Extrait de «L’Empire Byzantin», d’Evangelos Konstantinou Chrysos, byzantiniste grec renommé dans son pays et dans les pays germanophones. Cet ouvrage fut publié par les éditions Edisud en 2004, dans la série «Encyclopédie de la Méditerranée» (pages 111 à 113). Les rapports de Byzance avec le peuple des Rôs (Russes) s’articulent en trois périodes. Dans la première, qui va du milieu du IXe siècle au milieu du Xe siècle, Byzance fut victime d’une série d’incursions effectuées pour raisons principalement de pillage, mais qui conduisaient régulièrement des accords commerciaux. Dans la seconde moitié du Xe siècle, après que la principauté de Kiev se fut transformée en État doté d’un appareil institutionnel rudimentaire, Byzance s’allia aux Russes pour combattre les Bulgares: ce fut une alliance de courte durée, car les Russes aspiraient à élargir les frontières de leur principauté et à s’installer au Sud du Danube. À la fin du Xe siècle, une nouvelle alliance fut signée. L’aide militaire fournie par les Russes à Basile II fit naître les prémisse de contacts renforcés qui, après la conversion des Russes en 989, devinrent systématiques: les échanges commerciaux se développèrent et l’influence de Byzance s’accrut dans les domaines ecclésiastiques, administratifs et politiques.
Les incursions russes
Les sources byzantines situent en 860 l’incursion contre les villes du Pont-Euxin et de la Bithynie, qui se termina par le siège naval de Constantinople. Les envahisseurs arrivaient en monoxyles, embarcations creusées chacune dans un tronc d’arbre, qui ne transportaient qu’un nombre réduit de passagers, mais qui étaient exceptionnellement agiles. Ils utilisaient en outre des embarcations de type scandinave, sur lesquelles les sources ne nous fournissent que de vagues indications. La conquête de la capitale ayant échoué, les Russes tentèrent d’entamer des négociations visant à garantir leur rentrée sur leur propre territoire. Les thème discutés montrent l’intérêt des Russes pour le baptême ainsi que leur désir de recevoir la hiérarchie de leur Église des mains du patriarche de Constantinople.
Certains textes byzantins mentionnent une seconde incursion russe contre la capitale, mais ce témoignage n’est pas confirmé. Cette nouvelle apparition se rattache probablement aux pourparlers préliminaires à la conclusion d’accords commerciaux, le plus ancien traité commercial entre Byzance et les Russes datant de 911 ; les ambassadeurs portaient des noms scandinaves. Aux termes de l’accord, Byzance mit à la disposition des Russes une aire commerciale dans le quartier Saint-Mamante et leur concéda des privilèges fiscaux. Par la Lettre à mon fils Romain de Constantin VII Porphyrogénète, nous connaissons avec exactitude le parcours suivi par les Russes: ils se réunissaient sur le Dniepr à la hauteur de Kiev et, après avoir descendu le fleuve, ils suivaient la côte occidentale du Pont-Euxin : une voie de communication commerciale entre la Baltique et l’Égée connue depuis l’antiquité.
L’assaut russe le plus important contre Constantinople date de 941 : les monoxyles, sous la direction du prince Igor, assiégèrent alors la ville. Ils furent détruits par les forces byzantines qui eurent recours au feu grégeois. Le troisième accord commercial entre Byzance et la Russie fut conclu en 944. Ce traité, qui documente la slavisation des Russes de Kiev, ratifie les accords précédents et garantit à Byzance la dépendance de ses possessions dans le Chersonèse et, à ses habitants, la liberté de commerce.
Les rapports de Byzance avec la principauté de Kiev
La slavisation graduelle et la christianisation progressive de la Russie, documentées à partir du milieu du Xe siècle, marquent des étapes significatives dans la transformation des rapports entre Byzance et la principauté de Kiev. En 957, la princesse Olga, veuve du prince Igor et mère du souverain Sviatoslav, vint en visite à Constantinople. Bien que chrétienne, Olga, comme son mari, portait un nom d’origine scandinave et son fils Sviatoslav portait un nom slave. Les textes de l’époque décrivent l’accueil réservé à Olga par Constantin Porphyrogénète et les splendides cérémonies organisées en son honneur. Le traité de 945 resta en vigueur jusqu’au règne de Nicéphore Phokas, au moment où, en 967, les ambassadeurs bulgares furent expulsés de Constantinople et l’armée de leur pays pénétra en Thrace. Comme les troupes byzantines se trouvaient alors sur le front oriental, le prince Sviastoslav, d’accord avec l’empereur byzantin, envahit la Bulgarie et l’occupa de 967 à 969, avec l’intention de stabiliser sa domination sur cette terre. Désirant maintenir l’équilibre de la région, en 970-971, Jean Tzimiskès se chargea de la lourde tâche d’éloigner les Russes de la Bulgarie. Après avoir conquis Preslav, la vieille capitale, l’armée byzantine affronta l’ennemi à Silistra (Durosturum) et le Prince russe dut accepter un traité de paix. En 989, Basile II, désirant renforcer son armée contre le rebelle Bardas Phokas, appela à l’aide son allié, le prince de Kiev Vladimir Ier qui exigea la main d’une princesse byzantine en contrepartie. Le rebelles battus, Anna, sœur de l’empereur, épousa donc Vladimir quand son peuple et lui acceptèrent de se faire baptiser. L’Église russe fut créée sous la dépendance du Patriarcat de Constantinople et organisée par des prélats grecs; les artistes byzantins se chargèrent de la construction et de la décoration des édifices ecclésiastiques. Une fois la Russie christianisée, les rapports spirituels, politiques et culturels avec Byzance se resserrèrent.