Le livre de Geronda Ephrem de Philotheou «Mon Geronda Joseph, l’Ermite et Hésychaste» fut publié en 2008 à Athènes. Cette publication constitua un véritable événement dans la vie spirituelle des Orthodoxes grecs. Il fut lu pendant le repas dans tous les monastères de Grèce. En 2011, avec la bénédiction de Geronda Ephrem, le livre fit l’objet d’une traduction, ou plus précisément d’une adaptation, en russe, et y furent intégrés de nombreux éléments qui n’avaient pas été inclus dans la version originale. (Le livre russe ne porte d’ailleurs pas le même titre que le livre grec, et son organisation en chapitres est différente). Le texte lui-même du livre est la transcription des enregistrements de récits et souvenirs narrés par Geronda Ephrem à ses enfants spirituels. La Lorgnette de Tsargrad propose la traduction d’extraits de la version russe du livre, qui s’intitule «Ma Vie avec Geronda Joseph» (Моя жизнь со Старцем Иосифом). Deuxième extrait. Le premier se trouve ici.
Chapitre Deuxième. A la Sainte Montagne.
L’heure finit par sonner. Le 26 septembre 1947, au matin, un bateau m’emmena lentement du monde vers la Sainte Montagne, comme des rives de la vie dans le siècle vers la rive opposée, celle de la vie éternelle. Nous accostâmes a Daphni, principal débarcadère de l’Athos. Je descendis du bateau pour monter avec quelques autres dans une grande barque à destination de la skite de la Petite Sainte Anne, faisant arrêt à chaque monastère en chemin. Dès que nous quittâmes Daphni, je fus assailli par une attaque du diable. Je vis les pères et les monastères comme des prisonniers et des prisons, me disant «Comment ces moines peuvent-ils vivre ici ? Comment pourras-tu supporter cela ? Mais où donc vas-tu te mettre ?» J’étais loin d’être chevronné. Jusqu’à ce jour, je n’étais allé nulle part sinon à l’église, au marché, dans l’atelier de mon père, et à la maison. Tout ce que je voyais maintenant était neuf à mes yeux. Je n’avais jamais voyagé auparavant, et j’ignorais jusqu’alors l’existence de ce que j’étais en train de découvrir. Et voilà que je quittais le monde pour rejoindre volontairement une destination inconnue.
De tous les côtés, les démons se jetèrent sur moi à l’aide de pensées «Pourquoi vas-tu t’enfermer là-bas ? Malheur à toi ! Fais demi-tour !» Je me sentais mal, si mal. J’avais mal au corps et à l’âme. A côté de moi dans la barque, un moine assis chantait «Réjouis-Toi, Vierge Mère de Dieu !» et «Te-ri-rem». Il était d’humeur joyeuse alors que je bouillonnais dans les pensées et l’anxiété. Je l’interrompis : «Père, où se trouve la kaliva de Geronda Joseph ?» «Pourquoi me demandes-tu cela ?» «C’est là que je vais» «Pourquoi y vas-tu ?» «Pour devenir moine». Il m’inspecta du regard, de la tête aux pieds. «Et pour cela, tu vas là-bas ?» «Oui, là-bas». «Cet endroit ne te conviendra pas. On y jeûne, on veille, on fait des métanies. Tes bras tomberont à force de signes de croix. Tu ne pourras résister là, tu es déjà maigrichon». Je venais d’être longuement malade, fiévreux; la température restait élevée, et les médecins n’en avaient pas trouvé pas la cause. Et malgré cela j’avais travaillé chaque jour à la menuiserie. J’avais faim, la chaleur me faisait souffrir. Voilà pourquoi j’étais maigrichon. La volonté était bien présente, mais pas du tout la force. «Que les bras, et les jambes aussi, m’en tombent, j’irai près de Geronda ! Où se trouve-t-il ? Ne voulez-vous pas me le dire ?» «Bon, tu vois cette montagne ? Et la petite kaliva blanche ? C’est là». C’est seulement quand je vis la kaliva que je vis la lumière ! C’était là qu’était la liberté ! Et pas la prison ! Toute mon inquiétude se dissipa. La volonté de Dieu était que j’aille là.
Au crépuscule, nous arrivâmes enfin à la jetée de Saint Anne. Silence de mort. Il n’y avait personne. Geronda ne savait pas que j’allais arriver. A cette époque, il n’y avait pas de téléphone permettant de prévenir. Mais soudain, je vis dégringoler vers nous un geronda portant une musette et un bâton. C’était Geronda Arsenios. Dès que je le vis, je courus à lui, fis une grande métanie et embrassai pieusement sa main. «Bénissez, Père !» «Ah, est-ce toi, Ioannis de Volos ?» «Oui Geronda, mais comment me connaissez-vous ?» «Geronda Joseph l’a appris du Saint Précurseur. Il lui est apparu cette nuit et lui a dit : «Je t’envoie un agneau. Prends-le dans ton bercail». Et je me tournai en pensée vers le Saint Précurseur, mon céleste Protecteur. J’étais né le jour de sa fête. Je lui rendis grâce pour le soin qu’il prenait de moi. Et je vis arriver un autre geronda. Le Père Arsenios s’approcha avec le Père Kornelios et me dit : «Nous laisserons ici le Père Kornelios qui veillera sur les affaires et nous allons monter auprès de Geronda Joseph qui nous attend». Nous allions monter. Quelle émotion j’éprouvai alors ! Comment avoir le talent nécessaire pour la décrire ?
Nous prîmes le strict nécessaire et nous commençâmes l’ascension. Nous arrivâmes à la tombée de la nuit auprès des premières kalivas que rencontre le pèlerin qui se rend auprès de Geronda Joseph. Toutes sont accrochées aux escarpements rocheux. Elles constituaient les demeures principales de la communauté. Celle de Geronda Joseph était un peu à l’écart, dans un lieu désert. Tout ce pan de la montagne était inaccessible. Quand nous atteignîmes les premières kalivas, là où dans une grotte se trouve la petite église du Saint Précurseur, Geronda Arsenios donna le signal de notre arrivée en frappant sur un heurtoir métallique. Immédiatement, Geronda Joseph frappa son propre heurtoir, annonçant qu’il avait entendu notre signal et se retirait dans sa cellule, pour la prière du cœur. Nous allâmes nous reposer. C’était le samedi soir. Geronda Ephrem de Katounakia devait venir à l’ermitage pour y célébrer la liturgie. Geronda Arsenios me dit : «Nous allons avoir la liturgie» «Eveillez-moi !» «Parce que tu t’imaginais que nous allions te laisser dormir ! Mais comment saurais-tu mon pauvre où tu es arrivé ? Ici, tu vas devoir te lever tôt !»
Chapitre Troisième : Le Premier Jour
Je dormis dans une sorte de petit cagibi, au milieu de vieilles planches. Le diable m’envoya un cauchemar. Au moment de m’éveiller, Geronda Joseph approcha de la porte. Il venait pour la liturgie. Je m’écriai dans mon sommeil : «J’ai peur ! Nous allons nous fracasser !» Il ouvrit la fenêtre (celle-ci tenait lieu de porte) et demanda «Mon enfant, qu’est-ce qui t’arrive ?» Comment aurais-je pu savoir que c’était Geronda ? Je lui répondis «Père, je ne sais pas. Nous étions sur le bateau, nous avancions dans une grotte et nous avons manqué de faire naufrage». Il sourit et dit au Père Arsenios : «Depuis le départ, il y a des démons sur ce gamin. Allons, il faut se lever, levez-vous, nous avons la liturgie !» Alors seulement je m’éveillai et réalisai qu’il s’agissait de Geronda. Je tombai à ses genoux : «Bénis, Geronda !» «Viens mon enfant, allons à la grotte ; maintenant, nous avons la liturgie».
La petite église était si exigüe que la stasidia de Geronda touchait l’iconostase. Les lampes allumées devant les icônes constituaient l’unique source de lumière. Il y avait deux stasidia, l’une en face de l’autre. On me plaça au milieu, entre elles. Là dans la petite église, à la lueur vacillante des lampes à huile, la lumineuse image de Geronda s’imprima dans mon âme. C’était un homme petit, ni replet, ni maigre, au regard paisible et d’un bleu profond. Ses cheveux, autrefois bruns, avaient blanchi ; il avait en effet déjà atteint la cinquantaine. Malgré qu’il ne se peignait ni ne se coupait les ongles, il rayonnait de grâce, de grandeur et de gloire, comme s’il eût été un roi. Il ne se lavait jamais, et dès lors les visiteurs s’attendaient à ce que son odeur fût désagréable, et ils étaient surpris de constater qu’il se dégageait de lui un parfum très subtil. Il s’agissait de quelque chose de vraiment surnaturel car il travaillait et transpirait beaucoup. Son apparence était agréable au regard ; il suffisait de le voir pour que les nerfs se calment. Et l’intérieur était pareil à cette apparence. Il avait un beau visage, un très beau visage. Dans l’église, il prononçait «Kyrie Eleison» avec tant de douceur dans la voix ! Et quand nous nous trompions de ton dans les chants liturgiques, il donnait lui-même le ton correct car il ne l’avait pas perdu. Lorsque de temps à autre, il nous appelait pour nous rassembler et nous dire quelque chose, je pensais «Comment imaginer qu’un jour cette voix se taira pour toujours».
Avant le début de la liturgie, on m’avait fait enfiler un rasson tellement rapiécé qu’on ne distinguait plus l’étoffe d’origine. Il pesait cinq kilos à cause des pièces et de la crasse, mais lorsque je l’enfilai, il me semblait me revêtir d’un ornement royal, très glorieux et lumineux. Une joie m’habita, telle que même les rois ne peuvent connaître quand ils portent leur noble manteau.
Ensuite, Geronda me donna une ceinture de toile, et un skoufos, raide comme une bâche, de n’avoir jamais été lavé. «Attends-moi ici !», m’avait-il dit, et il me remit le rasson d’un saint geronda, le moine Théodose, qui été décédé. Je l’enfilai. Ce rasson embaumait. A ce moment, le Père Ephrem sortit du sanctuaire, prit la bénédiction de Geronda pour célébrer la liturgie, et me dit «Pourquoi as-tu enfilé le rasson ? Allons, enlève-le vite !». Geronda se tourna vers lui et dit : «Doucement, Père, laisse ce petit moine en paix. Laisse-nous le regarder un peu». Ma moustache n’était alors qu’un duvet naissant. Geronda dit alors au Père Ephrem : «C’est bien. Il conviendra pour faire un prêtre. Tu vois, j’attendais un moine qui puisse être prêtre ici, et il est arrivé». Et il me promit : «On va te coudre de beaux ornements, et ensuite, on t’ordonnera». Nous n’avions pas encore eu le temps de discuter et déjà il savait que je pouvais devenir prêtre. Il se réjouissait d’avoir un prêtre parmi eux, car souvent, le Père Nikiforos ne permettait pas au Père Ephrem de venir.
Dès que la liturgie eût pris fin, nous sortîmes de la petite église. C’était le matin. Geronda me dit : «Allons boire quelque chose, et tu mangeras un peu, parce que maintenant, tout ce que tu as amené, tu vas devoir le monter jusqu’ici en le portant à dos». J’avais amené toute une cargaison de biens divers qui m’avaient été confiés par des gens. A Volos, tous les enfants spirituels du Père Ephrem savaient que je partais auprès de Geronda Joseph, et ils m’avaient donné du blé et beaucoup d’autres choses, et maintenant, il nous fallait monter toutes ces marchandises en les portant sur le dos. Geronda commença donc par me donner du thé de romarin, et du craquelin véreux qui devait dater du temps de Noé, ainsi qu’un morceau de fromage dont une hache n’aurait pu venir à bout, une vraie pierre, tout sec et véreux. Qui sait de quel siècle il datait ? «Mange, petit moine, car aujourd’hui, tu vas faire du transport». Mais je ne pouvais manger car dans la barque, j’avais eu le mal de mer. «Je ne peux pas manger, car mon estomac… » «Mange, mange. Maintenant ton estomac va supporter tout cela». Pendant que je mangeais, Geronda m’observait. Il vit combien j’étais maigre et dit «A quoi donc ton âme est-elle accrochée ?» «Geronda, ne regardez pas l’extérieur. Regardez l’intérieur, voyez que je veux œuvrer pour le Christ». Quand j’eus terminé il dit : «Maintenant, prends un grand sac, une houlette et va transporter». Je n’y connaissais rien et ne savais ni comment hisser les charges sur mon dos, ni comment escalader les falaises escarpées. J’étais un squelette. Un vrai squelette ! Et cette fièvre permanente ! «Et c’est moi qui vais porter ?» «Oui, toi» «Que cela soit béni». Et dès le matin ce fut : de la mer jusqu’en haut de la montagne, hisser les charges en grimpant les marches taillées dans le roc. Lorsque j’eus terminé, Geronda me dit : «N’imagine pas que tu vas pouvoir dormir cette nuit. Chez nous, la nuit, on veille ! Nous dormons deux heures le soir, et ensuite on célèbre les vigiles, pendant huit ou dix heures, avec le komboschini, les métanies et les lectures. Fais donc cinq cents métanies, après, nous verrons ce que nous ferons de toi. Ce sera ta première portion. Si tu as des difficultés, viens me voir dans ma kaliva, là-bas». Ainsi commencèrent les veilles nocturnes quotidiennes. Comme le sommeil me harassait, chaque nuit, j’allais auprès de Geronda pour les vigiles. Après la prière, il sortait de la kaliva, s’asseyait et m’enseignait. Je m’asseyais et l’écoutais.
D’emblée les pensées m’assaillirent, et surtout, l’orgueil qui combattait les conseils et les instructions de Geronda, l’orgueil, qui relevait la tête et exigeait des explications «Pourquoi m’a-t-il dit cela ? Pourquoi agit-il ainsi avec moi ?». Je compris que le diable voulait prendre la main, détruire ma relation avec Geronda, qui me guidait et m’enseignait, car en détruisant cette relation, il me couperait l’approvisionnement en nourriture spirituelle, en grâce divine, accordée au novice par le canal de son ancien. Je m’en ouvris auprès de Geronda qui m’expliqua : «Tu vois, mon enfant, tu es arrivé ici pour sauver ton âme, tu es venu ici pour renoncer à toi-même, tu es venu pour retrancher tes passions, tu es venu pour devenir humble, tu es venu pour être jugé, et non pour juger Geronda ou les frères». «Je suis d’accord», répondis-je. «Connais-tu les conseils que nous donnèrent les pères qui ont vécu ici ? Je vais te les dire. Si on plaît à son geronda, on plaît à Dieu. Déplaire à son geronda signifie déplaire à Dieu. Car Dieu, tu ne Le vois pas, mais tu vois Geronda, et puisqu’il est le représentant de Dieu, tout ce que tu fais envers lui, tu le fais envers Dieu. De même, c’est à Dieu que se rapporte tout ce dont nous faisons de Sa Sainte Icône. Ici, nous avons un genre d’icône, en bois avec des couleurs, faite à la main, n’est-ce pas ? Et sur cette icône se trouve l’image du Christ, de la Panagia ou d’un saint. Bien que l’icône soit une chose matérielle, la manière dont nous nous comportons vis-à-vis d’elle concerne ce qui est représenté dans l’image qu’elle porte. C’est à cela que s’adressent le respect ou l’outrage que nous manifestons à l’icône. C’est aussi ce qui se passe ici, car le geronda est l’image de Dieu, le représentant de Dieu. Pour le novice, le geronda est supérieur à l’évêque. Pour les autres, il n’est rien, mais pour toi, le novice, c’est ainsi. Pour être un bon membre du troupeau et réussir en tout, tu dois dès cet instant te soumettre à ton geronda et te placer sous sa protection paternelle, l’écouter et lui plaire, pour ainsi plaire à Dieu. Le novice ne peut plaire à son geronda s’il ne fait preuve d’obéissance que par ses travaux. C’est principalement par sa vie spirituelle qu’il doit plaire et ses succès spirituels. Au plus il connaît de succès spirituels, au plus grande sera la joie ressentie par l’âme son geronda. Et cette joie du geronda se transformera pour le novice en bénédiction divine. S’il en va autrement, tu essuieras l’échec. Un jour, un grand homme, un sénateur, vint voir Saint Basile le Grand et, voulant en acquérir le titre, reçut la tonsure de moine, sans pour autant mener la vie monastique. Saint Basile le Grand lui fit remarquer «Tu as perdu ta qualité de sénateur, mais tu n’as pas acquis celle de moine» ; il avait perdu sa situation et son titre, mais il n’était pas devenu moine car il n’avait pas fait ce qu’il aurait dû en qualité de moine. Et nos anciens disaient encore que la politesse du moine consiste en ce que ses lèvres prononcent sans cesse les mots «Pardonnez !» et «Bénissez !». Cela veut dire que lorsque tu commets une faute et que l’on te reprend, ne cherche pas mille excuses, mais dis seulement «Pardonnez !». Et lorsqu’on t’ordonne de faire une chose qui va à l’encontre de ta volonté, tu dois humblement t’y plier en disant «Que cela soit béni !». Et il ajoutait encore «Un bon début facilite la fin, un mauvais début rend la fin difficile». «Geronda, en quoi consiste un bon début ?» «C’est quand tu fais preuve d’obéissance, quand tu n’agis pas selon ta propre volonté, quand tu accomplis ta règle de prières, quand tu ne chagrines pas ton geronda, quand tu ne lui dissimules rien ; voilà ce qu’est un bon début. Mais le meilleur début, c’est la parfaite obéissance, l’obéissance spirituelle, dans les pensées. Tu dois penser comme pense ton geronda. Si le Geronda se trompe, tu te trompes. Mais en cela, ce n’est pas toi qui commets l’erreur. L’obéissance empêche celui qui obéit de commettre des erreurs, même si le geronda venait à en commettre. L’obéissance sincère empêche le bon novice d’aller à sa perte. Ferme les yeux, fais preuve d’obéissance et n’aie crainte». «Que cela soit béni !» J’assimilai ces paroles. Il ne fallut pas me le répéter. Je me suis dit : «Je complairai à Geronda. Rien d’autre n’est nécessaire. Si j’y parviens, je ne dois rien craindre». Et depuis le moment où j’entendis ces paroles de Geronda, mes pensées étaient continuellement centrées sur la façon de mettre en œuvre ce conseil simple, cette tradition simple de nos saints pères. J’accueillis jusqu’au fond de mon âme ce conseil, apparemment petit, mais énorme par sa puissance spirituelle, et j’en fis mon credo, ma richesse et je me disais : «Dans ma vie, je miserai tout là-dessus». Et dans la mesure où ce conseil apportait un bénéfice incommensurable à cela qui le mettait en œuvre, je décidai de l’appliquer, avec l’aide de Dieu et les prières de Geronda. Je m’efforçais de satisfaire doublement Geronda. D’un côté, ne jamais l’attrister, et d’un autre, mener une vie qui le réjouisse. Voilà comment je réfléchissais : «Si je ne réussis pas, ma défaite sera totale, et je n’atteindrai pas le but pour lequel j’ai quitté le monde». Évidemment, Dieu seul sait dans quelle mesure je ne L’ai pas attristé et combien je Lui ai plu. Mais je voyais que si le novice s’efforce d’accomplir les instructions et les ordres de son Geronda, la bénédiction divine lui fraie un chemin. Il est impossible que le disciple qui s’efforce humblement de plaire à son père spirituel essuie un échec dans sa vie spirituelle. Et c’est d’autant plus impossible qu’il ne puisse atteindre le Royaume de Dieu. Ce serait contraire à la nature des choses. Lorsque je dis ‘contraire à la nature des choses’, cela signifie que j’en suis sûr à 100%. Si le disciple demande les conseils de son ancien et s’efforce d’accomplir ce qui lui est conseillé, il est impossible qu’il essuie un échec, qu’il soit privé de la grâce divine. Nous voyons comment Saint Syméon le Nouveau Théologien, grâce à son obéissance parfaite, sa foi totale et la puissance vivante de son humilité parvint non pas à goûter seulement à une parcelle de grâce divine, mais comme on dit, à en recevoir une coupe débordante. Et il en devint celui qu’il est devenu, et il fut proclamé saint par notre Église en qualité de Nouveau théologien, c’est-à-dire comme celui qui reçut la théologie d’en haut, directement de l’Esprit Saint. Il n’étudia pas la théologie sur un banc d’école, mais à travers son œuvre d’obéissance et de dévotion envers son père spirituel. (A suivre)