Les sermons de Saint Cosme d’Étolie sont sans doute l’exemple le plus réussi de sermons globaux, grâce auxquels l’Orthodoxie, sous le joug ottoman, se perpétua dans les Balkans et en Asie Mineure. Conversation avec Athanase Zoïtakis, chargé de cours à l’Université d’État de Moscou (МГУ) et rédacteur en chef du site «agionoros.ru», à propos du grand ascète chrétien. L’entretien s’est poursuivi, à propos de l’influence mutuelle des Églises russe et grecque. Il fera l’objet d’une publication prochaine sur ce site.
Athanase Georgievitch, vous avez consacré beaucoup de force pour faire connaître le nom de Saint Cosme l’Etolien, l’égal aux apôtres, auprès d’ un large cercle de gens. Son activité apparut ainsi à beaucoup comme un exemple de service, empreint d’abnégation, à son peuple et à l’éducation chrétienne. En quoi vous sentez-vous proche de ce Saint ?
Tout d’abord, à la lecture de la vie de Saint Cosme d’Étolie, j’ai été ébahi de constater comment un simple moine isolé modifia le destin de tout un peuple. Avec l’aide de Dieu, il est parvenu à accomplir ce qui paraît impossible : amener à la foi des dizaines de milliers de personnes, construire son propre système d’enseignement, affermir les Orthodoxes. On est frappé par la polyvalence de Saint Cosme d’Étolie : il bénéficiait d’une multitude de talents. Son courage s’unissait à l’abnégation, sa foi profonde, à l’amour du prochain, l’humilité à l’instruction, la profondeur théologique au don de la parole simple. Saint Cosme, égal aux apôtres, c’est un missionnaire, un enseignant, un organisateur talentueux, un prophète, un martyr pour le Christ, un thaumaturge.
Cosme d’Étolie est un Saint du peuple. On se souvient de lui dans tous les villages dans lesquels il séjourna et donna ses sermons. Longtemps avant sa canonisation, les gens le représentaient sur les icônes, composaient des chants en son honneur, donnaient son nom à des rues et des lieux de peuplement, et ils transmirent ses enseignements et ses prophéties de génération en génération.
Les paroles et les prophéties de Saint Cosme ne sont pas seulement des monuments de son époque, ils sont actuels et recherchés. Il est significatif qu’une conférence consacrée à Cosme l’Étolien fut retransmise sur l’internet et regardée par des dizaines de milliers de spectateurs dans 89 pays. L’héritage spirituel de ce Saint «non seulement demeure une guidance importante pour choisir correctement les méthodes d’ascèse chrétienne, mais donne les critères d’une juste compréhension de la vie sociale et du sens de l’histoire» (O. Petrounia : «La société contemporaine de l’information à la lumière des prophéties de Saint Cosme d’Étolie, égal aux apôtres, et de l’Ancien Païssios »)
A l’époque de Saint Cosme d’Étolie, au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle, on observait une crise de l’enseignement. Il s’en suivit une baisse du niveau culturel et moral du peuple, et une islamisation massive ; des centaines de milliers d’Orthodoxes devinrent musulmans. Peut-on dire que les sermons de Saint Cosme d’Étolie influencèrent le climat politique dans le monde ; les Turcs voulurent l’emprisonner, considérant qu’il était un agent russe ?
Saint Cosme d’Étolie concentrait ses activités dans les districts où sévissait l’expansion islamique, et il parvenait à enrayer celle-ci. Tant ceux qui vivaient à l’époque du Saint, que les scientifiques contemporains partent du point de vue qu’en l’absence du Saint, «il n’aurait plus resté un seul Chrétien Orthodoxe dans ces régions» («Vie et Prophéties de Saint Cosme d’Étolie») et «la Grèce serait aujourd’hui un pays dans lequel la religion principale serait l’Islam» (Le Moine Nikodim, «L’adoration des Dons des Mages, la Vie en Église, les Starets de l’Athos et Païssios de la Sainte Montagne»). Si la foi orthodoxe avait été perdue, aujourd’hui on constaterait dans les Balkans une configuration géopolitique toute différente. Maints nationalistes albanais désignent les activités de Saint Cosme comme un contretemps fondamental, ayant empêché la constitution de ce qu’ils nomment la «Grande Albanie».
Saint Cosme considérait la foi orthodoxe comme le fondement de la renaissance spirituelle et se prononçait en faveur de l’union des peuples orthodoxes.
Avec l’aide de ses collaborateurs, traditionalistes orthodoxes, il s’opposa avec succès à la diffusion des idéaux des «Lumières» européennes. Dans le contexte de l’expansion de l’idéologie rationaliste et anthropocentrique occidentale, la préservation de l’identité orthodoxe dépendait de la situation dans la sphère de l’enseignement. La jeunesse, qui étudiait en Occident «devenait athée et quand elle rentrait au pays, elle attirait les autres vers l’athéisme». Grâce à Saint Cosme, les Orthodoxes reçurent la possibilité d’étudier dans leur pays natal et d’être éduqués dans l’esprit des valeurs orthodoxes. Ceci sauva les Balkans de l’assimilation spirituelle à la vision du monde occidentale.
Quelles étaient les caractéristiques des écoles créées par Saint Cosme d’Étolie ? Dans vos cours, vous rappelez que le Saint créa environ un millier d’écoles et quatre institutions d’enseignement supérieur.
Grâce à Saint Cosme et ses collaborateurs, les orthodoxes traditionalistes, l’éducation se répandit partout. Toutes les villes et tous les villages rivalisaient en matière d’organisation et de fonctionnement de leurs écoles. Saint Cosme rendit possible la construction de bâtiments séparés pour les écoles, il créa des classes adaptées aux processus d’enseignement, et il fournit aux institutions les livres et le matériel pédagogique nécessaire.
La principale méthode pédagogique de Saint Cosme d’Étolie était l’éducation par l’exemple. Dans ses sermons, il introduisait des exemples extraits des Saintes Écritures, des œuvres des Saints Pères et des vies des saints. En même temps, comprenant que les élèves avaient besoin non seulement de livres mais de modèles concrets, Saint Cosme s’assura que les prêtres devinssent des exemples pour les laïcs, et les prédicateurs, des exemples pour leurs auditeurs, et les enseignants pour leurs élèves et les parents pour leurs enfants.
L’encadrement pédagogique était formé dans les institutions d’enseignement supérieur ouvertes à l’initiative de Saint Cosme d’Étolie. Les lauréats de ces écoles étaient envoyés dans les écoles du niveau inférieur. La formation était donc prise très au sérieux.
Un des principes de base de la conception pédagogique de Saint Cosme d’Étolie fut le dialogue vivant entre la classe et le professeur. Ceci contraste avec les réalités de l’enseignement contemporain en Russie, dans le cadre duquel, suite à la bureaucratisation des processus pédagogiques, il reste peu de temps au professeur pour entretenir des relations vivantes avec les élèves et leurs parents.
La caractéristique-clé du système d’enseignement de Saint Cosme d’Étolie était sa gratuité et sa dimension générale. L’instruction telle que mise en œuvre par le Saint concernait non seulement la jeunesse, mais aussi les générations aînées. Il organisa des cercles d’enseignement dominicaux pour les adultes, où on les sortait de leur illettrisme et les initiait à l’étude de la littérature patristique et de l’Évangile.
Selon Saint Cosme d’Étolie, l’enseignement doit être varié et global. Sa mission d’instructeur incluait non seulement la prédication de la foi orthodoxe, mais aussi l’éducation scientifique. Les valeurs pratiques de son enseignement sont soulignées par de nombreux chercheurs. Toutefois, dans le système d’enseignement élaboré par Saint Cosme, la priorité était de surmonter l’ignorance spirituelle et d’instruire les élèves en matière d’esprit évangélique et d’héritage patristique. Il rejetait l’approche idéologique de ses opposants porteurs des idées des Lumières européennes, centrée sur le caractère pratique de l’enseignement ; de leur point de vue, les écoles devaient enseigner aux enfants «uniquement ce qui leur sera utile dans leur future profession». De nos jours, on observe à nouveau l’existence de semblables processus «d’enseignement orienté vers les applications». Il s’agit d’une caractéristique inhérente au système dit «de Bologne».
L’enseignement de Saint Cosme était fondé sur des principes tout différents. L’ascète concevait que l’école ne devait pas simplement conférer une somme de connaissances, mais aussi cultiver les qualités humaines. «Quand avec l’aide de Dieu vous aurez construit une école, prenez un professeur pieux. S’il est dépourvu de piété, il détruira l’école» soulignait Saint Cosme d’Étolie à ses élèves. «L’instruction dépourvue d’orientation morale s’avèrera non seulement inutile, mais funeste pour l’homme». Le Saint partait du point de vue que le savoir brut, l’érudition, était insuffisant. Prendre appui sur son propre raisonnement, sur son égoïsme, conduit l’homme à une impasse. Au-delà des connaissances livresques, l’instruction en la dimension divine est vitale.
Ainsi, comme les autres Pères de l’Église, Saint Cosme d’Étolie rejetait la scolastique et affirmait que Dieu n’est pas connaissable par la raison, mais bien dans l’expérience de la vie spirituelle : «Pour approcher la nature de la Très Sainte Trinité, il faut commencer par abandonner le mal et le péché, se confesser avec franchise, communier aux saints Mystères du Christ avec beaucoup de crainte et de vénération , et ensuite la Grâce du Très Saint Esprit illuminera notre raison, et nous pourrons l’approcher» (Saint Cosme d’Étolie. Paroles)
V.S. Martychine, actuellement directeur d’une école en Russie, a analysé le système d’enseignement général et il a constaté des manquements élémentaires : «Les enfants ne connaissent pas l’histoire de leur région natale. Ils ne connaissent pas l’histoire de leur propre famille. Ils sont loin de toute tradition morale et spirituelle. Ils ne connaissent pas l’histoire de leur patrie ! Ils ne connaissent pas leur langue ! La culture leur est étrangère».
L’enseignement de Saint Cosme d’Étolie ne connaissait pas pareils manquements. Le Saint manifestait beaucoup d’égards envers l’histoire. Il lutta avec succès contre la diffusion des langues turque et albanaise, s’efforçant de protéger l’originalité, l’identité vestimentaire, les mœurs et les coutumes orthodoxes.
Selon le représentant de l’Association des Pédagogues Orthodoxes de Saint-Pétersbourg, V.V. Semientsov, «dans le cadre de l’enseignement gnostique contemporain, fondé sur le culte du savoir et de l’acuité d’esprit, la parole de vie est devenue hautement indispensable. Les excès de l’esprit et l’extraordinaire abondance d’informations ont un inconvénient : les mots ne sont plus porteurs de la force de vie, qui ne découle pas d’une grande acuité d’esprit, mais bien de la pureté d’un cœur aimant».
Ce manque, nous pouvons le combler, en nous tournant vers les prédications de Saint Cosme d’Étolie, l’égal aux apôtres. Le Saint était parvenu à toucher les cœurs de nombreux milliers de personnes, ravivant en eux l’amour d’une vie nouvelle en Christ. Aujourd’hui, il peut devenir notre guide dans la construction d’un paradigme d’éducation global et harmonieux. (A suivre)
Traduit du Russe. Source.