Le Métropolite Athanasios de Limassol partage avec nous, dans son livre «Le Cœur Ouvert de l’Église», publié en 2016 par les Éditions du Monastère de la Sainte Rencontre à Moscou, l’immense trésor de l’expérience spirituelle qu’il a accumulée au cours des six décennies de sa vie, dans sa prière, au contact de ses frères et sœurs en Christ, et surtout au contact des saints de notre Église qu’il a eu la grâce de rencontrer. Le texte précédent se rapportait à Geronda Joseph l’Hésychaste, le texte ci-dessous présente Geronda Philotheos et est traduit des pages 24 à 32 du livre précité.
Par la grâce de Dieu, en octobre 1979, alors que j’étais encore étudiant, j’ai pu rendre visite à Geronda Philotheos Zervakos, sur l’île de Paros, au Monastère de Longovarda. Le Père Philotheos d’éternelle mémoire y fut higoumène pendant de nombreuses années. C’était le jour de la fête de Saint Philotheos, dont Geronda avait reçu le nom. Et pour éviter d’être fêté, Geronda s’était retiré au monastère. Une poignée de gens seulement y était venus, pour le rencontrer, et je me trouvais parmi eux. Ce fut la première fois que je le vis. Nous avions beaucoup entendu parler de lui, et beaucoup lu à son propos.
J’étais tout jeune et j’allais à lui la tête bouillonnante de questions. J’ajoute sans aucune hésitation que tout ce que j’avais pu entendre à son propos s’avéra exact. Nous séjournâmes relativement longtemps au monastère et à l’issue de ce séjour, j’étais convaincu de la sainteté et de la puissance d’âme de ce geronda d’éternelle mémoire. Nous nous entretînmes souvent. Je me confessai auprès de lui. Quand arriva le moment du départ, un événement me surprit très fort. Mais maintenant, il semble tout à fait compréhensible.
Geronda s’obstinait à chercher pour moi un certain encolpion, ce petit reliquaire que nous portons sur la poitrine, contenant l’image de Saint Nikon le Métanoïète (N.d.T.: Saint Nikon vécut au Xe siècle et il consacra sa vie à prêcher la repentance). Mais il ne parvenait vraiment pas à le retrouver. Je lui dis alors : «Geronda, ce n’est pas grave, donnez-moi autre chose». J’avais pitié de lui, il fouillait et retournait vraiment toutes ses affaires. Mais il me répliqua : «Non, c’est cet encolpion que je dois te donner!». Je lui demandai alors : «Est-ce si important ?». Il finit par le retrouver et me le donna en disant : «Prends-le et prêche toujours le repentir». Je lui répondis : «Mais Geronda, je suis moine à la sainte Montagne, où donc prêcherais-je le repentir ?». Et il me répondit simplement : «Tu te souviendras de moi». Et aujourd’hui, je peux dire que c’était un signe qui m’était adressé. Des paroles très fortes. Je pense que ce qu’il m’a dit venait de l’Esprit Saint. Et outre cela, il y eut d’autres choses que je ne peux narrer ici.
La grâce de l’Esprit Saint était si fortement sur lui, que simplement en le rencontrant, en s’approchant de lui, il était impossible de ne pas sentir que cet homme n’était pas de ce monde, mais un saint accompli. Le lendemain de notre arrivée, lorsque nous avons célébré la liturgie (j’étais alors jeune diacre), Père Philotheos se trouvait dans le sanctuaire, et il nous servait comme si nous étions les petits enfants du prêtre, avec tant de simplicité, d’humilité et de piété. J’en fus profondément impressionné. Ensuite, quand j’ai eu l’occasion de le rencontrer seul à seul, il m’a rapporté plusieurs épisodes de sa vie, qui jalonnèrent son chemin spirituel. Je vais vous en raconter deux dont je me souviens particulièrement.
A cette époque, le Père Philotheos avait le front bandé et il me demanda en le touchant de son doigt, tout en souriant : «Vous savez ce que c’est?». Je répondis : «Vous avez dû heurter quelque chose, Geronda». Et il me dit : «Effectivement, et je vais vous raconter comment cela s’est passé. Pendant toute une semaine, le soir, lors de la prière dans ma cellule, le diable est venu, sous sa forme visible, et il me disait : «Je vais te tuer! Je vais te tuer!». Mais je lui ai répondu : Si Dieu t’accorde ce pouvoir, alors, vas-y, tue-moi. Rien ne t’en empêche. Maintenant, je suis déjà un vieil homme. Fais donc ce que tu veux. C’est pour moi une excellente occasion de m’en aller plus rapidement de cette vie!». Ainsi, au moment où je me trouvais devant la porte de ma cellule, soudain, d’une façon tout à fait incompréhensible pour moi, une force m’a poussé, je suis tombé et mon front a heurté le seuil en briques. Mais Gloire à Dieu! Il n’a pas permis que le diable me tue». Dieu a rendu possible ce petit événement afin de montrer la férocité de la haine qu’éprouve le diable envers cet homme. Il en va souvent ainsi dans la vie des ascètes. Ils font l’expérience d’attaques évidentes du diable pour que les choses soient claires : la lutte ne se mène pas seulement contre des pensées et des fruits de l’imagination, mais contre des êtres spirituels qui s’insurgent et s’attaquent aux hommes qui s’efforcent de vivre en Christ.
Après avoir raconté cette histoire, il s’intéressa à l’endroit où j’étudiais. «A Thessalonique, Geronda», lui répondis-je. Et il me demanda alors si j’aimais Saint Dimitri. Je lui dis alors «Évidemment, Geronda, j’aime Saint Dimitri et tous les Saints». Et il répliqua : «Non, aime-le particulièrement fort! Je vais te raconter ce qui m’arriva, alors que j’étais encore jeune». Un jour, le Père Philotheos, encore jeune donc, voulut se rendre au Mont Athos. A Thessalonique, les Turcs s’emparèrent de lui et l’emprisonnèrent à la Tour Blanche. Sa situation devint dramatique ; les Turcs voulaient le mutiler et le tuer. Mais il fut miraculeusement sauvé par Le Saint Mégalomartyr Dimitri, qui apparut aux Turcs sous l’aspect d’un officier. Mais ce n’est pas tout. Le Père Philotheos fit alors une promesse à Saint Dimitri : il viendrait chaque année le 26 octobre, jour de la fête de Saint Dimitri, célébrer la Liturgie dans la Basilique Saint Dimitri à Thessalonique. Une dizaine d’années avant que je ne rencontre Geronda, les intempéries qui s’abattirent sur Paros à la fin octobre furent telles que les bateaux ne pouvaient prendre la mer. Aucun d’entre eux ne quitta le port. Le Père Philotheos ne put quitter l’île pour rejoindre le Pirée et, de là, Thessalonique afin d’accomplir sa promesse et satisfaire son souhait : participer à la fête de Saint Dimitri dans son église. Il demeura donc au monastère, très attristé. Après avoir célébré l’office des Vêpres dans le catholicon du monastère, le Père Philotheos se retira dans sa cellule, peiné et déprimé. Il s’assit sur la chaise et se mit à prier : «Saint Dimitri! Hélas, je ne peux accomplir ma promesse. Je t’en prie, pardonne-moi et souviens-toi de moi». Et soudain, il réalisa qu’il se trouvait, avec son corps sous sa forme habituelle, dans l’église de Saint Dimitri ; il avait instantanément été transporté de façon inexplicable de Paros à Thessalonique. Il salua tous ceux qui se trouvaient déjà là, sans leur expliquer ce qui venait de lui arriver. Tous savaient qu’il venait chaque année, et personne ne s’étonna de le voir avec eux. Il participa aux Vêpres, passa la nuit à Thessalonique et le lendemain matin, participa à la Liturgie. Lorsque les célébrations prirent fin, le Père Philotheos s’en retourna à Paros. Au monastère, les moines étaient plongés dans l’inquiétude car la porte de sa cellule était fermée à clé de l’intérieur et ils pensaient qu’il était mort. Je me souviens que lors de notre entretien, je lui ai alors demandé : «Père Philotheos, comment êtes-vous retourné?». J’imaginais qu’il était reparti de Thessalonique de la même façon qu’il y était arrivé. Il me répondit : «J’ai pris le bateau. Pour y aller, Saint Dimitri m’a transporté à travers les airs, mais pour retourner, j’ai dû me débrouiller». Les pères du monastère étaient tellement inquiets de ce que la porte soit fermée de l’intérieur qu’ils la brisèrent pour entrer, mais ils ne trouvèrent pas Geronda à l’intérieur. Dans cet événement, la grâce donnée à Geronda se manifesta avec une force particulière. Mais il en va ainsi avec tous les gerondas. La grâce de l’Esprit Saint se manifeste de bien des façons, selon les besoins des membres de l’Église et en fonction de la perception et de la compréhension qu’ils ont de Dieu.
Nombreux sont les hommes et femmes liés à Geronda Philotheos, particulièrement à Thessalonique, où nous étudiions. De nombreux étudiants et beaucoup de familles entrèrent en contact avec lui et ont bien des choses à raconter. J’ai connu personnellement un militaire qui s’appelait Kalkandis. Geronda Philotheos l’a guéri, en priant Saint Nectaire, qui fut son père spirituel, alors décédé. Kalkandis était paralysé, depuis bien des années, et les médecins affirmaient qu’il ne pourrait plus jamais marcher. Quand il fut guéri par les prières du Père Philotheos à Saint Nectaire, Kalkandis fit appeler ces mêmes médecins et devant leurs yeux, il marcha jusqu’à l’église de l’hôpital. Cet homme avec qui j’avais accompli quelques missions m’emmena un jour en voiture et me raconta l’événement. Le Père Philotheos l’avait découvert, alité et malade, dans une maison. Alors qu’il passait devant celle-ci, Geronda Philotheos entendit une voix venue du ciel lui dire : «Entre dans cette maison et parle avec l’homme!». «Comment cela? Entrer dans cette maison? Et pour dire quoi?» La voix continua : «Entre! Tu trouveras l’homme». C’est ainsi que cela se passa ; Saint Nectaire, le père spirituel de Geronda Philotheos l’avait voulu ainsi.
Geronda racontait aussi que lorsqu’il vint à hésiter, ne sachant dans quel monastère il devait aller, il voulut entendre Saint Nectaire et se rendit à Égine pour lui parler. Ils tinrent de longs entretiens. Le Père Philotheos se confessa à plusieurs reprises pendant son séjour à Égine, et Saint Nectaire lui conseilla d’entrer au Monastère de Longovarda. Cette idée ne réjouissait guère le Père Philotheos; il se disait: «Pourquoi donc dois-je aller sur une île, pourquoi Paros? Je préférerais de loin la Sainte Montagne». Il s’adressa à Saint Nectaire, lui disant : «Geronda, s’il te plaît, donne-moi ta bénédiction pour aller sur l’Athos. Je pense qu’il serait mieux pour moi d’aller à la Sainte Montagne plutôt qu’à Longovarda». Saint Nectaire lui répondit : «Fais comme tu veux, mais sache que si tu essaies d’aller à la Sainte Montagne, tu n’arriveras pas jusque là et tu seras forcé de faire demi-tour». Mais le Père Philotheos ne se laissa pas convaincre par ces paroles. Il se mit en route pour le Mont Athos et survint alors cet épisode que j’ai déjà évoqué, au cours duquel il se fit emprisonner dans la Tour Blanche par les Turcs qui avaient l’intention de le tuer». Après avoir été délivré par Saint Dimitri, il fut bien obligé de se conformer à la recommandation de Saint Nectaire.
L’activité du Père Philotheos fut incessante. Il fit partie de cinq patriarcats orthodoxes. Des milliers de gens venaient se confesser auprès de lui, des évêques, des membres du gouvernement, des acteurs sociaux importants. Il fut l’un des grands spirituels de notre époque en Grèce. Il n’avait reçu aucune formation particulière, c’était l’Esprit Saint qui l’éclairait. Ses livres et ses lettres revêtent une grande importance.
A propos de ses lettres, il me raconta qu’il vint jadis à être taraudé par l’idée d’écrire une lettre, en sa qualité de confesseur connaissant bien le cœur de milliers de gens, au Président de la République de Grèce, pour attirer l’attention de celui-ci sur la direction que prenait la Grèce. «Mais je pouvais écrire la lettre, c’était une chose. Une autre consistait à savoir comment la remettre au Président. Comment la lui transmettre? Et puis, la lirait-il? Pourquoi saurait-il qui je suis?…» Mais, la grâce de l’Esprit Saint le convainquit, au plus profond de son âme, d’écrire cette lettre. Et il finit par le faire. Une fois la lettre écrite, il la relut et se dit «Mais qui suis-je donc pour que cette lettre parvienne à un tel homme?». Il se fait qu’en ces jours-là, une moniale séjournait au monastère. Et elle vint dire au Père Philotheos : «Geronda, en bas, une dame vous attend. C’est l’épouse du Président de la République; elle est accompagnée de son fils. Ils veulent vous voir». Il les reçut sur le champ et leur remit la lettre. Et le Président la lut. Voilà comment le Seigneur résolut la question de la transmission de la lettre. Et le Président prit très au sérieux l’avis qui lui était proposé, et cela lui permit de prendre de justes décisions.
Sur l’île de Paros, tout le monde aimait beaucoup le Père Philotheos. Sa présence était importante au point où chacun voyait en lui son propre père et un véritable saint. Geronda me parla avec insistance du Mystère de la Confession, de la conversion et du repentir, et de la grande importance pour l’homme de vivre dans l’Église, de prendre part à la Sainte Eucharistie et de se confesser. Il y revenait encore et sans cesse, s’appuyant sur sa propre expérience. Il disait : «Si l’homme aspire de toutes ses forces à ces deux mystères, la confession et la Sainte Communion, je garantis qu’il réussira à atteindre le Divin». C’est dans cette voie qu’il orientait tous ceux et celles qui venaient à lui pour se confesser.
Traduit du russe.