Quatrième texte de la série traduisant la conférence “La Ville est Tombée”, mais elle demeure en vie donnée à Patras en 2002 par Son Éminence le Métropolite Hiérotheos de Naupacte, à propos de la chute de Constantinople. Les précédents se trouvent ici. Les descriptions du siège inspirent l’horreur. Dans la ville, les combattants étaient peu nombreux. Le rapport des forces en présence était très déséquillibré. L’Empereur Constantin Paleologue invita son secrétaire Sphrantzis à procéder à un inventaire des citadins masculins en âge de porter les armes. Sphrantzis découvrit que « seulement 4983 Grecs et moins de 2000 étrangers étaient disponibles. Constantin fut ébahi par ces chiffre et enjoignit à Sphrantzis de ne pas les publier». L’armée des Ottomans regroupait environ quatre vingt mille hommes, sans compter les hordes d’irréguliers.
Grande était la valeur des assiégés. L’Empereur combattit en qualité de simple soldat. Mais il apparaît que les Génois se sont réfugiés dans la neutralité en des moments critiques, cherchant à conclure un accord avec le Sultan. Il fut proposé à l’Empereur de fuir la Ville, mais il refusa. «La fatigue l’éreintait à un point tel qu’il perdit connaissance au moment où il allait répondre. Ayant repris ses esprits, il confirma qu’il ne pouvait abandonner son peuple, et qu’il mourrait avec eux». Les soldats combattaient sur les murailles, mais le peuple de la ville entière les aidait. Femmes et nonnes «se précipitaient aux murailles pour aider au transport des matériaux de consolidation des fortifications, et elles apportaient les jarres d’eau pour étancher la soif des défenseurs».En plus de la résistance héroïque des soldats et de tout le peuple, l’Empereur ordonna que l’on célèbre des offices avec processions et prières à Dieu et à Sa Toute Sainte Mère. La dernière Liturgie célébrée à Sainte Sophie fut empreinte d’une immense émotion ; tous pleuraient, se pardonnaient mutuellement et ensemble ils communièrent.
L’historien de Byzance, Léonardo de Chios consigna des détails de la situation prévalant à cette époque, à la veille de la chute de la Ville. Les célébrations religieuses et les processions étaient nombreuses, tous les participants criant : «Seigneur aie pitié». Il a fourni une description de la célébration de la dernière Liturgie à Sainte Sophia, que rapporte un historien anglais : «La célébration de ce soir-là devrait occuper une place spéciale dans l’histoire car elle fut la célébration du dernier office chrétien à s’être déroulé dans l’église de Sainte Sophia. Cette célébration sacrée fut en réalité une liturgie d’agonie. L’Empire était plongé dans l’angoisse et pour apaiser celle-ci, la célébration devait être publique, dans la plus merveilleuse église et en présence du plus courageux des empereurs. Si la scène de couronnement de Charlemagne et la création de son empire furent des plus hautes en couleurs, la scène de la dernière Liturgie célébrée à Sainte Sophia est sans aucun doute la plus tragique».
Après que la Ville fut tombée, que le dernier Empereur mourut et que les Turcs aient fait leur entrée dans Constantinople, commencèrent le massacre, les pillages et la dévastation. Le Sultan Mehmet le Conquérant avait promis à ses soldats trois jours de pillages. Et la destruction fut immense.» Les habitations privées furent systématiquement pillées, et à l’issue du pillage de chacune d’elles, un petit drapeau était fixé à l’entrée, signalant qu’il ne restait rien à piller. Ils emmenèrent les habitants et leurs biens. Tous ceux qui s’évanouissaient ou tombaient de faiblesse étaient abattus sur place, de même que les enfants, considérés sans valeur. Mais la règle était toutefois de ne pas tuer les prisonniers. La ville comptait de grandes bibliothèques, certaines, laïques, mais la plupart d’entre elles dans les monastères. La plupart des ouvrages furent brûlés, mais certains Turcs furent suffisamment intelligents pour comprendre qu’il s’agissait de biens négociables, et ainsi, on vendit des livres pour des sommes dérisoires à quiconque manifestait de l’intérêt. Les églises furent lieux de scènes de débauche. De nombreuses croix serties de pierres précieuses furent emmenées, sur lesquelles on avait perché un turban turc. D’innombrables bâtiments subirent des dégâts irréparables. Le soir tomba, et il ne restait quasi rien à piller mais personne ne se plaignit de ce que le Sultan annonçât la fin du pillage. Les soldats furent suffisamment occupés les deux jours suivants, à répartir le butin entre eux et dénombrer leurs captifs. Ils en estimèrent le nombre à cinquante mille, dont seulement cinq cents soldats. Le reste des combattants chrétiens avait été tué, à l’exception de quelques-uns qui parvinrent à s’échapper sur des embarcations. Le nombre de personnes tuées s’élevait à quatre mille, en comptant les civils victimes du massacre ». Le Sultan libéra la plupart des dames de la noblesse, mais conserva pour son harem les filles les plus belles et les garçons les plus beaux. On raconte aussi que Mohammed «envoya quatre cents enfants grecs en cadeau à chacun des principaux dirigeants musulmans : le Sultan d’Égypte, le Roi de Tunis et le Roi de Grenade».
Doukas se lamenta sur la chute de Constantinople en 1453 «O Ville, Ville, Tête de toutes les villes ! O Ville, Ville, centre des quatre parties du monde ! O Ville, Ville, gloire des Chrétiens et anéantissement des barbares ! O Ville, Ville, autre paradis chargé de fruits spirituels! Où est ta beauté, O paradis ? Où sont tes grâces spirituelles bénéfiques, qui fortifient l’âme et le corps ? Où gisent les corps des apôtres de mon Seigneur, plantés depuis longtemps dans le paradis toujours vert, côtoyant la robe de pourpre écarlate, la lance, l’éponge, le roseau que nous embrassons en imaginant la Croix exaltée sous nos yeux ? Où sont les os des reliques ? Où sont les martyrs ? Où est Constantin le Grand, et les corps des autres empereurs ?… » (A suivre)
Le texte original grec a été traduit avec l’appui de la traduction anglaise proposée sur l’excellent blogue Mystagogy.