Le Saint Archevêque Luc (Voïno-Yasenietski) de Simferopol est décédé le 29 mai/11 juin 1961. Grande est la vénération dont jouit Saint Luc au sein de l’Église Orthodoxe de Grèce. En 2016, plus de quarante églises en Grèce sont dédiée à Saint Luc de Crimée. Et bien souvent, le Métropolite Nektarios (Antonopoulos) d’Argolide est surnommé le ‘secrétaire de l’éparchie de Saint Luc’. Despotis Nektarios nous parle de Saint Luc, dans un entretien accordé à Irina Akhoundouva, collaboratrice du Fonds André le Premier Appelé.C’est sur le site de cette institution que fut publié l’original russe du texte ci-dessous.
Despotis, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis né à Athènes, en 1952. J’y ai terminé les cycles d’étude du Séminaire, de l’École de Théologie et de la Faculté de Théologie de l’Université d’Athènes. Dès l’enfance, j’avais décidé de me consacrer à Dieu. Au Monastère de Sagmata, en Grèce, dont je fus higoumène, il existe une chapelle dédiée à Saint Luc de Crimée. Je me suis employé à y créer un petit musée dans lequel furent  rassemblés de nombreuses photographies et des effets personnels du Saint : une mitre archiépiscopale, des ornements liturgiques, ses études et travaux de recherches scientifiques, des livres, des tableaux et des lettres. Le Monastère de Sagmata est âgé de plus de 900 ans, mais sa renommée est toute récente, grâce à l’icône de Saint Luc, peinte par des iconographes grecs, enrichie de ses reliques, dont une partie de son cœur, et toute ornée de tamas et d’offrandes en remerciement de guérisons et aides diverses. Hommes et femmes s’y précipitent pour implorer l’aide du Saint. Au cours de ces dernières années, Saint Luc de Crimée, gloire et joyau de l’Église Orthodoxe de Russie et de tout l’Œkoumène orthodoxe, est devenu en Grèce un Saint exceptionnellement proche et aimé. On le vénère partout ; chaque maison, littéralement, est ornée de son icône.
Comment avez-vous pu entendre parler d’un saint russe ?

Le Musée au Monastère de Sagmata

Il y a très longtemps, j’ai acheté, en Crimée, le livre du hiérodiacre Vassili Marouchaka «Le Saint Évêque chirurgien. Vie de l’Archevêque Loukas (Voïno Yasenietski)» («Святитель-хирург. Житие архиепископа Луки (Войно-Ясенецкого)»). Nous l’avons traduit en grec. Et j’ai eu le grand honneur de rédiger et d’éditer en grec une biographie du Saint Évêque, relatant son chemin de Croix de Confesseur de la foi, son œuvre de pasteur, ses travaux scientifiques et son exploit ascétique d’abnégation au service des hommes. Ce livre [«Αρχιεπίσκοπος Λουκάς», Éditions Akritas]  fut édité pour la première fois en 1999, à 72 000 exemplaires.
Comment s’est passé le travail de rédaction ?
Ce fut un travail fort complexe du fait de l’immense quantité de matériel à traiter. Nous avons voyagé énormément, retrouvant les lieux où le Saint vécut jadis. Nous avons tenu de nombreuses conversations avec des gens qui le connurent personnellement. Nous avons mené 110 expéditions et réuni une quantité énorme de matériel, pendant de nombreuses années. Imaginez en quoi peut consister le tri et le classement par catégories de vingt mille photographies que nous avions prises nous-mêmes. Il fallut sélectionner, faire des choix, ranger par catégorie.
Quelle est la structure de cet ouvrage en trois parties?
Il s’articule autour des villes et lieux dans lesquels séjourna Saint Luc, il est structuré comme un journal de voyage, illustré par des photos prises au cours du périple. Nous prenons un point géographique, par exemple, Kertch, et nous abordons ce qui concerne cette ville. Aujourd’hui encore vivent des gens qui se rappellent Saint Luc, et le traducteur qui m’accompagnait a traduit leurs souvenirs.
Dans son livre «Vie du Saint Lukas Voïno-Yasenietski, Archevêque et chirurgien», Marc Popovski décrit ses rencontres avec les gens qui connurent le Saint. Avez-vous recouru à ce livre pour retrouver les gens ?
Au début, oui, ensuite nous avons entamé les recherches par nos propres moyens. J’ai toujours été accompagné d’un traducteur lors de mes pérégrinations. Lors de certains déplacements, j’ai emmené un groupe de jeunes grecs qui participèrent à l’organisation des entretiens et à la logistique. Ils nous aidèrent beaucoup.
En Russie, aucun ouvrage ne ressemble au vôtre. On aimerait pouvoir disposer d’une œuvre aussi fondamentale concernant Saint Luc de Simferopol en langue russe…
Pareil travail m’occasionnerait un infarctus! Nous avons traduit et adapté tout le matériel de base à partir du russe, et maintenant, il faudrait tout retraduire en russe ? Nous nous sommes assis au travail des jours et des nuits entières pour que tout cela puisse voir le jour. Maintenant, je suis très fatigué.
Qu’est-ce qui vous a le plus impressionné au cours de votre voyage ?
La Sibérie fut la partie la plus fascinante du voyage. Là-bas, les choses étaient différentes, à Touroukhansk, à Norilsk. Je me souviens bien de Touroukhansk, d’Ienisseïsk, de Krasnoïarsk. On s’imagine facilement qu’il s’agit de régions dans lesquelles le tourisme n’est vraiment pas développé. Il nous est arrivé de loger dans des écoles et dans d’autres endroits guère adaptés pour y séjourner. Nous avons été obligés de naviguer sur des embarcations qui mirent jusqu’à quarante heures pour nous amener à destination. Vous pouvez imaginer l’aventure… La majeure partie de ces voyages se déroulèrent en 2006 ; la Sibérie, Kotlas, Arkhangelsk, Tambov, et encore deux pays asiatiques : l’Ouzbékistan et le Tadjikistan. Je me suis rendu à maintes reprises en Crimée ; il me fut dès lors plus aisé d’y découvrir des gens ayant connu Saint Luc. J’ai mené au total plus de cent dix expéditions. J’ai visité quasiment tous les endroits auxquels le nom de Saint Luc a pu être lié. Nous avons suivi ses pas, accompagnés d’enfants, jusqu’au bourg de Bolchaïa Mourta, où Saint Luc fut détenu.
Existe-t-il des endroits où vous ne seriez pas allé ?
Oui, à Tchita et Ardatov. Dans mon livre, on peut voir une photo de la nouvelle église dédiée à Saint Luc à Tchita, mais je n’y suis pas allé personnellement.
Les Éditions de la Laure de la Trinité Saint Serge ont publié une version russe de votre livre, dans laquelle une série de miracles du Saint sont de nature à fortifier la foi des novices. Mais vous-même, avez-vous assisté à des miracles ?

Reliquaire

C’est vrai que j’ai développé une relation personnelle avec Saint Luc. Il y a longtemps déjà, il nous aida à accueillir pour l’été de nombreux enfants de Russie et d’Ukraine. Il aida aussi à trouver le financement de l’instruction d’orphelins, ici en Grèce, dont personne, excepté nous, ne s’occupait. Je me souviens ainsi d’un samedi. Je savais que deux jours plus tard, je devais effectuer pour l’un de ces enfants un paiement de trois mille euros. Le samedi, donc, je disposais seulement de mille euros. Une icône de Saint Luc est pendue au mur, juste à l’entrée de ma kelia. Je m’arrêtai devant elle et priai Saint Luc de m’aider à trouver la somme restante ; je contemplai l’icône en soupirant. Dimanche, je me levai et me rendis à l’église. Un couple s’approcha de moi et me demanda : «Vous êtes le Père Nektarios?» «Oui, c’est moi.» Ils me dirent, à travers des sanglots, qu’un de leurs enfants était très sérieusement malade. Ils avaient prié Saint Luc avec ferveur et la veille au soir, le père avait vu en rêve Saint Luc qui lui dit : «Prends la petite chemise de ton enfant et va au Monastère de Sagmata. Donne la chemise au père Nektarios et dis-lui de la poser sur le coffret dans lequel reposent mes reliques. En ensuite, ramène la chemise ainsi bénie et enfile-la à ton enfant. Tu feras un don de deux mille euros. Ils en ont besoin». Et ils me remirent les deux mille euros. Voilà l’amour que manifeste le Saint ! Et je souligne que cet amour ne nous a jamais abandonné. Quand je fais des conférences à propos de Saint Luc, on compte toujours dans l’auditoire des hommes et des femmes qui ont été guéris par son intercession.
Aujourd’hui, la télévision a rendue célèbre la guérison miraculeuse de Nazaire Stadnitchenko, qui clame que c’est Saint Luc qui lui a permis de faire votre connaissance.
Il en va effectivement ainsi. Je connais Nazaire depuis des années. Il a souvent participé à notre camp orthodoxe organisé par les éparchies de Thèbes et de Levadhia sur les pentes pittoresques du Mont Parnasse.
Avant que vous ne deveniez Métropolite d’Argolide, votre grande affaire, c’était ce camp orthodoxe pour enfants, que vous avez organisé pendant plus de quarante ans. Qui y participait ?
Au début, seuls des petits grecs venaient s’y reposer. Ensuite arrivèrent des enfants de Serbie, de Pologne, de Roumanie, de Jordanie, et depuis 2002 de pays de l’ancienne Union Soviétique, comme l’Ukraine, l’Ouzbékistan, la Biélorussie et la Russie, et pas seulement des orthodoxes, mais aussi des musulmans. Petit à petit, des relations particulièrement chaleureuses et amicales nous ont unis aux éparchies de Simferopol et de Crimée. En 2004, six enfants de Crimée ont participé à notre camp d’été, mais depuis des années nous accueillons un groupe important d’enfants orphelins qui vivent dans diverses institutions spécialisées en Crimée. Je considère que l’Église Orthodoxe de Russie devrait accorder plus d’attention à ces enfants et adolescents, dont parle souvent le Patriarche de Moscou et de toute la Russie Kyrill. Les camps orthodoxes offrent une parfaite occasion de le faire, avec douceur et discrétion. C’est par la prière de Saint Luc que j’ai fait la connaissance d’enfants russes et ukrainiens. Alors que je priais devant sa tombe à Simferopol, j’ai rencontré un groupe d’enfants de Sibérie. Je les ai par la suite invités régulièrement en Grèce. Pendant le camp, j’ai raconté aux enfants les innombrables guérisons survenues par l’intercession de Saint Luc. Ce qui est extraordinaire, c’est qu’avant le camp, les enfants ne le connaissaient absolument pas, même ceux qui habitaient Simferopol!
Je me souviens de mon passage dans votre camp, et particulièrement de vos entretiens quotidiens avec les enfants et les adolescents. Vous abordiez des thèmes très variés, comme les relations sexuelles, l’amour, les amourettes, la notion de péché, le fléau de l’avortement, la sainteté de la maternité, les responsabilités mutuelles, la responsabilité envers les enfants. Dans nos établissements scolaires, ces thèmes ne sont pas souvent examinés, alors que l’éducation des futurs parents devrait commencer dès le jardin d’enfants.
Vous avez raison, de nos jours, on réalise environ 300 000 avortements chaque année. Beaucoup le font sans aucun remord, considérant, comme le prétendent beaucoup de scientifiques, que l’embryon n’est pas un être vivant. Mais pour l’Église, il s’agit d’un être vivant. J’ai expliqué aux enfants qu’en se faisant avorter, la femme commet un meurtre, mais elle se met elle-même en danger, et en cas d’infection, elle ne pourra plus procréer. Mais souvent, les médecins ne mettent pas en garde contre cela. Bien au contraire, ils favorisent l’avortement car il constitue pour eux une source de revenus. Voici quelques années, à Thèbes, un homme frappa son épouse au ventre, afin de l’obliger à se faire avorter. Mais le prêtre lui conseilla de garder l’enfant. Il naquit ; la plus jolie et intelligente des jeunes filles de Thèbes. Elle étudia la médecine et devint la fierté de son père. Un jour, elle me demanda pourquoi il ne convenait pas de se faire avorter. En réponse, je lui ai raconté sa propre histoire. Si je n’avais pas insisté pour qu’elle puisse naître, elle n’aurait pas existé. Un jour les médecins conseillèrent à un couple de ne pas permettre que soit menée à terme la gestation de leur cinquième enfant. Je les convainquis du contraire et l’enfant devint la fierté de la famille.
Au camp, les enfants lisaient, tout haut «L’histoire d’un enfant non-né». Semaine après semaine le tout petit bébé raconte ce qui lui arrive dans le ventre de sa mère, comment ses organes se forment et comment il se sent. A la douzième semaine, par exemple, il dit qu’il ressemble de plus en plus à ses parents, qu’il ressent les sentiments de sa mère, ses joies et ses peines. Et c’est précisément la semaine au cours de laquelle les femmes se font avorter. La dernière phrase de l’enfant est «Maman, pourquoi tu me tues?». Je suis convaincu de ce que les enfants, dès lors qu’ils ont entendu cette histoire, ne peuvent plus l’oublier et elle les aidera à ne pas commettre cette fatale démarche.
Despotis, vous n’êtes pas médecin. Comment se fait-il que vous collaboriez depuis tant d’années avec la communauté médicale ?
En Grèce nombreux sont les chirurgiens qui se tournent vers Saint Luc et implorent son aide, non seulement en tant que saint, mais aussi en qualité de «collègue aîné». Ils prient avant d’entamer toute opération ; et celle-ci est toujours réussie. Les médecins rapportent des cas authentiques de guérisons de patients affectés par le cancer et qui avaient imploré l’aide de Saint Luc. Selon leurs récits, pendant leur sommeil, ils furent littéralement opérés par le Saint. Et des cicatrices, traces de ses interventions chirurgicales, étaient ensuite visibles. Les gens sont complètement guéris. Pendant toute sa vie, Saint Luc montra que science et religion sont compatibles ; la médecine réalise ses miracles seulement quand elle œuvre main dans la main avec la religion, et les connaissances scientifiques peuvent faire évoluer la médecine à des niveaux de plus en plus élevés si elles œuvrent avec la foi en Dieu.
Un jour, je vous ai demandé à quoi vous pourriez comparer le Saint Évêque Luc, et vous m’avez répondu, avec le Lac de Tibériade, aussi appelé Lac de Génésareth et Mer de Galilée. Car, depuis des siècles, de l’eau s’écoule de ce lac, au contraire de la Mer Morte, qui ne fait que recevoir de l’eau. Vous ajoutiez que toute la vie de Saint Luc est comme une source d’amour dont vivront toujours tous ceux, et en particulier les médecins, qui lui manifesteront leur amour sans rien attendre en retour.
Pour nous tous, Saint Luc est non seulement le modèle du service désintéressé au prochain, mais aussi le symbole unissant et réconciliant en notre époque troublée tous ceux qui sont plongés dans les conflits et la discorde.

                                            Saint Père Luc, Prie Dieu pour nous!
Traduit du russe
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