C’est de l’ouvrage exceptionnel «Vie et Mort de Byzance» de Louis Bréhier, publié par Albin Michel et plus précisément des pages 140-141 et 181-182 de l’édition de février 1992, que sont extraits les deux passages ci-dessous. A contre-pieds des dirigeants actuels de nos pays, les empereurs apparaissent comme les gardiens de la justice sociale, faisant primer le bien commun sur les intérêts particuliers des puissants.
Aidé par ses conseillers, Romain Lécapène s’efforça d’agir toujours en vue du bien commun. Il est le premier empereur qui ait pris des mesures législatives pour enrayer l’extension inquiétante des grands domaines aux dépens de la petite propriété et pour préserver l’intégrité des biens militaires, fondement du régime des thèmes et du recrutement d’une armée indigène.
En 928, à la suite d’une famine due à une mauvaise récolte, conséquence d’un hiver rigoureux, beaucoup de paysans durent mettre leur terre en gage aux mains des puissants et il leur fallait au moins dix ans pour les dégager, d’où la novelle de 934 qui flétrit l’égoïsme des puissants et qui, sans ordonner une éviction générale de tous les propriétaires qui détiennent les biens des pauvres, annule toutes les transactions, dons, héritages, postérieurs à 922 et décide que tout domaine acheté à un prix inférieur à la moitié du prix raisonnable sera restitué sans indemnité ; par contre, si l’achat a été régulier, le domaine pourra être restitué dans les trois ans moyennant le remboursement de la somme versée. «La petite propriété, écrivait Romain, a une grande utilité pour le paiement des impôts et l’accomplissement du service militaire. Tout sera en péril si elle disparaît.»(…)
Basile se souvint surtout que la guerre civile menées par les deux Bardas avait trouvé son point d’appui parmi les grands propriétaires d’Asie Mineure, qui, en accaparant les terres des pauvres et en réduisant en servage les paysans libres, malgré les lois, tendaient à former une féodalité oppressive pour la population et dangereuse pour l’État, dont elle violait impunément la législation.
Les plaintes innombrables reçues par l’empereur de ceux qui avaient été lésés ainsi le déterminèrent à publier sa novelle du 1er janvier 996, par laquelle il abolissait la prescription de 40 ans qui couvrait les acquisitions illégales des biens des pauvres ; tous les biens de cette catégorie acquis depuis la première loi de Romain Lécapène (922) devaient être restitués à leurs propriétaires primitifs sans aucune indemnité, même s’il s’agissait de biens acquis par l’Église. Les considérants de cette novelle, regardés comme des scolies ajoutées par Basile, s’élèvent avec indignation contre le scandale donné par les grandes familles, comme les Phocas, ou les Maleinoi, qui possèdent depuis cent ans des biens injustement acquis.
La loi fut appliquée avec la plus grande rigueur. Philokalès, simple paysan, qui avait acquis de grands biens par des usurpations, et acheté des dignités palatines, fut ravalé à sa condition première, et on alla jusqu’à détruire les édifices qu’il avait élevés. Eusthate Maleinos, un des plus puissants potentats d’Anatolie, ancien auxiliaire de Bardas Phocas, ayant offert à Basile, à son retour d’Ibérie en 1001, une somptueuse hospitalité, fut vivement remercié, mais emmené à Constantinople, d’où il ne put jamais rentrer dans ses domaines, qui furent saisis par le fisc après sa mort. Dans cette lutte, Basile II, ainsi qu’on l’a dit, dépassait donc souvent les bornes de la loi et de la justice, mais sa principale arme contre le maintien de la grande propriété fut le rétablissement de l’allelengyon (caution mutuelle), obligation pour les puissants d’une circonscription fiscale de répondre des pauvres incapables de payer la capitation et les autres impôts; auparavant, l’allelengyon pesait sur les communautés de villages. (…)