne pour le Jugement. Deux pôles existent dans le monde : la vie en Dieu, la vie en Christ, et le rejet de Dieu. Mais ne pas être avec Dieu correspond à une tentation du diable, qui s’introduit dans notre vie. Alors l’homme se trouve sous l’emprise des forces des ténèbres. Il s’est éloigné de la juste compréhension du Divin, sans pour autant en arriver à une compréhension inverse, démoniaque. Et il erre comme dans l’ombre. Il se livre à différentes expériences, différents savoirs, styles de vie, idées. Mais tout cela est faux. C’est comme quand on trébuche dans l’obscurité. Dans ces circonstances, l’homme se méprend au sujet de l’essence de tout ce qui se déroule autour de lui.
Comment apprendre à prier, Batiouchka, comment prier correctement ?
Mes enfants, il n’existe pas de mathématiques plus sophistiquées! Qu’est-ce que la prière ? La prière, c’est la conversation avec Dieu. Chaque jour, nous nous nourrissons. Ou, dans certains circonstances difficiles, pas vraiment chaque jour. Nous préservons ainsi notre existence physique jusqu’à la dernière minute de notre vie. Mais la vie spirituelle véritable est au-delà de l’emprise de ce monde ; c’est notre relation avec Dieu, et elle existe à travers la prière. Nous devons avant tout comprendre correctement l’essence de notre vie, savoir ce qui est nécessaire de façon à, comme le dit l’Évangile, hériter la vie éternelle. Notre Seigneur et Sauveur a parlé de cela précisément : il faut commencer à aimer Dieu de tout notre cœur, de toutes nos forces, de tout notre esprit, et notre prochain comme nous-mêmes. Dès que l’homme accomplit cela, tout se met en place ; la vie s’ordonne, au quotidien et à long terme. La parfaite compréhension de cela, voilà le but de l’homme en ce monde.
Depuis des années, de nombreux médias en Occident fabriquent une certaine image de la Russie, une image très déplaisante, celle d’un pays agresseur, de l’incarnation du mal… Nous, le peuple russe, devons-nous réagir? Et si oui, comment?
Tout d’abord, nous devons comprendre que chaque pays a une politique et une vie intérieure qui lui sont propres et qui préservent naturellement son mode de vie. Notre Russie a toujours eu pour loi sa propre protection et celle d’autrui. Nombreuses furent les contrées et les puissances qui tentèrent d’assujettir notre Patrie, à commencer par les Mongols, et puis il y eut Napoléon et Hitler. Pour eux, la Russie était un endroit dont ils pouvaient tirer profit. Notre époque ne fait pas exception. On nous observe avec envie. Cette envie a toujours existé en l’homme, de par la dépravation de celui-ci. Il en fut ainsi lors des Première et Seconde Guerres Mondiales. Et aujourd’hui, nous faisons face à une situation semblable. Ils tentent de provoquer la Russie, manifestant leur hostilité afin de nous entraîner dans un conflit de quelque sorte que ce soit.
C’est cela que nous observons dans les turbulences qui frappent la Petite Russie, la frontière occidentale de notre Russie. Ils se comportent de façon provocatrice, purement et simplement. Plus d’une fois, la région de Rostov fut bombardée. Bien sûr, notre Président fait preuve de retenue. Autrement, de sérieuses complications, y compris la guerre, auraient pu survenir. Et donc, maintenant, ils considèrent que nous sommes coupables et s’efforcent de le prouver aux autres peuples. Mais en quoi serions-nous coupables? Nombreux sont ceux qui par exemple mentionnent la Crimée. Mais la Crimée est une partie authentique de notre Russie. Mais rares sont ceux qui savent combien notre Russie fut grande. Les raisons en sont évidentes : la révolution, Lénine. Il ne fut pas un guide, mais un traître, un destructeur, un meurtrier. La Russie souffrit beaucoup à cause de lui. (…) Il aurait dû depuis longtemps être expulsé du mausolée. Le Seigneur ne permettra pas le plein développement de notre Patrie tant qu’il ne sera pas sorti du centre même de notre Russie, Moscou. Beaucoup de gens nous regardent de façon soupçonneuse à cause des restes du communisme dans la société. Ils craignent que cela ne génère de gros conflits et des problèmes. Nous devons le sortir de toute urgence du mausolée du Kremlin. Les tentions s’apaiseront, de même que bien des attitudes agressives envers la Russie. Nous montrerons ainsi que nous nous éloignons du communisme. (…)
Batiouchka Élie, nous nous considérons comme une grande nation orthodoxe, et cela se voit particulièrement lors des fêtes de Pâques, de la Nativité, et d’autres grandes fêtes. Et par ailleurs nous avons quasiment le plus grand nombre d’avortements. Comment lutter contre cela ?
Comme je l’ai déjà dit, cela provient de la révolution. Notre Patrie, notre Russie connut ainsi une perte de la dimension éthique et morale. Le fondement solide de la famille, et de notre situation de façon plus générale, c’est la moralité. Mais cela fut brisé avec l’apparition de slogans comme «Finie la conscience, finie la famille». Mon oncle me résumait les entreprises communistes avec l’expression «Tout est permis». Cela conduisit à une chute effroyable. La démographie de notre Patrie a régressé. Mendeleïev, notre grand homme de sciences, disait que la Russie devrait compter un milliard d’habitants. Et au lieu de cela, combien n’en a-t-elle pas perdus ? Vous comprenez ? C’est à cause de la perversion de la morale ; pillage, banditisme, toutes sortes de violations de la conscience et de marchandages avec celle-ci été avec la moralité s’en suivent. Voilà pourquoi nous avons perdu notre grande famille et constatons une multitude d’avortements… Quand nous nous serons débarrassés de notre abominable cadavre, la Russie sera à nouveau sur le bon chemin, dans la juste direction.
Aujourd’hui, il est courant de placer nos parents âgés dans des institutions lorsque nous ne voulons plus nous en occuper. Quel conseil pouvez-vous donner ?
Mais c’est le même problème. Perte de morale, de conscience, de piété. Nous devrions souvent relire les fables de Krylov. Comme il fustige nos comportements! Les gens ne comprennent pas qui leur a donné naissance, qui les a élevés. Ils perdent leur relation avec leurs parents. Une terrible menace plane, la perte du sens de la famille normale. S’ils abandonnent leurs parents, auront-ils de véritables enfants capables de les aider et leur consacrer du temps quand ils seront eux-mêmes devenus vieux?
Quel conseil donnez-vous à ces enfants ?
D’abord, ils doivent avoir la foi, la crainte de Dieu. Ensuite, ils doivent comprendre qu’un jour, ils seront eux-mêmes vieux, et c’est une bonne chose. Mais dans ces temps à venir, y aura-t-il encore des maisons de retraites, des hospices ?
Père Élie, récemment, on a remis sur le tapis la possibilité d’abandonner le calendrier julien. Par exemple, le Nouvel an est une jour très festif. Mais il tombe pendant la période au cours de laquelle nous sommes sensés jeûner. Que diriez-vous à ceux qui souhaitent abandonner le calendrier julien ?
Nous avons deux calendriers : l’ancien et le nouveau. L’ancien est le calendrier julien, nommé d’après Jules César. Le nouveau est le grégorien, introduit par le Pape Grégoire. Il a décidé de l’introduire afin de rendre le calendrier plus précis, après qu’un moine eut confirmé l’existence d’un retard vis-à-vis du calendrier astronomique. Le calendrier julien est en retard de quelques jours par rapport au grégorien. Dans de nombreuses années, la différence sera non plus de treize mais de quatorze jours car le retard continue à s’accumuler. Mais il s’agit d’une question de pratiques, qui s’instaurent au long des années. Nous avons, par exemple les Croyants du Vieux Rite. Après les réformes du Patriarche Nikon, ils s’en tinrent à la situation d’avant ces réformes. Le Patriarche Nikon avait constaté que les Grecs se signaient de trois doigts, alors qu’en Russie on le faisait à deux doigts. En l’honneur de la Sainte Trinité, nous nous signons à trois doigts. Les Croyants du Vieux Rite le font à deux doigts, du fait des deux natures du Christ. En faisant le signe de croix à deux doigts, on indique les deux natures du Christ, divine et humaine. Lorsque le Patriarche Nikon introduisit ses réformes de façon abrupte, un schisme survint, évidemment. Ce fut une réaction à des réformes brusques. Il en va de même en ce qui concerne le calendrier selon lequel la date de Pâques est calculée. Un jour, le grand théologien et homme de science, Vassili Vassilievitch Bolotov donna une conférence à propos du calendrier. Il a parlé plus de deux heures sans broncher sur sa chaise. Si nous introduisions pareille réforme maintenant et appliquions le nouveau calendrier dans l’Église, cela provoquerait beaucoup d’incompréhension. Ce n’est pas le moment de faire ce genre de chose ! (A suivre)
Traduit du russe
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