Le texte ci-dessous a été mis en ligne le 12 janvier 2017 sur le site russe “Pravoslavnyi Apologet”. La rédaction de ce site y a ajouté une longue introduction extrêmement intéressante, expliquant les raisons qui l’ont amenée à la traduction et la publication en 2017 du texte du Métropolite de Naupacte, qui fut publié en grec en 2015. Dans la version française, le terme grec χ α ρ ι σ μ α, -α τ ο ς, «faveur, grâce accordée par Dieu», a été rendu autant que possible par ‘charisme’, mais parfois aussi, par ‘don lorsque cela semblait s’avérer plus opportun.
Introduction par la Rédaction de «Pravoslavnyi Apologet».
En publiant la traduction [du grec vers le russe. N.d.T.] de cet article du Métropolite Hiérotheos, nous poursuivons plusieurs objectifs. Le premier d’entre eux consiste en un rappel aux Chrétiens orthodoxes contemporains de la grandeur du service rendu par les évêques, de la grandeur correspondante de leur responsabilité devant Dieu, ainsi que de la grande grâce dont ils ont été jugés dignes. Ceci est important car de nos jours les murmures et les jugements à l’égard de l’épiscopat prennent de l’ampleur.
Deuxièmement, cet article nous rappelle d’importantes lois spirituelles de la vie chrétienne qui bien souvent sont altérées, sinon violées. Nous devons hélas déplorer la réalité de l’absence d’une véritable direction spirituelle, tant parmi les laïcs que dans le clergé et l’épiscopat. Ceci porte un coup terrible au corps de l’Église dans la mesure où l’absence de nourriture spirituelle, tant pour l’évêque que pour le prêtre et le laïc, conduit aux dangereuses rationalisation et sécularisation de la vie de l’Église. La perte de la compréhension des concepts fondamentaux de la vie spirituelle orthodoxe implique la mise en question de la volonté de Dieu, des conseils du père spirituel, des conseils des hiérarques, et dans le chef de ceux-ci, la mise en question des conseils de leurs propres pères spirituels et la perte de la conception de leur sacerdoce en tant que sacrifice de prière et d’intercession devant Dieu et pour le peuple de Dieu. Alors, la justification formaliste et la bureaucratie laïque avec ses dossiers documentés jusque dans les détails, usurpent la place de la relation spirituelle nourrie par la grâce et les charismes. L’Église est transformée en institution séculière réglée par des principes laïcs de relations mutuelles. Le sacré et le saint sont supplantés par des modalités importées sans réflexion de la vie séculière et de la mondialisation en marche (le libre accès aux documents et la transparence dans le comportement et la vie du clergé, la métamorphose de la vie interne de l’Église en une sorte de Gestapo). Voilà la tragédie de la vie de l’Église à notre époque. La conséquence en est que les membres du clergé ne sont plus considérés comme les «maîtres d’œuvre des Mystères de Dieu», mais comme des fonctionnaires et des managers de l’organisation ecclésiastique. Il est stupéfiant que ce sacrilège, cette profanation actuelle de l’Église et de son mode de vie salutaire reçoivent toute justification et ce, au plus haut niveau.
Troisièmement, la sécularisation de la conscience du clergé et de l’épiscopat induit un basculement dans la conception et la compréhension du pouvoir du prêtre et de l’évêque. Il n’est plus considéré dans sa dimension spirituelle, comme don de Dieu pour la guidance de l’homme vers son salut, mais comme le droit de gérer les gens, ‘à sa manière’, à la mode séculière. On assiste alors à la croissance dangereuse de phénomènes tels que l’individualisme, l’autosuffisance, qui mènent inévitablement à la violation des canons de l’Église. Dans leur essence, ces phénomènes sont contraires au principe de la conciliarité ecclésiale. L’arbitraire épiscopal et une verticale du pouvoir rigide au sein de l’Église sont des manifestations anti-ecclésiales détruisant l’Église de l’intérieur. C’est pourquoi la valeur du texte ci-dessous réside en ce qu’il rappelle à l’épiscopat la hauteur de leur sacerdoce et le but de celui-ci : le salut en Christ du troupeau qui leur est confié et non l’exploitation opportuniste du peuple de Dieu ainsi que l’accaparement des modestes moyens de celui-ci au profit de diverses lubies. La grâce que confère l’ordination du prêtre ou de l’évêque exige de l’homme une énorme ascèse spirituelle et physique, en défense de la foi orthodoxe. Quand la vie de l’évêque ou du prêtre se déroule dans les commodités et l’indolence mondaines, loin du combat ascétique, alors, si elle ne se dissipe pas entièrement, elle n’en devient pas moins inefficace, ses forces en sont paralysées. C’est la raison pour laquelle évêques et prêtres doivent être les héritiers des Apôtres non seulement de par la succession de leur ordination, mais aussi par leur imitation du mode de vie des Saints Apôtres.
Le Charisme du Pontificat.
Notre vie est jalonnée par différentes naissances, naissance physique, renaissance, charisme de la prêtrise, et autres Mystères. Il est intéressant, et aussi précieux, d’observer ces anniversaires comme s’il s’agissait de dons divins, prenant conscience de ce que Dieu nous a donné vie biologique et vie spirituelle. Il nous donna l’existence et nous donna la grâce, afin que nous soyons membres de l’Église. Il nous a tout donné. L’Apôtre Paul écrit : «Qu’as-tu que tu n’aies reçu? Et si tu l’as reçu, pourquoi te glorifies-tu, comme si tu ne l’avais pas reçu?» (1Cor. 4,7). Il s’en suit qu’il convient d’interpréter et de célébrer ces anniversaires dans une atmosphère non pas séculière, mais purement spirituelle, de façon à ce que chacun puisse y voir le don de Dieu, Son amour pour nous, notre indignité, la gratitude débordante pour le don qu’Il nous a fait et finalement le soin mis à répondre à l’ampleur sans limite de l’amour de Dieu.
Le charisme de l’épiscopat est tout particulièrement un grand don de Dieu. Nous le voyons dans tous les textes des Pères de l’Église, et Saint Silouane l’Athonite le décrit de façon très expressive. Ce moine béni avait reçu de Dieu un grand charisme, le don de voir le Christ en l’Esprit Saint, et dans cette perspective, il vit clairement le grand charisme de l’épiscopat. Remarquable est la façon dont Saint Silouane parle de cette question, se faisant porte-parole de la théologie empirique et charismatique. A l’aide de termes théologiques simples, il nous montre en quoi réside le charisme pontifical de l’épiscopat. Sa propre expérience lui permit de connaître le grand don du Charisme Apostolique. Les Saints Apôtres étaient liés au Christ et L’aimaient énormément, et quand ils «parcouraient la terre et parlaient au peuple du Seigneur et du Royaume des Cieux,… leurs âmes languissaient et aspiraient à voir le Seigneur. Aussi ne craignaient-ils pas la mort, mais allaient avec joie à sa rencontre ; et, s’ils désiraient vivre sur terre, c’était uniquement par amour des hommes»1 . Les Apôtres ne vivaient pas en un lieu particulier ; ils étaient constamment en chemin, mais jamais la Grâce de Dieu ne les abandonna. Sans relâche ils étaient habités par l’amour pour Dieu et l’aspiration vers Lui. Leur corps même était pénétré par leur don et ainsi, «ils ne craignaient ni les tribulations ni la mort, et c’est pourquoi le Seigneur les envoya dans le monde pour éclairer les hommes»(Ibid. p.379). Les évêques sont les successeurs des Apôtres et les pasteurs de l’Église. Par la chirotonie, Dieu leur confère un grand charisme. Leur œuvre n’est pas humaine, elle est œuvre de la grâce divine. «Mais cette tâche repose surtout sur les pasteurs de l’Église, qui portent en eux une si grande grâce que, si les hommes pouvaient en voir l’éclat, le monde entier serait dans l’émerveillement; mais le Seigneur l’a cachée afin que ses serviteurs ne s’enorgueillissent pas, mais se sauvent dans l’humilité»(Ibid. pp.379,380).
L’œuvre des évêques est semblable à celle des Apôtres. Il n’est pas question de pouvoir temporel, mais de salut des hommes. Ils instruisent ces hommes sur la manière de suivre le chemin qui mène au salut. «Ils sont les héritiers des Apôtres et, par la grâce qui leur a été donnée, ils nous conduisent au Christ. Ils nous enseignent le repentir. Ils nous apprennent à observer les commandements du Seigneur. Ils nous communiquent la parole de Dieu, pour que nous connaissions le Seigneur. Ils nous indiquent la voie du salut et nous aident à nous élever dans les hauteurs de la divine humilité du Christ. Ils rassemblent dans le bercail de l’Église les brebis du Christ qui souffrent et sont égarées pour que leurs âmes trouvent le repos en Dieu»(Ibid p. 380). Les évêques ont une expérience de Dieu et à l’aide de celle-ci, ils dirigent le peuple des hommes et s’efforcent d’orienter leurs ‘noûs’ vers Dieu. «Ils ont connu le Seigneur par le Saint Esprit et, comme des anges, contemplent Dieu en esprit. Ils sont assez forts pour détacher aussi notre esprit de la terre et le fixer dans le Seigneur» (Ibid, p.380).
La perception qu’eut Saint Silouane l’Athonite des évêques et de leur tâche est admirable. Cette tâche est liée à la purification et à l’illumination du ‘noûs’ des hommes. Comme ils jouissent de cette expérience, les évêques s’affligent quand les hommes vivent loin de Dieu et empêchent l’Esprit Saint de Se réjouir en eux, «sur eux pèsent les souffrances de toute la terre. Leurs âmes sont attirées par l’amour divin et ils prient sans cesse pour nous obtenir la consolation dans nos afflictions et la paix pour le monde entier» (Ibid. p. 380). La relation entre les évêques et les hommes est celle du pasteur avec ses brebis, c’est pourquoi on nomme l’évêque pasteur. Le Christ est le Bon Pasteur Qui S’offre en sacrifice pour le troupeau de ses brebis. «De même, nos pasteurs souffrent aussi pour nous, bien que souvent nous ne voyions pas leurs souffrances. Plus grand est l’amour du pasteur, plus grandes sont aussi ses souffrances ; et nous, les brebis, nous devons comprendre cela et aimer et honorer nos pasteurs» (Ibid. p.381).
Ce charisme dont jouit l’évêque est visible seulement par ceux qui ont le cœur pur. «Un homme humble et doux marchait avec sa femme et ses trois enfants. Et ils rencontrèrent un archevêque qui voyageait en carrosse. Alors que le paysan s’inclinait avec respect devant lui, il vit l’archevêque qui le bénissait entouré du feu de la grâce»(Ibid. p.381). Les catastrophes qui surviennent en nos vies le font parce que les hommes ne se tournent pas vers leurs pères spirituels et leurs évêques, et ceux-ci ne demandent pas au Seigneur comment il convient qu’ils agissent. «Tous nos malheurs proviennent de ce que nous ne demandons pas conseil à nos anciens qui ont été établis pour nous guider et que, de leur côté, les pasteurs ne demandent pas au Seigneur comment ils doivent agir. Si Adam avait interrogé le Seigneur lorsque Eve lui donna à goûter du fruit, le Seigneur l’aurait éclairé et Adam n’aurait pas péché. Et je peux dire à mon propre sujet: tous mes péchés et toutes mes fautes sont venus de ce que, à l’heure de la tentation et des difficultés, je n’ai pas invoqué le Seigneur, mais à présent, j’ai appris à invoquer la grâce divine, et le Seigneur me garde par les prières de mon père spirituel»(Ibid, 382). Et Saint Silouane de conclure que «le Seigneur a donné des pasteurs à la Sainte Église; c’est à l’image du Christ qu’ils célèbrent la liturgie, et il leur a été donné le pouvoir de pardonner les péchés par le Saint Esprit»(Ibid. p.382). D’aucuns, évidemment, ne parviennent à comprendre «comment tel évêque, père spirituel ou prêtre peut-il avoir le Saint Esprit puisqu’il aime manger et a d’autres faiblesses…» Ibid.p.382), mais Saint Silouane répond à cela: «C’est possible, à condition qu’il n’accepte pas les mauvaises pensées; de telle sorte que, bien qu’il ait quelques défauts, cela n’empêche pas la grâce de demeurer dans son âme, tout comme un arbre verdoyant peut avoir quelques branches sèches sans que cela ne lui nuise, et il porte des fruits; ou bien dans un champ où il y a beaucoup de blé, même s’il est mélangé à de l’ivraie, cela ne l’empêche pas de croître» (Ibid. pp.382,383).
Grand est le charisme pontifical; il est don du Saint Esprit accordé à l’homme pour aider son prochain à avancer vers son salut. Et lors de l’anniversaire de la réception de ce charisme, on ne peut passer sous silence la généreuse bienfaisance de Dieu, on ne peut manquer de Lui en être reconnaissant, et on se rappellera que cette bienfaisance divine donne motif à accomplir un pas formidable vers le Christ, afin de conserver ce charisme et d’en faire dignement usage. Le grand Saint Silouane l’Athonite, le grand et doux théologien, qui voyait par charisme les dons dispensés par Dieu, puisse-t-il élever sa prière pour nous, les évêques, afin que nous ne soyons pas seulement les héritiers des trônes des Apôtres, mais aussi les héritiers du mode de vie des Apôtres.
Traduit du russe et adapté en fonction de l’original grec.