COE Métropolite AthanasiosLe Métropolite Athanasios de Limassol partage avec nous, dans son livre «Le Cœur Ouvert de l’Église», publié en 2016 par les Éditions du Monastère de la Sainte Rencontre à Moscou, l’immense trésor de l’expérience spirituelle qu’il a accumulée au cours des six décennies de sa vie, dans sa prière, au contact de ses frères et sœurs en Christ, et surtout au contact des saints de notre Église qu’il a eu la grâce de rencontrer. Le texte précédent se rapportait à Geronda Philotheos (Zervakos), le texte ci-dessous évoque Saint Arsène de Cappadoce et est traduit des pages 33 à 41 du livre précité.
Que dirai-je à propos de Saint Arsène de Cappadoce, ce grand saint de notre temps, à qui nous ne ressemblons pas car nous n’avons pas reçu la grande grâce dont jouissait Saint Arsène ? Pensant à lui, je me suis souvenu des superbes paroles développées par Saint Païssios l’Athonite dans le livre qu’il a consacré à Saint Arsène. C’est pourquoi j’ai décidé de ne pas vous raconter à nouveau la vie de ce saint, né à Farasa, ordonné diacre par le Métropolite Païssios, et ensuite revenu à Farasa, où il servit comme prêtre et instituteur et accomplit maints miracles ; tout cela, vous le savez, vous l’avez lu, la vie de Saint Arsène de Cappadoce est bien connue. Mais je voudrais souligner une chose que dit, à propos de lui, Geronda Païssios d’éternelle mémoire, son disciple qui l’a imité en toutes choses. Lorsqu’il rédigea cette biographie et particulièrement quand il décrivit les miracles de Saint Arsène, il dit que celui-ci était : «solitaire, il passait inaperçu et avait Dieu pour unique protecteur, et il fut grand en ce qu’il se donna tout entier à Dieu et à Son image. Et il fut seul à la fin de sa vie, avec juste Dieu à ses côtés».
%ce%b1%ce%b3%ce%b9%ce%bf%cf%83-%ce%b1%cf%81%cf%83%ce%b5%ce%bd%ce%b9%ce%bf%cf%83-%ce%ba%ce%b1%ce%b9-%ce%b3%ce%b5%cf%81%ce%bf%ce%bd%cf%84%ce%b1%cf%83-%cf%80%ce%b1%cf%8a%cf%83%ce%b9%ce%bf%cf%83Saint Païssios ne pouvait évidemment mieux qualifier la vie de Saint Arsène. En effet, celui-ci endura un seul ‘supplice’, pourrions-nous dire. Il entra au monastère, le cœur brûlant d’amour pour Dieu, et se sentant intérieurement prêt, il avait pris la pleine décision de se consacrer entièrement à Dieu et se donna tout entier à Dieu. Pour lui, ce fut tellement pénible d’abandonner ce chemin qu’il avait choisi, pour en emprunter un autre, tout à fait différent. (Note du traducteur russe : Selon la bénédiction du Métropolite Païssios II, il fut obligé de quitter le Monastère de Saint Jean le Précurseur à Flaviana, et de partir pour Farasa).
Lorsqu’un homme d’une telle grandeur spirituelle, d’une telle force de prière et d’un tel amour pour Dieu décide de quitter l’endroit le meilleur pour lui, le monastère, et de suivre une autre voie, par obéissance envers Dieu, il se retrouve dans la solitude. Il fut solitaire, et il ne s’agit pas d’un simple mot, mais d’un concept au sens profond. Car si nous nous tournons vers l’Écriture Sainte, nous voyons que le Seigneur Lui-même dit : «Il n’est pas bon que l’homme soit seul» (Gen.2,18) sur terre . Et cette solitude est un grand martyre. L’homme de Dieu n’est pas seul, pourtant, Saint Païssios dit que Saint Arsène fut seul. Je me souviens des paroles du Christ à ses disciples peu avant le début de Sa Passion : «Voici, l’heure vient, et elle est déjà venue, où vous serez dispersés chacun de son côté, et où vous me laisserez seul» (Jean 16,32). Et il semble que ces paroles résonnent comme un reproche, comme la prophétie de ce qu’Il dût lutter seul contre le diable et le mal répandu dans l’humanité. Et dans les hymnes pascales, on trouve ces mots : «Le Christ, descendu seul lutter en enfer, en sorti, emportant l’abondant butin de la victoire». Dieu accomplit seul le grand mystère du salut du genre humain, sans le soutien de quiconque, sans même le soutien humain de Ses disciples. C’est précisément pour cela qu’Il leur a dit «Vous Me laisserez seul». Le Christ s’est livré Lui-même aux affres de la solitude. Le Seigneur a dit qu’il n’était pas bon pour l’homme de demeurer seul, et il convient de se rendre compte que les saints qui font l’expérience de cette solitude en ce monde goûtent à des tourments et des douleurs qui dépassent les limites des forces humaines. Ainsi, ces hommes firent l’expérience de la solitude, et quand Saint Païssios disait que Saint Arsène était seul, il savait ce que cela signifiait, ayant lui-même été ermite. Il n’avait pas de compagnons, il n’avait pas la consolation que nous pouvons trouver dans un monastère. Car là, nous savons que juste à côté se trouvent d’autres hommes; nous savons que le monastère est rempli de monde. Nous sommes d’emblée consolés car nous sommes avec les autres. Mais quand on est seul, on traverse ce véritable martyre effroyable de la solitude. Il ne correspond pas à la nature de l’homme. L’homme n’a pas été créé pour la solitude. Quand tu es seul, tu descends lutter en enfer. L’homme descend alors lutter en enfer au fond de lui-même. Et dans ces moments, il atteint le point extrême juste au-delà de la limite de ses forces, et à partir de là, il ne peut plus aller nulle part, dépourvu de la plus petite force qui lui permettrait de faire un seul pas. Et là, seul, il rencontre Dieu. Soit il devient saint et atteint le salut, soit survient en lui le pire des maux. Il s’agit du point le plus extrême que l’homme puisse supporter. C’est, si vous voulez, la même chose que ce que le Seigneur dit à Saint Silouane à propos de l’enfer : «Tiens ton esprit en enfer et ne désespère pas». En enfer, l’homme est seul et il désespère. Là, vous êtes complètement seul et Dieu vous laisse expressément ainsi, jusqu’à ce que vos atteigniez cette limite la plus extrême. Souvenez-vous de ces paroles terribles prononcées par le Seigneur sur la croix : «Mon Dieu, Mon Dieu, pourquoi M’as-Tu abandonné?» (Mat. 27,46). Elles furent prononcées pour nous montrer le chemin que parcourt celui qui suit la voie du Christ-Epoux.

St Païssios et les reliques de St Arsène, à Souroti
St Païssios et les reliques de St Arsène, à Souroti

Et Saint Arsène vivait donc dans cette solitude. C’était un hésychaste, un homme de prière, un homme à la perception spirituelle. Son esprit, son cœur, tout son être étaient au ciel. Et malgré cela, il était obligé de faire la leçon aux petits, de convoquer les anciens du village de Farasa, de leur parler un langage qui leur soit accessible tout en leur offrant de quoi fumer pour qu’ils acceptent de rester assis et d’écouter la parole de Dieu! Il vivait au milieu de gens très simples, troublés par les difficultés de la vie quotidienne plutôt que par leur salut. C’était un peuple très pieux, mais dont la vie spirituelle n’atteignait pas la hauteur de celle de leur pasteur. Et de plus, il y avait parmi eux des Turcs musulmans qui venaient chaque jour le déranger, lui demander conseil, se faire guérir et requérir de l’aide. Et Saint Arsène était une sorte de dirigeant de tout le village. Il allait auprès des uns et des autres, distribuant des dons, s’efforçant de soutenir les Chrétiens, et s’occupant de mille choses. Avec quelques anciens de la communauté, il servait autrui, et cet aigle, qui volait si haut, était forcé de vivre la vie quotidienne typique des petits villages d’Orient. A ses côtés ne se tenait personne avec qui il aurait pu parler de lui-même, pas un homme pour le consoler ou le guider. Car enfin, Saint Arsène ne naquit pas saint. Il dût lutter pour atteindre de telles hauteurs. Il combattit, traversa la Mer Rouge et endura le martyre. Il parcourut un long chemin de combat. Et cette lutte grandiose ne concernait pas seulement les passions extérieures, mais c’était aussi une lutte intérieure pour sentir la présence de Dieu. Et pour parcourir ce martyr, il faut passer par l’étape où l’on se voit ‘abandonné par Dieu’. Quand il n’y a personne avec qui parler, personne qui puisse te consoler, quand Dieu t’a abandonné, alors, c’est vraiment l’enfer. Abba Isaac le Syrien raconte qu’il a vécu trente années dans les ténèbres de l’abandon par Dieu, goûtant aux sources amères de l’enfer. Mais ces trente ans étant écoulés, Dieu commença à lui donner la consolation de la grâce, jusqu’à ce que l’abondance de cette grâce fut telle qu’il était incapable de la supporter.

Farasa
Farasa

Et donc, Saint Païssios, lorsqu’il voulut raconter le vie de Saint Arsène, souligna le fait que celui-ci fut seul, petit, anodin, dans un village d’Anatolie. Il était éduqué, il aurait pu faire de grandes choses selon le monde, mais il demeura anodin. Mais il bénéficiait d’une compensation ; il avait Dieu pour défenseur. Et c’est la meilleure des défenses. C’était tout à fait comme le dit Saint Païssios : «Quand tu n’as pas d’aide humaine, tu reçois l’aide de Dieu, quand tu ne reçois pas de consolation humaine, tu jouis de la consolation divine». Les saints le savent, et ils renoncent à toute consolation humaine pour recevoir l’abondante et intarissable consolation divine! Telle fut la croix que porta Saint Arsène. Il passait inaperçu, mais avait la consolation de Dieu. Mais Saint Païssios ajoute qu’il passait «inaperçu, mais devant Dieu il était grand. Il était petit, mais grand. Cet homme, effacé dans le monde, revêtait une grande signification devant Dieu car il s’était donné tout entier à Lui et à Son image!» Saint Païssios a placé un point d’exclamation à la suite de ces mots, afin d’indiquer la perfection de ce saint. Se donner complètement à Dieu, et par conséquent, être Son image, pour l’homme, c’est la perfection. Nous voyons des scènes touchantes de la vie de Saint Arsène, qui est descendu des hauteurs célestes (où il demeurait) pour être avec les gens, pour soigner, conforter, enseigner, et leur expliquer même les choses les plus simples. Il lui arrivait d’être fol-en-Christ pour échapper aux sollicitudes des femmes et aux louanges des gens.
arsenioskapadokisAprès la catastrophe d’Asie Mineure, il suivit son troupeau, le peuple de Dieu, parcourant à pied tout le chemin qui conduisit au débarcadère grec. Mais à la fin de sa vie, il préféra mourir à l’hôpital, seul, avec juste Dieu à ses côtés. C’est ainsi que Saint Païssios termine sa narration de la vie de Saint Arsène. Et je pense que même si nous ne savions pas tout ce que Geronda Païssios a écrit concernant la vie de ce Saint Père, cette dernière phrase suffirait pour nous faire comprendre la profondeur et la hauteur de cette vie, qui est pour nous un modèle typique de la vie de tous les saints. Bien sûr, chacun d’entre eux parcourt à sa manière son chemin de vie particulier, selon ses forces et sa volonté. Mais en même temps, regardant Saint Arsène, c’est notre propre chemin de vie que nous examinons. Nous nous plaçons, chacun, devant la vie de ce saint homme ; car ce sont bien les saints qui jugeront le monde, ils nous jugerons au moyen de leur vie. Les Saints sont pour nous une grande consolation ; ils nous convainquent de ce qu’il n’est pas nécessaire de rechercher une consolation humaine que bien souvent nous ne parvenons pas à trouver. Et même quand il nous arrive de la trouver, elle se révèle parfois fausse et trompeuse et finalement, elle nous désoriente et nous désespère plus encore. Particulièrement aujourd’hui, alors que nombreux sont ceux qui se sentent seuls. Bien que l’homme vive au milieu de centaines de milliers ou plutôt de millions, la solitude est un signe distinctif, et pénible, de notre vie. L’homme vit entouré de millions de semblables, et malgré cela il est seul. Il bavarde avec des milliers de gens, il dispose de nombreux moyens de communication, mais il est seul. Les technologies de l’information sont florissantes ; il est possible de travailler, de faire des achats à l’aide de différents outils pas plus grands que la paume de la main. Toutefois, aujourd’hui plus que jamais, l’homme est seul. Et du fait de sa solitude, sa vie devient un enfer. C’est pourquoi l’homme contemporain tente de trouver une issue, mais il le fait, bien souvent, dans des choses trompeuses, parfois potentiellement mortelles : la volupté, l’argent, la vaine gloire, les narcotiques, la violence, les jeux de hasard… Il cherche, mais ne parvient pas à trouver. Les saints, et particulièrement Saint Arsène, sont la réponse de notre époque.
Quand on fait l’expérience de la solitude, avec Dieu à ses côté, on n’est pas seul, on est saturé, on est tout, présent en tous lieux, partout avec Dieu, entièrement donné à Dieu, à Son image- humaine. Et lorsqu’on atteint le point où l’on se donne entièrement à Dieu, on n’éprouve plus le besoin de quoi que ce soit. On n’éprouve plus de solitude. Alors, on se réjouit d’être seul et on se désole quand on ne l’est plus. On a trouvé réponse à la question de la solitude. On n’a plus besoin de faire du lèche-vitrine, d’aller ici ou là, de perdre son temps à gauche ou à droite. Il n’existe plus qu’un souhait, garder Dieu dans sa vie. Si Dieu est dans notre vie, nous ne sommes plus seuls. On est avec Dieu, avec la Sainte Trinité, avec tous les Saints, avec le monde entier. Il n’est pas d’homme plus joyeux que le saint homme, seul avec Dieu. C’est ainsi que Saint Arsène préféra sortir de cette vie sans la moindre consolation humaine avec Dieu pour seul consolateur. Il remplit son être de la véritable consolation : la présence de Dieu dans sa vie et dans son cœur.
Prenons Dieu dans notre vie, afin qu’Il éclaire nos ténèbres et adoucisse l’amertume de notre solitude, qu’Il transforme le poison en remède et fasse de notre vie une communion au Règne divin éternel.

Tombe de St Arsène, à Corfou
Tombe de St Arsène, à Corfou

Traduit du russe.