Vladimir Igorievitch Karpets, juriste, orthodoxe Vieux-Croyant, a écrit entre autres un ouvrage intitulé Социал-Монархизм (Le Social-Monarchisme), publié en 2014, livre qui n’a pas été traduit en Français à ce jour. La traduction ci-dessous en est un extrait dans lequel l’auteur aborde la nature de la monarchie, telle qu’envisagée d’un point de vue orthodoxe. Nous avons déjà proposé la traduction d’un extrait de ce livre ici. Aux lecteurs initiés à la langue russe, nous conseillons la lecture du blog de Vladimir Igorievitch.
L’État monarchique n’est pas mécaniquement lié à une quelconque forme concrète de système politique et, encore moins, économique. La Monarchie, comme d’ailleurs la République, n’est pas une forme de gouvernement (nonobstant les théories contemporaines de l’État et du Droit), mais un type d’État.
Selon Aristote, il existe trois types fondamentaux d’États: la monarchie, l’aristocratie et la politeia (démocratie). Leurs types «inversés», corrompus, sont trois, eux aussi: la tyrannie, l’oligarchie et l’ochlocratie (le pouvoir des foules). Ces types et contre-types ne sont en rien liés à des tendances propres à certaines époques, il n’y a en eux rien de «progressiste» ou de «réactionnaire»; ils sont éternels et existent à travers leurs manifestations au cours de l’histoire de l’humanité. L’écrasante majorité des États du monde contemporain est modelée selon les trois types «corrompus», il s’agit d’ailleurs fondamentalement d’oligarchies, ou ploutocraties. Le type de l’État monarchique est le seul à constituer la catégorie non temporelle, éternelle, aeona, ou encore l’éternité en mouvement, comme la définit Vladimir Lossky. En langage orthodoxe, cela se rend de cette façon : «Dieu, à l’image de Son céleste principe d’unité, établit sur terre un empire, à l’image de Sa toute puissance, un empire autocrate, à l’image de Son Règne éternel, se poursuivant dans les siècle des siècles, un empire héréditaire» (Saint Philarète de Moscou).
A travers la succession dynastique, le peuple entre dans l’histoire en tant que triunité de ceux qui sont partis pour l’éternité, des vivants sur terre et des personnes non encore nées. La dynastie est un seul et même monarque changeant de nom et d’apparence seulement parce que l’homme est mortel sur cette terre.
Dans son œuvre fondamentale «L’architecture d’État monarchique», Lev Tikhomirov s’appuie sur la typologie aristotélicienne (envisagée à travers le prisme de l’Orthodoxie) pour montrer la compatibilité de principe du pouvoir monarchique avec toutes les formes de gouvernement (de la dictature à la démocratie directe locale, et même l’anarchie), de même qu’avec toutes les formes de l’économie et de la propriété. En outre, il ne peut être question de la nature «sacrée» de quelque forme de propriété que ce soit (comme, par exemple la propriété privée chez les protestants), ni, au contraire de lui attribuer une dimension a priori négative (ce qui serait une forme de manichéisme). Il n’existe, en matière de propriété que deux interdits de principe. Le premier est lié à la dogmatique orthodoxe. Le second, s’il n’est pas directement lié à la dogmatique, l’est, dans sa nature la plus profonde, à l’Orthodoxie russe.
Tout d’abord, des formes «bénies» de la propriété et de l’activité économique, il découlerait que tout ce qui est lié aux intérêts bancaires serait une création de richesse «à partir de rien», ex nihilo. Les canons de l’Église prévoient pour cela l’excommunication. Même si nous sommes aujourd’hui forcés de recourir aux banques et aux intérêts, nous devons avoir clairement conscience de ce qu’il s’agit d’un franc péché, avec toutes les conséquences qui en découlent, tant pour les banquiers que pour les clients.
Deuxièmement, la propriété privée de la terre est une forme de propriété si peu bénie qu’elle constitue en fait une violation du précepte du Psautier : «Au Seigneur est la terre et sa plénitude, l’univers et tous ceux qui l’habitent». Dans le peuple russe, on dit, de temps immémoriaux : «La terre est à Dieu et au souverain, et à personne d’autre». Dans la conscience du peuple russe, la terre est une image de la Mère de Dieu (comme le dit le Canon de l’Office de la Sainte Communion : «Comme une terre fertile, ô Épouse bénie de Dieu, tu as fait pousser l’épi que nul n’a cultivé…») et aussi de l’Esprit Saint («Le Jour de l’Esprit Saint est Fête de la terre» NdT: tradition slave). La terre ne peut être donnée que pour être travaillée, à titre provisoire, afin de la cultiver, pas à titre de propriété avec droit de revente. Mais tout ce qui dans le langage juridique est désigné par les termes fruits, production et rapport, peut faire l’objet de la propriété, tant collective qu’individuelle, des paysans. La terre peut être transmise par voie d’héritage, mais sans le droit de la vendre (C’est précisément ainsi qu’est transmis par héritage, sans pouvoir être vendu, le pouvoir impérial ; en ce sens, le Tsar est semblable aux paysans). (A suivre)