Le livre «Patristic Theology : The University Lectures of Fr. John Romanides», publié par les éditions Uncut Mountain Press, est composé de la transcription de cours et conférences données par le Père Jean Romanidès à l’École de Théologie de l’Université de Thessalonique durant le premier semestre de 1983. L’extrait ci-dessous est le début du  premier chapitre de la première partie du livre, intitulée «Éléments d’anthropologie et de théologie orthodoxes».

La guérison de l’âme de l’homme est l’objet principal de l’Église Orthodoxe. L’Église s’est toujours concentrée sur la guérison du règne du cœur. Sur base de la tradition juive, et du Christ Lui-même, ainsi que de Ses apôtres, elle est parvenue à déterminer que dans l’espace du cœur biologique opère quelque chose que les Pères avaient nommé ‘noûs’. En d’autres termes, elle prit le ‘noûs’ traditionnel, qui généralement signifiait ‘intellect’ et ‘raison’, et y a introduit une forme de différentiation. Elle appela ‘noûs’ l’énergie mentale qui opère à l’intérieur du cœur de l’homme spirituellement sain. Nous ne savons pas exactement quand cette différentiation fut introduite dans la mesure où certains Pères recourent au terme ‘noûs’ pour désigner la logique, mais aussi lorsqu’ils font référence à l’énergie mentale qui descend et fonctionne à l’intérieur de l’espace du cœur.
Ainsi, quand elle est envisagée de ce point de vue, l’énergie mentale est considérée comme l’unique énergie de l’âme qui, au niveau du cerveau, opère en tant que ‘logique’ et simultanément, au niveau du cœur en tant que ‘noûs’. En d’autre mots, un même organe, le ‘noûs’, prie continuellement à l’intérieur du cœur (phénomène naturel chez ceux qui possèdent la prière continuelle du cœur) et en même temps, effectue, par exemple, des opérations mathématiques, ou d’autres démarches analogues, à l’intérieur du cerveau.
Nous précisons que ce que l’Apôtre Paul appelle ‘noûs’ coïncide avec ce que les Pères nomment ‘intellect’. Il s’agit d’une différence de terminologie. Quand l’Apôtre Paul dit «Je prierai en esprit», il exprime la même chose que les Pères disant : «Je prierai avec mon mental/intellect». Et quand Saint Paul dit : «Je prierai avec mon mental», il veut dire «Je prierai avec mon intellect». Le terme ‘noûs’ des Pères n’est pas le ‘noûs’ de l’Apôtre, mais bien ‘l’esprit’. Quand celui-ci dit «Je prierai avec mon mental » ou «Je chante dans mon mental », ou «Je chante dans l’esprit», de même quand il dit que l’Esprit de Dieu est co-témoin de notre propre esprit, il signifie ce que les Pères expriment avec le terme ‘noûs’, et par le mot ‘noûs’, il signifie ‘intellect’, ‘logique’.
Dans son expression ‘L’Esprit de Dieu est co-témoin de notre propre esprit’, il fait référence à deux esprits : l’Esprit de Dieu et l’esprit de l’homme. Celui-ci semble avoir été, beaucoup plus tard, dans le cadre d’une démarche bizarre, appelé ‘noûs’, à l’époque de Saint Macaire d’Égypte ; dans ce contexte, seuls les termes ‘logos’ (raisonnement) et ‘intellect’ renvoyaient à la logique de l’homme.
C’est de cette façon que le ‘noûs’ vint à être lié à ‘l’esprit’, c’est-à-dire, au cœur. Car, selon l’Apôtre Paul, le règne spirituel de l’homme est dans le cœur 1. Ainsi, pour Saint Paul, le culte logique est  rendu par le ‘noûs’ (donc, l’intellect, la logique), alors que la prière mentale (noétique) est mise en œuvre par l’esprit ; il s’agit d’un souhait spirituel, il s’agit de la prière du cœur 2. Donc, quand l’Apôtre Paul dit «…mais, dans l’Église, j’aime mieux dire cinq paroles avec mon intelligence [Louis Segond choisit de traduire ‘noûs’ par ‘intelligence’ N.d.T.], afin d’instruire aussi les autres, que dix mille paroles en langue» (Cor.14,19), cela signifie qu’il préfère dire cinq mots, exprimer réellement cinq mots afin de catéchiser l’audience, plutôt que prier mentalement. Certains moines estiment que l’Apôtre fait référence à la Prière de Jésus, ‘Seigneur Jésus Christ, aie pitié de moi’, car elle consiste juste en quelques mots. Mais l’Apôtre Paul fait réellement allusion aux paroles qu’il prononçait lors de la catéchèse. Car comment la catéchèse serait-elle possible à travers la prière mentale (noétique), quand celle-ci est une fonction interne de l’homme, inaudible à l’audience qui entoure celui-ci ? La catéchèse est donc mise en œuvre à travers les enseignements logiques et le culte logique. Nous enseignons et parlons au moyen de la logique, forme habituelle de la communication entre les êtres humains.

Une communication existe toutefois également entre ceux qui possèdent la prière mentale (noétique) à l’intérieur de leur cœur. Ces êtres possèdent la faculté de s’asseoir l’un à côté de l’autre et de communiquer entre eux mentalement, noétiquement, sans recourir à une conversation verbale, ils communiquent donc par un moyen spirituel. Et ceci peut évidemment se dérouler même dans le cas où une importante distance les sépare. Ils possèdent le charisme de la vision intérieure et de la prévision. Le don de la vision intérieure leur permet de détecter les péchés de tout homme ou femme  aussi bien que leurs pensées. Le don de la prévision leur permet de voir et de parler de choses, actes et événements futurs. De tels hommes et femmes charismatiques existent réellement, et si vous pouviez en approcher un ou une afin de vous confesser, vous constateriez qu’ils « savent » tout ce que vous avez fait dans votre vie avant même que vous n’ayez ouvert la bouche pour le leur expliquer.

Traduit de l’anglais.
Source.

  1. Ce qui signifie que l’Esprit de Dieu parle à notre esprit ; en d’autres mots, il parle à l’intérieur de notre cœur, par la grâce de l’Esprit Saint. Saint Grégoire Palamas, dans la seconde de ses homélies publiées dans la Philocalie (Philocalie des Pères Neptiques Tome second, JC Lattès, 1995, p.473) dit «Le cœur dirige tout l’organisme» ; c’est là qu’est l”intelligence’ [‘noûs’] et que se trouvent toutes les pensées de l’âme». Quand il recourt au terme ‘cœur’, Saint Grégoire Palamas ne fait pas référence au cœur biologique, mais au cœur le plus intérieur ; et avec le terme ‘intelligence’ [J. Touraille, traducteur français de la Philocalie a choisi la traduction ‘intelligence’ pour rendre le grec ‘noûs’], il ne signifie pas ‘intellect’, mais l’énergie du cœur, l’énergie noétique qui sourd de l’essence du ‘noûs’, c’est-à-dire le cœur.
  2. Métropolite Hierotheos (Vlachos) “The Persona in the Orthodox Tradition”, publication du Monastère de la Naissance de la Theotokos, Levadia, 1994, page 24 : «L’homme a deux centres gnostiques. L’un est le ‘noûs’, qui est l’organe adapté à la réception de la révélation divine, ensuite formulée par la logique. Le second centre est la logique, qui perçoit le monde tangible qui nous entoure».