Le numéro 121 du Message Orthodoxe (III -1992) proposait un long et très beau texte de l’Archiprêtre Jean Roberti, intitulé l’apport russe à l’Orthodoxie. En voici un court extrait. L’importance de la liturgie dans l’histoire de vie spirituelle russe ne se réduit donc pas au rôle qu’on lui accorde traditionnellement dans la décision de Vladimir, elle constitue le vecteur principal de l’acculturation et de la survie du christianisme en Russie. On peut dire que , jusqu’à la fin du XVIIe siècle, la liturgie a joué un rôle fondateur dans le savoir de la culture russe. Mais à la différence de ce qui se passa en Occident, celui-ci ne disparut pas avec l’arrivée du pluralisme culturel et idéologique des trois derniers siècles, mais continua, parfois clandestinement, à vivifier la spiritualité russe jusqu’à nos jours.
La liturgie, c’est avant tout l’église, la «sainte maison». Qu’elle fût la première cathédrale bâtie sur l’ordre de Vladimir ou la simple église de village, elle demeure le signe visible de la réunion du ciel et de la terre. «Comme des fleurs, comme des étoiles du ciel, comme des rayons resplendissants du soleil, ornées magnifiquement et retentissantes de saints cantiques», les églises constituent l’élément essentiel du paysage spirituel de la Russie chrétienne. Toutefois, jamais, dans la tradition russe, l’église-bâtiment ne fut une fin en soi, jamais elle ne prit le pas sur l’église-assemblée. L’organisation extérieure y gagna en simplicité, l’intérieure demeura centrée sur la présence des fidèles, vivants et morts, tout particulièrement celle des saints figurés sur les icônes et les fresques. Dans cette perspective, l’iconostase, même dans sa variante monumentale à partir du XVIe siècle, y fonctionne moins comme une barrière que comme un miroir du monde transfiguré, au-delà duquel «il n’y a plus rien à voir, en ce sens que le mystère célébré ne se situe plus au niveau de la vision, mais de la communion». Il faut ajouter que le sentiment si profond de l’église comme lieu de l’assemblée liturgique fit qu’elle n’était que rarement utilisée par les fidèles pour leur prière personnelle. Toutefois, au lieu de l’isoler dans une fonction sacrée, ce fait même la rapprochait, tant pour un noble de province du XVIIe siècle, un paysan du XIXe ou un chrétien d’Union soviétique, de la chambre, de la maison, de la chapelle ou plus généralement, de la nature.