Athanasios Zoitakis, rédacteur en chef du Portail informatique Agionoros.ru, responsable des Éditions “Sviataïa Gora” et professeur d’histoire à l’Université d’État de Moscou a rédigé en russe l’original du texte ci-dessous, publié le 29 décembre 2015 et ayant pour objet de présenter Ioannis Kapodistrias, premier Président de la Grèce devenue indépendante au XIXe siècle, héros national en Grèce, homme politique respecté en Russie, cheville ouvrière de la restauration de l’identité orthodoxe de la Grèce face à l’expansion de l’idéologie des «Lumières». Ce texte offre la possibilité de prendre par rapport aux événements qui occupent l’actualité un recul historique quant au profil et à la fonction de Président d’un pays d’Europe.
Dès son jeune âge, Ioannis se plongea dans l’étude de l’héritage des Saints Pères, et l’Évangile était le livre de chevet du jeune garçon. Le cercle des amis, adultes, des parents Kapodistrias comptait plusieurs moines et prêtres. Témoignant de la piété de la famille du futur dirigeant de la Grèce, deux des sœurs de celui-ci devinrent moniales. Ioannis n’avait pas envisagé d’embrasser la carrière politique. De nature calme et timide, il souhaitait se consacrer à la médecine et aux lettres. En 1799, ayant terminé le cycle des études académiques de l’Université de Padoue, il rentra en son île natale de Corfou, où il commença son travail de médecin. Il soignait gratuitement les pauvres, alors même qu’il éprouvait des difficultés financières.
Le talent du jeune homme attira l’attention de l’Amiral Fiodor Ouchakov. En 1801, le Sénat de la République Ionienne confia à Kapodistrias la mise en œuvre de certaines dispositions de la Constitution, élaborée avec la collaboration directe du dirigeant de la Marine de Russie. En 1803, il fut nommé Secrétaire d’État de la République Ionienne, chargé de l’enseignement. Il créa quarante institutions scolaires et officialisa la position de la langue grecque en qualité de langue officielle de la République Ionienne. Mais Kapodistrias est surtout renommé par le succès de ses activités en tant que Ministre des Affaires étrangères de l’Empire de Russie. La simplicité, la modestie, la timidité et la bonté de Kapodistrias le distinguaient parmi les cercles de l’aristocratie pétersbourgeoise de l’époque. Sa contribution à l’historiographie russe fut également fort appréciée. Jamais Ioannis Kapodistrias n’oublia que sa patrie était réduite en esclavage. Il contribua matériellement à la construction d’églises orthodoxes en Grèce, comprenant parfaitement le rôle joué par l’Orthodoxie dans la préservation de l’identité nationale de son peuple.
Le 2 avril 1827, la Troisième Assemblée Nationale élit Kapodistrias à la tête du pays. D’emblée, Ioannis considéra l’exercice du pouvoir comme une épreuve lourde de responsabilités. «J’assume pleinement cette croix qui m’a été donnée d’En-Haut», écrivit-il à un ami proche. Il renonça à la pension que lui allouait l’Empire Russe pour le reste de son existence, voulant de la sorte souligner son indépendance vis-à-vis de toute influence étrangère. Mais en outre, il renonça également à son traitement de Président, se refusant d’être un fardeau pour ses compatriotes. Et il employait tous ses biens au profit de la Patrie, allant jusqu’à vendre toutes les pierres précieuses ornant les décorations qui lui avaient été remises, et versant au Trésor Public l’argent ainsi récolté.
A l’issue des années de guerre dévastatrice, la Grèce se trouvait dans une situation pénible. Le système judiciaire ne fonctionnait pas, l’anarchie régnait dans le pays, et la Grèce était accablée par une lourde dette extérieure. Kapodistrias entreprit de construire un État à partir de rien ; il introduisit des réformes en vue de consolider une société déchirée. Ioannis œuvrait sans relâche ; il ne s’arrêtait même pas de travailler pour les repas. En peu de temps, il organisa l’Armée et la Marine de Guerre, jeta les fondements du développement économique et transforma l’Administration.
Du fait du poste qu’il occupait, les qualités morales de Kapodistrias rayonnèrent. Il ne laissait pas les petits et les pauvres sur le côté. Partout où il allait, le Président de Grèce était accompagné de l’icône de la Panagia Platiteras, du nom du monastère dont elle était issue, à Corfou. La correspondance de Kapodistrias indique à suffisance qu’il croyait en la Providence Divine et plaçait son espoir en le Seigneur. Sa première harangue au peuple grec commençait par les mots : «Si Dieu est avec nous, qui donc est contre nous?». Il participait à la Liturgie les dimanches et jours de fête, et lors des matines, c’était toujours lui qui lisait l’hexapsalme. Il observait le jeûne. Et voulant offrir sa vie toute entière au service de ses compatriotes, il ne se maria jamais et vécut une vie chaste, au sens monastique du terme.
Kapodistrias croyait que le fondement de la prospérité de la société résidait dans l’attachement à l’Orthodoxie. Et il répétait tout particulièrement que seule une armée chrétienne serait en mesure de défendre la Grèce des menaces extérieures. Il affecta des prêtres dans tous les casernements et quartiers militaires et leur fournit des réserves d’ouvrages liturgiques et de livres de prières. Il offrit aux soldats la possibilité de se confesser régulièrement, de communier et d’observer les règles du carême. L’historien Konstantinidis n’exagérait pas en écrivant que «Kapodistrias fut l’unique dirigeant de la Grèce moderne qui aimait et soutenait avec sincérité l’Église Orthodoxe». Trois jours après son élection à la Présidence de la Grèce, Kapodistrias organisa une commission ecclésiastique, chargée de restaurer l’ordre en l’Église et d’aider le clergé, mettant à la disposition de celui-ci tout le nécessaire «afin de le libérer de toute préoccupation matérielle» et de permettre ainsi aux serviteurs du culte de «servir Dieu et se consacrer à l’édification spirituelle et la défense» des fidèles. Kapodistrias œuvra encore au redémarrage et à la restauration des offices dans les églises en ruines ou désaffectées. Le Président de Grèce avait un rêve ; celui d’une académie spirituelle sur le modèle des institutions de formation spirituelle en Russie. Les difficultés financières empêchèrent Kapodistrias de réaliser ce rêve, mais il réussit toutefois à ouvrir un séminaire sur l’île de Poros, qui forma des dizaines de jeunes clercs. Les enseignants qu’il y plaça étaient des moines athonites dotés d’une formation élevée, comme l’Archimandrite Prokopios Dendrinos, originaire de l’île d’Itaque, et le hiéromoine Venediktos de l’île de Simi.
La politique de Kapodistrias s’articulait autour de l’Église et de l’enseignement. Dans une circulaire adressée aux enseignants des provinces grecques, le Président faisait mention de la ‘crainte de Dieu’ comme fondement de l’enseignement et «début de la sagesse», et il qualifiait la piété d’authentique éducation. Pour lui, l’éducation religieuse du peuple était «le devoir premier et fondamental du gouvernement de Grèce».
Le Père Metallinos, ancien Doyen de la Faculté de Théologie de l’Université d’Athènes, écrivit qu’ «à la suite de Saint Cosme d’Étolie, Kapodistrias considérait que l’éducation est inséparable de la vie de l’Église. Et ce n’est certainement pas par coïncidence qu’immédiatement après le soulèvement ayant mené à la libération nationale de la Grèce, celle-ci fut inondée de missionnaires protestants qui s’efforcèrent de la transformer sur base des idéaux de l’Occident, accusant Kapodistrias d’organiser les écoles sur le modèle des monastères orthodoxes, y conjuguant l’enseignement avec la participation quotidienne aux offices de l’Église et imposant la lecture de la vie des saints durant les repas».
Kapodistrias institua un Ministère des Affaires Religieuses et de l’Enseignement en se justifiant par la nécessité «d’unir deux sphères indissociables servant l’objectif commun de l’éducation morale du citoyen en tant que fondement de la renaissance sociale et politique du peuple». Sur l’île d’Égine, Kapodistrias ouvrit un orphelinat d’une capacité d’accueil de 600 enfants et organisa le fonctionnement de l’École Centrale, dont les lauréats se voyaient offrir l’occasion de poursuivre leur cursus scolaire dans l’enseignement supérieur. Il ressort de la correspondance du Président de la Grèce avec son ami suisse, Monsieur Debove, qu’il s’efforçait d’instaurer un système d’éducation dans lequel l’enseignement était dispensé aux enfants dans l’esprit du patriotisme et de la Tradition Orthodoxe, avant qu’ils ne reçoivent la possibilité de poursuivre leurs études dans des universités étrangères. «Ainsi, lorsqu’ils rentrerons pour prendre la direction de la Grèce, ils se comporteront en dirigeants grecs et non en étrangers», écrivait Kapodistrias. En fait, il s’efforçait de former une nouvelle élite inspirée par le patriotisme, qui dirigerait le pays dans l’intérêt de la Grèce et non de leurs mentors étrangers. «Si les valeurs évangéliques constituent le fondement de l’éducation, la Grèce renaîtra», disait-il. Le célèbre historien grec, le Père Metallinos, qualifie Kapodistrias de continuateur de la «Renaissance philocalique». Les traditionalistes orthodoxes partent du point de vue que sans renaissance spirituelle il ne peut y avoir aucune sorte de renaissance de la société. Ils opposèrent la popularisation de la Tradition Orthodoxe à l’expansion des «Lumières» de l’Europe et au défit représenté par les missionnaires occidentaux. Le Comte Kapodistrias, diplomate et politicien chevronné, évaluait avec acuité la situation en Méditerranée Orientale, comprenant qu’il était impossible d’interdire complètement l’activité des puissants missionnaires occidentaux. La solution possible consistait d’une part à instaurer un contrôle sur les missions étrangères, et limiter l’activité des missionnaires à la sphère de l’éducation et d’autre part à favoriser au moyen d’importants efforts, l’essor du système d’éducation national, centré sur l’Orthodoxie, à la tête duquel Kapodistrias plaça en 1829 son ami Alexandre Stourdza, traditionaliste et russophile. Le premier Président de Grèce alla jusqu’à interdire aux Grecs formés en Allemagne, en Angleterre et en France d’enseigner dans les écoles de Grèce.
Kapodistrias s’opposa fermement à la proclamation unilatérale et non canonique de l’autocéphalie de l’Église de Grèce vis-à-vis du Patriarcat de Constantinople. Il entretint une correspondance avec le Patriarche Œcuménique Konstantios Ier en vue de régulariser les relations entre les Églises «conformément à l’esprit des canons de l’Orthodoxie». Les démarches du Président de la République grecque visant à établir une politique intérieure et internationale indépendante se heurtèrent à l’opposition féroce des puissants clans pro-anglais et pro-français. Finalement la situation déboucha sur l’élimination de Kapodistrias, organisée avec l’aide des ambassadeurs anglais et français en Grèce. Le 27 septembre 1831, le premier Président de Grèce fut abattu sur les marches de l’église Saint Spyridon de Trimythonte à Nauplie. Il est significatif que cet assassinat ait eu lieu à six heures trente le matin : Kapodistrias participait aux liturgies dès leur début, et non juste quelques minutes pour la forme (ce qui devint l’usage des générations suivantes de politiciens grecs).
Pour la Grèce, l’élimination de Kapodistrias signifia la perte de la possibilité de mener une politique intérieure indépendante et de définir elle-même ses priorités en matière de politique internationale. Mais plus encore, cela sonnait l’heure de la défaite des traditionalistes, dont il faisait lui-même partie. A la tête du pays furent placés des étrangers, des hétérodoxes, éloignés de la Tradition Orthodoxe et animés de dédain envers l’héritage spirituel de l’Empire de Byzance.
Traduit du russe
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