Vladimir Igorievitch Karpets, juriste, orthodoxe Vieux-Croyant, a écrit entre autres un ouvrage intitulé Социал-Монархизм (Le Social-Monarchisme), publié en 2014. La traduction ci-dessous en est un extrait dans lequel l’auteur évoque les éléments tirés de l’histoire et de la civilisation russes et pouvant intervenir dans la structure de la société dans le cadre du Monarchisme social en Russie. Nous avons déjà proposé des extraits traduits ce livre ici. Aux lecteurs initiés à la langue russe, nous conseillons la lecture du blog de Vladimir Igorievitch.
Une série de savants contemporains, au nombre desquels O. Strijak et A. Martirossian, ont montré que le système économique de la période stalinienne, depuis les années ’30 jusqu’aux débuts des années ’50 ne reposait pas fondamentalement sur les idées de Marx, mais sur des conceptions élaborées par des spécialistes de l’État-major Général Impérial, et avant tout, par le général A.D. Netchvolodov (1864-1938), plus ou moins renommé par son ouvrage bien connu «Récit de la Terre de Russie» (Сказание о Русской земле), qu’il a écrit à la demande personnelle de l’Empereur Nicolas II. Pendant les deux première décennies du siècle passé, il aborda par priorité les questions économiques dans deux ouvrages fondamentaux «De la Ruine à la Prospérité» (От Разорения к Достатку) et «L’Argent Russe» (Русские Деньги). Netchvolodov y proposait un programme élaboré de développement non-capitaliste de la Russie, tout en affirmant une critique très ferme de Marx et des marxistes. Selon ses termes : «les meneurs du socialisme, quand ils appellent les prolétaires de tous pays à lutter contre l’ordre existant et les capitalistes comprennent seulement, quand ils mentionnent ces derniers, propriétaires fonciers et industriels, (qui en réalité, ne sont pas capitalistes. N.d.A.), mais ils ne disent pas un mot des banquiers et des bourses».
Netchvolodov considérait que la prospérité économique du pays devait être fondée non sur la «convertibilité» de l’argent, mais sur sa fonction de garant, de caution, des richesses et ressources naturelles de l’État. C’est précisément ce que fit Staline après la Grande Guerre Patriotique. (Plus tard, c’est cette voie que suivit en France le Général de Gaulle, mais il fut alors «éloigné» du pouvoir).
En principe la structure économique optimale de la future monarchie, si elle venait à être restaurée pourraît se dessiner ainsi : la terre, le sous-sol, les forêts, les ressources en eau de même que le plateau continental devraient devenir la propriété exclusive de l’État (La Terre est à Dieu et au Souverain), mais ils pourraient être possédés et mis en valeur par les sujets de l’Empire et leurs associations corporatives. Toute l’industrie lourde, stratégique, de défense, aéronautique, nucléaire, astronautique et de haute technologie (y compris les nanotechnologies) devraient également être du ressort exclusif de l’État. Les flottes aérienne et maritime civiles et le transport ferroviaire pourraient fonctionner sur une base mixte État-privé, à l’exemple des actuels Chemins de Fer de Russie. L’enseignement doit relever de l’État, mais tenir compte des particularités religieuses et ethniques locales (sur base volontaire). Il doit en aller de même pour la médecine, avec des revenus élevés pour les gens qui y travaillent, mais les cliniques privées pourraient subsister. Tous les types de possession et d’exploitation, de l’État au fermage, pourraient coexister dans les domaines de l’agriculture de la pèche et de l’artisanat. Il serait préférable que la sphère de l’industrie légère, celle de l’alimentaire et celle des services demeurent privées. Toute l’activité financière devrait absolument se trouver dans les mains de l’État, être mise en œuvre au nom du souverain, selon le principe «à César ce qui est à César», et sans aucune prise d’intérêt (du moins dans un deuxième temps…). Une banque spécialisée dans l’industrie, une banque paysanne, une banque pour coopératives, des banques agraires, minières, forestières, une banque pour le secteur de la construction, une autre pour les jeunes familles, et d’autres encore, devraient être toutes des filiales de la Banque de l’État, tout en disposant d’une grande marge de liberté. L’activité financière privée devrait être interdite, et plus encore les activités incontrôlées de structures financières étrangères et internationales.
Pour ce qui concerne le secteur public, il conviendra certainement de se souvenir de l’expérience technique et organisationnelle soviétique, déduction faite des réglementations mesquines et bureaucratiques ainsi que du ‘contrôle par le parti’. Il faudrait également ramener à la vie la forme d’entreprise et de travail typique de la tradition russe : l’artel (entre autre sous la forme de la camaraderie totale et organique). Les artels (coopératives) réapparurent en Russie sous le règne de Nicolas II et leur renaissance au cours des deux premières années de la ‘perestroïka’ semblait être un bon signe. Mais il apparut clairement que derrière cela se cachait une trahison envers l’État dès que fut supprimé le monopole du commerce extérieur ; les coopératives furent alors transformées en ‘sociétés mixtes’, en ‘joint ventures’ à travers lesquelles débuta le pillage des richesses nationales. Il faut bien comprendre que cette expérience n’implique pas l’évaluation négative du type d’outil économique lui-même.
L’État doit prendre sans équivoque sous sa tutelle directe le développement industriel et technologique dans ses dimensions fondamentale, théorique, et scientifique. L’absence de rendement commercial immédiat ne peut constituer un obstacle. Idéalement la science devrait se trouver sous la tutelle personnelle du souverain, et la culture sous celle de la souveraine. Bien entendu, à ce stade, il ne peut s’agir que de souhaits.
L’État monarchique est l’État de la collaboration sociale. Dans les organes de gestion économique des entreprises d’État, les représentants de l’administration et ceux des travailleurs doivent être de niveau égal, dans les entreprises privées et mixtes, les représentations des dirigeants et des travailleurs doivent être de niveau égal. La même chose vaut pour les syndicats dans leurs organes exécutifs à échelle de l’état (selon le modèle des Zemski Sobor). (…)
Tout cela ne constitue évidemment qu’un tableau brossé à grands traits, dont il est impossible de discuter des détails pour l’instant. Il est tout à fait possible que les tentatives de l’ennemi d’empêcher l’inévitable émergence d’une Rus’ nouvelle, mais fidèle à l’ancien modèle (comme le disait Saint Jean de Kronstadt), poussent à l’ordre du jour les dimensions économiques et politiques de type exclusivement mobilisateur. Mais en fin de compte, cela n’empêcherait pas que la dimension plus constructive demeure à l’ordre du jour. (A suivre)
Traduit du russe.